L’ego, l’âme et le Soi d’après Jung par Laura Winckler et Frédéric Blanchard
Article paru dans la revue 178 de Nouvelle Acropole avec l’aimable autorisation de la Nouvelle Acropole.
L’ego
L’ego est le siège de la conscience : c’est lui qui permet de se sentir séparé de la mère et du reste du monde et d’être une entité pouvant à son tour affecter le monde.
L’ego adulte développe des capacités visant à satisfaire divers besoins, physiologiques, de sécurité ou d’insertion sociale.
L’enfant jeune est faible, vulnérable et dépendant de ses parents et de son environnement. A ce stade, son ego n’est pas encore formé.
Par la suite, ce dernier commence à remplacer les parents et acquiert des fonctions protectrices.
Sa deuxième tâche consistera à relier l’individu au monde environnant, lui apprenant à survivre, puis à s’insérer socialement et à réussir dans la vie.
Certaines épreuves permettront de fortifier l’ego.
Notre ego ou notre moi est la partie consciente de nous-mêmes qui se différencie de l’océan des potentialités de l’inconscient collectif.
Pour s’affirmer il devra rompre, d’une certaine façon, avec le milieu d’où il est issu.
L’ego est un outil, l’image de notre moi, notre persona, un masque.
Cependant, une fois complètement développé, il doit être vidé de son contenu afin de devenir l’enveloppe qui héberge et porte l’âme (l’acteur), sans que la rencontre entre ces deux dimensions soit vécue comme un drame.
Cela suppose un ego bien développé et correctement formé, conscient de ses limites et de ses qualités, tel que l’acquiert le Héros pendant la préparation de son périple : l’optimisme de l’innocent, l’entraide de l’Orphelin, le courage du Guerrier, la générosité du Bienfaiteur.
Cette personnalité bien intégrée en elle-même et dans son environnement sentira alors l’appel de l’âme, d’une force qui la conduira vers la quête de son destin. C’est seulement à ce moment-là que peut commencer la traversée.
L’âme
L’âme, pour se réaliser sans encombre, a besoin de la coopération et de la présence de l’ego qui a du bon sens et les pieds sur terre. Disons que Don Quichotte se fera accompagner de Sancho Pança pour partir en quête du trésor ou des mystères de la vie.
Pour Jung, l’âme symbolise souvent notre psyché ou le point par lequel s’expriment les archétypes de l’inconscient collectif. Elle est la partie de notre psyché qui nous connecte avec ce qui est éternel et procure la sensation de sens et de valeur à notre vie.
Nous commençons à nous occuper de l’âme lorsque nous ressentons le besoin de comprendre le sens de la vie, le sens de notre vie, que nous cherchons à nous relier au cosmos.
Elle rend possible le sens de l’unité.
Malheureusement, dans nos sociétés où on la refuse, elle est contrainte de s’exprimer à travers les fissures ou les failles de la vie, dans certains moments de trouble ou de souffrance, ou bien lorsque nous traversons les grandes crises de l’existence : les transitions entre l’enfance et l’adolescence, entre l’adolescence et l’âge adulte, lors de l’entrée dans la maturité puis dans la vieillesse, enfin face à la mort.
Dans ces moments liminaux, donc de passage, où il n’y a plus ni certitudes, ni sécurité, l’âme parvient alors à s’exprimer, dans la souffrance parfois ou à travers des comportements négatifs et autodestructeurs.
De nombreuses sociétés traditionnelles ont élaboré des mythes et des rites, notamment d’initiation, pour aider à ces mues de l’âme.
Le but de l’initiation étant essentiellement de comprendre avec le langage de l’âme, par le vécu, ce que signifient les expériences de la vie.
La traversée du Héros est une initiation aux réalités du périple de l’âme. Elle nous demande de contrôler notre vie pour ensuite nous en détacher, abandonner la peur du vide, de la mort, et être prêts à expérimenter la totalité de la vie. Pour cela, il nous faut élargir l’étroit champ de vision de l’ego, nous détacher des sentiments, de la quête mais tôt ou tard il nous faut atteindre les mystères centraux de la vie et apprendre la mort, la passion, la naissance, la création, en tant que mystères.
Sans l’âme, nous sommes pareils à des automates : nous effectuons tous les mouvements possibles, mais ils manquent de sens.
L’initiation nous offre l’opportunité d’expérimenter le sens de la vie et, grâce à elle, d’apprendre la quête de dépassement du Chercheur, le détachement du Destructeur, l’engagement de l’Amant et, finalement, l’union avec notre propre âme qui permet la naissance d’un nouveau Soi, le Créateur.
Le Soi
Le Soi est l’expression de l’intégrité, le point final du processus d’individuation. La traversée est achevée, le trésor retrouvé, et nous sommes de retour dans le royaume qui se transformera en fonction d’un nouveau principe ordonnateur.
L’essence du Soi est le paradoxe, car il nous permet de vivre ce qui est singulier et unique en nous et, en même temps, met notre ego en relation avec la dimension transpersonnelle.
A son niveau, le vie n’est plus perçue comme une lutte mais comme une source d’abondance. Nous devenons les rois et les reines de nos propres domaines et si nous sommes fidèles à notre Etre intérieur (le Soi), nous faisons fleurir la terre desséchée.
Le soi est donc profondément blessé si l’ego et l’âme sont déconnectés. Sa réalisation demande d’assumer pleinement nos responsabilités et de les intégrer à notre conscience.
Si l’éveil de l’ego fait surgir le particulier de l’universel, le multiple de l’unité, le retour au Soi permet de réintégrer le particulier à l’universel, le multiple à l’Un. Par la force de restitution et le lien créé par l’homme avec Dieu et toute la création, l’être refait en lui l’unité perdue.
Tout grand Gouvernant a besoin d’un Magicien pour prédire le futur, pour soigner les malades, pour créer des rituels qui relient les hommes au cosmos et maintiennent la liaison permanente avec la dimension spirituelle de la vie. Il peut aussi avoir à ses côtés un Sage qui lui donne des conseils objectifs et le sort de sa subjectivité. Et aussi un Bouffon, capable de réjouir le château et de dire au Gouvernant de terribles vérités. Le Gouvernant le Mage, le Sage et le Bouffon s’aident mutuellement et contribuent, grâce à leurs talents, à produire un royaume salutaire, prospère et joyeux. Ils symbolisent les quatre aspects du Soi intégré.
L’ombre
Nous nous savons tous porteurs d’une ombre, sorte de personnage dont la silhouette se compose de tout ce que nous refoulons et qui ne cadre pas avec l’apparence sociale que nous voulons nous donner. Cette ombre est le dragon qui se nourrit, dans l’homme mûr et bien sous tous les rapports, de tout ce que son moi refuse à intégrer consciemment. C’est le premier aspect de chaque archétype à reconnaître si l’on veut avancer dans le processus d’individuation.
La difficulté réside dans le fait que l’ombre est généralement repoussante mais qu’elle porte en elle la régénération de la vie consciente. Elle repousse et fascine, et se laisse ainsi facilement projeter sur autrui pour éviter d’avoir à reconnaître qu’elle fait partie de nous-mêmes.
L’ombre peut se manifester par des omissions (actes manqués…) ou par des actes impulsifs, commis par inadvertance. Elle est avant tout personnelle, mais s’enracine aussi, comme l’illustre image quasi universelle du diable, dans l’inconscient collectif. Tout peuple a son diable, trop souvent projeté sur ceux qu’il ne parvient pas à intégrer dans sa vision du monde.
L’ombre pose un problème moral à l’individu car elle peut contenir aussi bien des qualités que des défauts.
La morale commune, ou celle qui a baigné l’individu dans sa jeunesse, est le plus souvent incompétente pour juger de la vraie nature de l’ombre : constructive ou destructive ?
Plus qu’une morale conventionnelle et sociale qui rassure par ces concepts arrêtés de ce qui est bien ou mal, c’est d’une philosophie du risque, du combat intérieur et de la responsabilité des choix qu’il implique, que l’homme a besoin dans cette aventure.
Il ne dépend que de lui que l’ombre soit son amie ou son ennemie. Elle ne devient hostile que si elle est ignorée ou traitée avec incompréhension ; elle ne peut se transmuter que si le moi accepte l’aide du Grand Homme : du Soi. La quête du Soi est à l’image de celle du Grâal ou de toute quête initiatique de l’immortalité au sens spirituel du terme.
S’engager dans cette voie, c’est donc déjà accepter le fait qu’une crise n’est pas une fatalité insurmontable mais l’opportunité d’une nouvelle naissance par un dialogue constructif avec l’ombre : de là peuvent naître de nouveaux comportements, plus ouverts, plus riches.
Une connaissance approfondie des mythes peut être d’une grande utilité car ils nous parlent, notamment des plus archaïques, un langage pas encore contaminé par une morale trop rationnelle et peuvent ainsi éveiller des images positives de dialogue avec l’ombre.
Laura Winckler et Frédéric Blanchard
http://www.na-strasbourg.fr/oinaf-013/articles/lego-lame-et-le-soi-dapres-jung.html
J’ai souhaité publier ce texte pour bien des amis, des relations, des clients qui sont confrontés à cette situation. Un ego dominant qui rend sourd, qui prétend, qui contrôle, qui maîtrise, qui refuse d’être le parrain de l’âme, de l’amour, de l’ouverture, de la créativité.
Pour toutes ces personnes qui vivent dans un rêve illusoire qu’il croit réel (voir l’article de Benjamin Bélair sur notre Blog : http://blog.reinach.net/?p=39, au delà de la réalité de leur âme et qui s’aventurent vers des échecs écrits d’avance.
Ce fameux ego qui, formaté par un entourage sur lequel l’enfant n’a pas de prise, entretenu par un monde sachant le manipuler et l’exploiter, ne se vide pas, ne rompt pas avec son environnement premier et s’orchestre une histoire anesthésiante pour soumettre l’âme et éviter la souffrance et/ou la perte de pouvoir. Cet ego qui va refuser les étapes du Héros, l’accueil et le partage, en rejetant la faute vers l’extérieur, ignorant toute richesse intérieure.
Ces personnes ne sont pas responsables de ce qu’ils vivent ni d’avoir eu un ego mal formaté à leur âme. Nous sommes nombreux à avoir vécu ses épreuves et nous seront encore nombreux à les vivre encore.
Mon seul constat est que nous sommes toujours face au choix de la douleur, la douleur de la remise en cause au présent ou la douleur de l’échec au futur.
Ce n’est hélas qu’une vérité statistique qui vient nous frapper un jour, mais qui vient nous frapper souvent fort pour éviter le fameux : “je m’échappe” de l’âme ce “je m’échappe” qui est parfois mortel.
Didier Reinach