Magazine Politique

Les voix de la nation : chanson, arabité et caméléonisme linguistique

Publié le 06 décembre 2009 par Gonzo

Les voix de la nation : chanson, arabité et caméléonisme linguistique

Aux temps pas si anciens de l’arabisme triomphant, celui des années 1960 notamment, Le Caire de Nasser n’était pas seulement la capitale politique de la région, mais également sa capitale culturelle incontestée. Art populaire par excellence  – avec le cinéma où l’on retrouve d’ailleurs les mêmes vedettes pour les célébrissimes comédies musicales des studios Misr –, la chanson ne peut être qu’égyptienne, avec le trio de légende que composent alors l’insurpassable diva Oum Koulthoum (أم كلثوم), le frère de la légendaire Asmahane, Farid El-Arache (فريد الأطرش) et enfin, le « rossignol brun », Abdel-Hamim Hafez (عبد الحليم حافظ).

L’époque ne se pose pas de question et les stars panarabes chantent essentiellement en  égyptien, même s’il arrive que la langue dite classique (voir ce précédent billet et les deux qui le suivent) soit utilisée, lors de l’interprétation d’un répertoire plus « noble » ou encore plus « classique », moins populaire en somme. C’est donc une véritable révolution lorsque Abdel-Halim Hafez, qui s’est déjà essayé au répertoire du Libanais Wadi al-Safi (وديع الصافي), se lance à la fin des années 1960 dans une série de Kuwaytiyyât à la gloire de l’Emirat du Golfe. Comme le signale Kamal Al-Qadi dans cet article d’Al-Quds al-’arabi (en arabe), la prestation où il entonne en dashdasha blanche et la tête enserrée d’un igal un chant du folklore local fut le signal d’une véritable révolution. (Un témoin rapporte d’ailleurs qu’il aurait fallu des heures pour que le chanteur prononce comme il le convenait l’expression قلبي صويب (très approximativement : j’ai le cœur qui saigne).

Trente ou quarante années plus tard, la donne n’est plus la même. Pas une star arabe d’importance qui ne se cherche à séduire le riche public du Golfe, en interprétant des chansons tirées du répertoire local ou en les interprétant dans la variante dite « de l’arabe du Golfe » (une invention, tout autant que celle de « l’arabe pur » d’ailleurs, car il y a bien entendu de multiples variantes locales qui n’en possèdent pas moins « un air de famille »).

Mais les chassés-croisés linguistiques ne s’arrêtent pas là, loin de là : les starlettes libanaises du type Haïfa Wehbe ou Elissa susurrent aussi en Egyptien, tout comme Claudia l’Irakienne, l’ancienne reine de beauté. Et les interprètes du Maghreb ne sont pas en reste…

Car la situation linguistique au sein du monde arabe a considérablement évolué depuis le temps des grandes vedettes égyptiennes du temps de la radio, pour ne rien dire du reste… Avec le développement des médias transnationaux, et l’expansion toujours plus grande des industries culturelles, les acteurs de la pop culture à l’intention des nouvelles couches sociales de consommateurs, et de la jeunesse arabe en particulier, ont amélioré leur savoir-faire. Sans doute, les nouvelles générations ne sont plus toujours aussi savantes en arabe littéraire que celles du passé. En revanche, elles manient une sorte de caméléonisme linguistique qui les rend capables de se mouvoir au sein des diverses variétés locales de l’arabe comme jamais avant sans doute.

Les voix de la nation : chanson, arabité et caméléonisme linguistique
Assez utilitariste, voire commerciale, dans bien des cas, il arrive aussi que cette souplesse linguistique soit pleinement assumée, y compris au sens politique du terme. C’est le cas, entre autres exemples, avec Latifa, chanteuse tunisienne devenue vedette internationale en passant par la case Egypte dans sa jeunesse (certains se souviennent peut-être d’un Inchallah avec des paroles en français qui eurent un beau succès il y a quelques années ; elle a également collaboré avec le Libanais Ziad Rahbani et l’Irakien Kadhem al-Saher : autant d’accents différents !)

Latifa s’apprête à sortir son second CD avec des paroles dans le « dialecte du Golfe », une démarche qu’elle revendique haut et fort en tant que chanteuse arabe. Celle qui n’a pas craint, en 2004, de faire scandale lors de la remise de son Music Award à Los Angeles en déclarant que sa joie ne pouvait être tout à fait complète avant que la Palestine et l’Irak soient libérés s’en explique (article en arabe dans Al-Akhbar : chanter dans les dialectes de la Péninsule arabique, quand on est du Maghreb ou d’ailleurs, c’est une manière d’effacer les frontières géographiques, intellectuelles et artistes, qu’a tracées le colonialisme entre les Arabes ( أحبّوا ذلك أم كرهوا، لا بدّ من كسر الحدود المرسومة بين العرب جغرافياً، فنياً وفكرياً. لأن هذه الحدود من ركائز الاستعمار ).

Des journalistes arabes pétitionnent pour leurs collègues tunisiens, à commencer par Toufik Ben Brik. Quelques voix se sont élevées en France… mais on a guère entendu les chantres médiatiques si empressés à se manifester en d’autres occasions…

Document rare, l’inoubliable Abdel-Halim Hafez dans son interprétation toute koweitienne de Ya Hali à la fin des années 1960.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gonzo 9879 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines