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Badiou / Žižek, les deux font le pair!

Publié le 18 décembre 2008 par Cdsonline

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Hier soir à la rue d’Ulm, dans le cadre de son séminaire sur la contemporanéité de Platon, Alain Badiou avait invité son redoutable ami Slavoj Žižek…

Contrairement à ce qu’aurait pu laisser craindre la colonisation massive des médias par d’innombrables et affligeantes billevesées prétendument philosophiques (Onfray et consorts), bonne nouvelle: la philosophie est toujours vivante!
Elle est plus que vivante, elle est vivace, pointue, incisive, la discipline désormais en pointe pour percer la chappe de plomb du capitalisme mondialisé et imaginer un autre horizon…
À une condition toutefois : souscrire à l’exigence de tracer avec fermeté la ligne de séparation entre ce qui est de l’ordre du penser et ce qui ne l’est pas.

Introduisant la réflexion par un développement inspiré de L’acte dialectique (République, livre VI, 511b sq.) Alain Badiou a justement déployé la dialectique de Platon appliquée à la situation contemporaine et concrète avant de ménager une transition vers la dialectique de Hegel dont Slavoj Žižek est — entre autres ! — le meilleur exégète au monde…

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Bref résumé de l’implacable démonstration d’Alain Badiou lecteur attentif et conséquent de Platon: au début était l’opinion, caractérisée par la polarité fermée du pour et du contre (par exemple le gouvernement prend des mesures qui soulèvent des protestations) nous sommes alors successivement dans les sections AD et DC du schéma platonicien avec:
• en AD les “suppositions” : nous réagissons à des représentations, nous supposons en effet qu’une image (véhiculée par les médias) renvoie à quelque référent réel…
• en DC les “certitudes” : nous sommes certains que des objets réels existent, et une non-moins certaine inadéquation entre images (représentations) et objets alimente le feu de l’opposition pour/contre constitutive de l’opinion…

Par delà cette clôture du cercle de l’opinion, un premier pas sera franchi en posant la question: de quoi l’animation des deux segments AD et DC (ayant pour objet la mesure gouvernementale) est-elle le symptôme?

Nous arrivons alors au segment CE dit de l’entendement (ou de la pensée analytique) qui bien que transcendant le blocage pour/contre propre à l’opinion:
1/ conserve le même objet (la mesure gouvernementale)
2/ en déplace la perspective de saisie (tous les gouvernements prennent des mesures impopulaires, l’impopularité étant inscrite au cœur même du concept de gouvernement, cette mesure en particulier caractérisant aussi bien ce gouvernement que d’autres de même structure…)
3/ mais n’en assume cependant pas les conséquences, séparant donc la réalité politique et sociale exprimée par l’opinion… de la réflexion qui en abstrait le sujet (le sujet de l’opinion comme le sujet de la réflexion). Nous sommes ici dans une phase abstraite, suspendue et flottante, détachée des conséquences concrètes politiques et sociales.

Le sujet à proprement parler ne se (re)trouve qu’à pouvoir assumer les conséquences de ses actes et paroles dans le segment EB appelé pensée pure, intellection ou encore pensée dialectique, qui à la différence de l’étape analytique ménage un lieu (topos) aux idéalités dialectiques en rendant désormais inséparable
• l’universalité des principes idéaux
• avec la position particulière de subjectivité qui les énonce : “Cet ordre peut aussi se dire : plus un être se donne dans l’élément de la Vérité, plus le Sujet le pense dans sa propre clarté. — En sorte, songe tout haut Amantha, que “vérité” objective et clarté subjective sont deux dimensions du même processus.” Platon

Rien de plus universel et concret que la pensée philosophique donc, et contre la prétendue épaisseur du “vécu” qui serait irréductible à la “sécheresse” de l’approche théorique, il nous faut réaffirmer que c’est ce genre de discours sur la prétendue “vraie vie” qui est en vérité terne, gris et abstrait car totalement imaginaire. L’approche philosophique dialectique étant elle lumineuse, ouverte à l’éclosion du sujet et universellement concrète.

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Badiou et Žižek, au chevet d’une civilisation en perte de re-pères…
«Une fois un. – Un seul a toujours tort : mais avec deux commence la vérité. – Un seul ne peut se prouver : mais il suffit de deux pour qu’on ne puisse plus les réfuter.» Gai savoir – livre troisième § 260 – traduction P. Klossowski – Folio Essais.

La seule différence entre un fou et moi, c’est que je ne suis pas fou” disait Dali, et la seule différence entre la dialectique platonicienne et la dialectique hegelienne tient à… “l’invention” de la négativité.

Parmi les philosophes les plus mal lus, les plus mal compris, les plus interprétés à contresens, s’il en est un à pouvoir prétendre au titre de champion du monde de la méprise, c’est bien Hegel, et ce malgré une sérieuse concurrence. Et ce n’est pas le moindre des mérites du génial pédagogue Slavoj Žižek que de rendre régulièrement justice au penseur de la négativité (entre autres) représentant vraisemblablement ce qui s’est pensé de plus élevé, de plus logiquement subversif et de plus universellement concret depuis que les hommes se sont vus dotés d’un cerveau.

Après la parole précisément posée, logico-didactique et philosophiquement rigoureuse d’Alain Badiou, ce fut donc au penseur survolté des Balkans de subjuguer l’assistance par son exposition ludique, humoristique et imagée de la dialectique…

Exemplifiant parfaitement le trait saillant de son enseignement, à savoir l’inséparabilité structurelle:
• de l’universel
• avec la revendication particulière subjective — qui seule en permet le déploiement dialectique,
Slavoj Žižek parle… Et la parole traversant son corps avec une telle intensité, le voici parcouru d’une gestuelle incontrôlable sous forme de tics, comme si la chair nouée au langage mettait en scène sa propre résistance à l’énergie débordante de la phasis, témoignant ainsi de la passion à l’œuvre dans son désir de dire au plus proche de l’indicible
Illustrant les logiques paradoxales de la dialectique menant aux identités spéculatives par:
- Borgès «Tout livre qui ne contient pas son contre-livre peut être considéré comme incomplet»…
- puis faisant appel au contre-récit d’Hitchcock dans Psycho et Vertigo
- et à Wagner dans une œuvre de jeunesse «Le mariage, c’est l’adultère»…
- sans oublier Proudhon «La propriété, c’est le vol.»…
- ainsi que Brecht «Qu’est-ce que le cambriolage d’une banque face à la création d’une banque?» et tant d’autres…
Slavoj Žižek gratifia l’assistance captivée d’une salve de mots d’esprit, récréant par son énonciation même l’effet de discontinuité du Réel, suggérant ainsi que le mouvement propre à la dialectique et donc au penser n’était rien de graduel ni de naturel, mais bien d’ordre fractal, de l’ordre d’un saut, forcé…
Un saut destiné à atterrir .
Là où nous sommes déjà.
Là où nous sommes censés être.
Appelés à être


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