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Mémé Kamizole à Bécassin : «touchez pas à “mon” histoire-géo» !

Publié le 08 décembre 2009 par Kamizole

sauver-lhistoire-geo.1260245749.jpg«Qui a eu cette idée folle, d’inventer l’école»… et d’y supprimer l’histoire ? «C’est ce sacré Cha…tel !»…. Cette petite rengaine de France Gall qui nous fit chanter dans les années soixante me trotte dans la tête depuis avant-hier… Mais j’ai l’ironie fort amère. J’avais vu, effarée, depuis quelques temps passer des titres sur la suppression programmée de l’histoire-géo en terminale scientifique. Je dis effarée mais je n’en étais toutefois qu’à peine surprise.

Cela s’inscrit dans un mouvement continuel, commencé depuis fort longtemps et visant à abaisser constamment le niveau de culture générale dans une perspective unique-ment “utilitariste”. Après l’histoire-géo, suppri-mera-t-on également la philo ?

Or, je soutiens depuis fort longtemps, non seulement ici mais bien avant, dans les colonnes de la Gazette d’Amitiés sans frontières, que la finalité des études générales – aussi bien au collège, qu’au lycée ou à la Fac jusqu’à la maîtrise – n’est pas de préparer à un métier ni, moins encore de faire passer les programmes sous les fourches caudines du Medef ! Ce qui est le rêve, même pas caché, du patronat. Et vous pouvez être certains que ce n’est sûrement pas avec l’ambition de développer l’esprit critique !

Il existe des filières professionnelles. Où de surcroît l’on ne devrait pas sacrifier la culture générale car même s’il est important de donner une bonne qualification professionnelle, le travail n’est pas l’alpha et l’oméga de toute la vie. Il faut former et cultiver les esprits, non seulement pour le simple plaisir de savoir mais aussi pour que tous soient capables de comprendre – en citoyens dûment formés et informés – les problèmes et les enjeux de la société en général.

Quand je préparais l’ESEU (devenu DASEU) en 1980-81 à la fac de La Source à Orléans, il y avait parmi nous un jeune homme titulaire d’un bac technique. Il trouvait son niveau de culture générale insuffisant. Peut-être même n’y avait-il pas d’histoire-géo dans la filière techno à cette époque, ais-je lu dans quelques commentaires des articles du Monde et de 20 minutes.

Déjà outrée à la rentrée1991 par la réforme des Deug voulue par Lionel Jospin et son conseiller émérite Claude Allègre – lesquels s’attaquaient particulièrement à l’histoire-géo et à toutes les filières littéraires et de sciences humaines – j’avais participé à la grève et manifesté avec les étudiants de Villetaneuse bien que les études de droit ne fussent pas concernées. Lors d’une manif, ce devait être la première, j’avais d’ailleurs bien faire rire en arborant un bonnet d’âne au nom de Jospin et une pancarte : «Lorsque j’entends le mot “culture” je sors mon… Jospin !».

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D’ailleurs, Claude Allègre fut par la suite et avec la bénédiction de Jospin, devenu 1er ministre, le merveilleux ministre de l’Educ-Nat que l’on sait… Je me suis profondément insurgée quand il osa vouloir supprimer la dissertation, exercice difficile – et certainement aussi artificiel que très chiant, j’en conviens car il faut apprendre à argumenter selon un schéma précis, introduction, parties et sous parties, sur un sujet imposé. Mais c’est précisément cette galère répétée qui permet d’acquérir la méthode et d’écrire ensuite de façon logique et articulée selon son propre plan et les idées que l’on entend développer. Cela vaut également pour la note de synthèse et tout exercice du même type.

La culture générale ne doit pas être la préoccupation première de Luc Chatel. Je l’avais déjà lu sur Wikipedia mais j’y suis retournée pour vérifier. Il a fait des études de gestion et de marketing. Ce qui explique qu’il se soit intéressé à la dernière rentrée scolaire par le seul biais de la consommation – oubliant sans nul doute qu’il n’était plus secrétaire d’Etat à la Consommation mais ministre de l’Educ-nat ! En se prenant d’ailleurs les pieds dans le tapis : les prétendues mères de famille étaient en fait des figurantes salariées de Casino où avait lieu ce déplacement. D’où le surnom de Bécassin dont je l’ai affublé. Il devrait se mettre un gros nez rouge de clown car il est devenu à cette occasion amuseur public numéro 1 de l’UMP qui pourtant n’en manque pas.

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Il ose prétendre aujourd’hui «On ne supprime pas le programme d’histoire-géo en terminale scientifique» (lu sur 20 minutes) et “L’histoire-géo va garder une place éminente” au lycée (Le Monde).

Or, ou Luc Chatel ne sait pas compter – ce qui me surprendrait fort – ou il est de mauvaise foi et cherche à nous enfumer – hypothèse plus crédible – car il prétend regrouper en 1ère les heures de cours d’histoire-géo de la Terminale, avec une épreuve anticipée comme cela se passe pour le français. Le seul hic étant qu’au lieu de deux fois 2 h 30 hebdomadaires, il n’y aura plus que 4 heures ! Une heure passée à la trappe… du vrai beau travail. Ni vu ni connu, je t’embrouille.

Mieux ! Le Monde a eu la très bonne idée d’adjoindre à un article du 7 dec. 2009 Filière scientifique : la fin de l’histoire ? un encart précisant les horaires d’histoire-géo – depuis la seconde – avant et après la réforme. Où l’on s’aperçoit que la déperdition d’heures est encore plus importante…

· EN SECONDE :
- avant la réforme : 3 h 30 hebdomadaires (dont 30 minutes de module)
- après la réforme : 3 heures.
· EN PREMIÈRE :
- avant la réforme : 4 heures pour les séries littéraire (L) et économique et sociale (ES), 2 h 30 pour la série scientifique (S).
- après la réforme : 4 heures pour tous.
· EN TERMINALE :
- avant la réforme : 4 heures pour les séries littéraire (L) et économique et sociale (ES), 2 h 30 (dont 30 minutes en classe dédoublée) pour la série scientifique (S).
- après la réforme : 4 heures pour les séries littéraire (L) et économique et sociale (ES), 2 heures optionnelles pour la série scientifique (S).

Certes, Luc Chatel affirme que les élèves de Terminale S pourront néanmoins choisir l’histoire-géo comme matière “optionnelle”… Or, comme ne manque pas de le souligner l’historien Benjamin Stora cité par L’Express Levée de boucliers pour “sauver l’histoire” en terminale scientifique “Rendre une filière optionnelle, c’est la condamner à terme. (…) Ce qui fait le prestige de la France dans le monde, ce sont ses humanités, l’école historique française. Affaiblir cette discipline, c’est affaiblir le rayonnement culturel de la France”.

Bien entendu, le ministère justifie cette mesure qui, selon le cabinet de Luc Chatel, sera bénéfique aux élèves “En terminale, les élèves scientifiques vont pouvoir se consacrer à leur spécialité et être mieux préparés aux études supérieures. Et pour ceux qui choisiront l’option histoire- géographie, ce sera un vrai choix et non une matière imposée”.

Comme le remarque à juste titre Bruno Julliard – PS et ancien leader de l’Unef - «Le gouvernement demande une spécialisation trop importante. Le lycée formera de bons littéraires, de bons scientifiques». Il me semble depuis longtemps évident que l’enseignement du XXIe siècle devrait plutôt avoir pour ambition de préparer les “honnêtes hommes et femmes” – au sens entendu jadis par Rabelais et Montaigne notamment – pourvu d’un savoir solide dans toutes les matières.

Hubert Tison, président de l’Association des professeurs d’histoire-géographie (APHG), déplore que “Les élèves de terminale S représentant aujourd’hui la moitié des effectifs, trop d’élèves seront privés d’un enseignement indispensable à leur culture générale” et selon lui “Cela dénote une volonté de rupture avec les humanités et avec des valeurs supposées être de gauche. Dans une vision utilitariste de la société, tout enseignement qui ne débouche pas sur un métier concret est mal vu”.

Même titre pour le Figaro “L’histoire-géo va garder une place éminente” au lycée mais le lien de l’article indique un tout autre titre : «Le mouvement pour sauver l’histoire prend de l’ampleur».

Et c’est bien le moins que l’on en puisse dire ! Ce ne sont plus seulement les profs d’histoire-géo du secondaire qui se mobilisent contre cette ineptie mais grand nombre d’intellectuels de renom qu’ils enseignent l’histoire dans l’enseignement supérieur ou non. La pétition «Il faut sauver l’histoire !» parue sur le Journal du Dimanche , lancée par le philosophe Alain Finkelkraute – qui semble bien revenu de l’onction qu’il donnait à Nicolas Sarkozy en 2007 au moment de la campagne présidentielle ! - et le démographe Hervé Le Bras rencontre un indéniable succès non seulement auprès du monde intellectuel mais aussi politique et ce, bien au-delà de la gauche puisque qu’elle a été signée par quelques personnalités de l’UMP !

L’historienne et membre de l’Académie française Hélène Carrère d’Encausse – qui n’est pas précisément de gauche – juge “catastrophique que des élèves de terminale ne disposent pas d’enseignement en histoire-géographie, ce qui les priverait de la culture générale la plus élémentaire qui forme l’entendement des citoyens”.

Pour sa part, François Bayrou – qui est agrégé de lettres classiques, celles-là mêmes que Nicolas Sarkozy souhaiterait supprimer… car elles ne concernent qu’un nombre limité d’étudiants ! – ne dit pas autre chose et parle d’une «amputation, une offense à l’idée que l’on va se faire de l’enseignement général. C’est tellement révélateur de la fermeture culturelle à laquelle conduit une conception uniquement utilitariste des études. Comme si les matheux ne devaient faire que des maths, les physiciens de la physique… On oublie ainsi que l’on forme des esprits libres et que la formation humaniste et civique est fondamentale».

Max Gallo, qui n’avait pourtant pas caché avoir voté pour Nicolas Sarkozy en 2007, apporte son soutien à l’association des professeurs d’histoire : “Je juge très négativement qu’on puisse envisager de supprimer le caractère obligatoire de cet enseignement en terminale”.

Le Parti socialiste est bien entendu du même avis et de nombreuses personnalités ont signé la pétition. Bruno Julliard, interviewé par le Journal du Dimanche L’histoire est indispensable pour appréhender le monde”dénonce bien évidemment cette malencontreuse initiative du ministère de l’Education nationale et je ne peux que souscrire à son propos : il parle d’une raison “idéologique” : la vision uniquement utilitariste de l’école qui devrait préparer à une profession mais sans qu’elle serve à ouvrir les élèves et les étudiants sur le monde et d’une autre raison strictement “budgétaire” : des heures supprimées en histoire-géographie, qui entraîneront une nouvelle baisse du nombre de places en Capes (Certificat d’études pour les professeurs).

Il souligne à juste titre plusieurs paradoxes. D’une part, «La culture générale est extrêmement importante et l’histoire, la géographie, mais aussi la philosophie ou les arts permettent de l’enrichir. C’est d’autant plus important dans une société de communication, où les sources d’information sont très variées. L’école doit apporter un socle, avec des repères».

Mais peut-être est-ce de cela que Nicolas Sarkozy et Luc Chatel ne veulent précisément pas ? Comme les initiateurs de la pétition, Julliard pointe la contradiction entre le débat sur “l’identité nationale” lancé par Eric Besson et Nicolas Sarkozy : «Le gouvernement dit s’interroger sur notre culture commune, mais il prive la moitié des bacheliers généraux de tout enseignement et de toute possibilité de réflexion sur ces questions»

Vous y ajouterez une autre incohérence relevée dans le texte de la pétition, à savoir que Nicolas Sarkozy multiplie les références à l’histoire dans ses discours. Mais le plus souvent, de façon ridicule – lecture obliga-toire de la “lettre de Guy Moquêt”, malencontreeuse initiative, heureusement abandonnée ! qui eût consisté à confier à des écoliers la mémoire d’un enfant déporté… - quand il n’utilise pas pour sa démonstration des citations sorties de leur contexte et tout a contrario aux idées des personnalités à qui il les emprunte et ont eu le bon goût de disparaître : l’historien Marc Bloch - “le plus grand historien peut-être du XXe siècle” - n’est plus là pour lui porter la contradiction…

C’est chose maintenant tellement connue que Nicolas Sarkozy fait profession de menteur chronique et que s’il sollicite l’histoire c’est toujours pour apporter de l’eau à son moulin. Mais comme celui-ci ne tourne pas plus rond que sa cervelle, il est constamment obligé de travestir la réalité des faits et des idées sinon de chercher à réecrire l’histoire. Le dernier exemple du ridicule le plus achevé étant d’avoir prétendu être présent à Berlin le soir de l’ouverture du “Mur” , le 9 novembre 1989.

Comme je l’avais souligné récemment au sujet du débat sur l’identité nationale et la campagne électorale pour les élections régionales, Nicolas Sarkozy fait le grand écart entre l’électorat populaire où il utilise les arguments démagogiques les plus répugnants – il veut du «gros rouge qui tache» - et l’électorat intello, ce qu’ils appellent les «sachant». Cet ultime épisode de la lutte contre la culture et la raison devrait tout au contraire lui aliéner encore davantage et définitivement tout ce que la France compte de personnes intelligentes et cultivées !

L’utilité de l’histoire pour comprendre le monde dans lequel nous vivons est importante et j’y reviendrais, concernant le débat sur “l’identité nationale”. Pourquoi avoir écrit en titre : “mon” histoire-géo ?

Tout simplement parce que sans avoir nullement la prétention d’être historienne – d’autant que je suis loin de tout connaître ! – j’ai toujours été passionnée par l’histoire, sans nul doute grâce à mon père qui en était féru et la savait conter de manière captivante.

Depuis longtemps, je me suis aperçue que l’histoire était un outil indispensable pour comprendre le présent et anticiper l’avenir, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Certains disent qu’elle bégaie. Quand bien même Marx (?) aurait-il déclaré «qu’elle ne repasse jamais les mêmes plats»… Mais je ne suis nullement forcée d’adhérer à sa conception dialectique de l’histoire ! Qui reprend au fond la conception héraclitéenne du mouvement éternel : tout coule, tout passe et rien ne demeure. L’on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve.

Certes, les choses ne sont jamais reproduites à l’iden-tique. Mais comment ne pas voir dans l’appropriation de l’espace public par des intérêts privés, une sorte de retour à la féodalité ? Dans la façon dont le “bouclier fiscal” protège les détenteurs des plus grosses fortunes de l’impôt, un retour à l’Ancien Régime et ses privilèges ? Dans le détricotage du droit social, la suppression de la protection sociale et le mépris pour le dialogue social, un retour aux débuts de la révolution industrielle et ses patrons quasi de “droit divin” ? Et aujourd’hui, le débat sur l’identité nationale présente trop de ressemblances tragiques avec les pires heures de l’Entre-deux-guerres où la haine de l’autre – le juif, l’étranger, le métèque – a conduit le Régime de Vichy à livrer les juifs aux nazis.

Enfin, l’enseignement de l’histoire en Terminale – qui traite précisément de la seconde guerre mondiale – porte également sur l’histoire plus récente et va, selon ce que j’ai lu, jusqu’à la chute du mur de Berlin.

Si vous y ajoutez la mondialisation, il est certain que la connaissance de la géographie mondiale est indispen-sable et que ces deux matières ne sauraient être survolées.

L’intérêt de la géo-politique est évident, tant sur le plan des ressources mondiales que celui des stratégies des grandes puissances. Les conflits qu’ils soient de grande ampleur, locaux ou régionaux ne s’expliquent pas autrement. Il suffit de se plonger dans des cartes pour s’en convaincre.

L’on ne saurait comprendre autrement le succès de l’émission «Le dessous des cartes» (ARTE) de Jean-Christophe Victor et des livres qui en ont été tirés. Très didactique et fort bien conçue, donnant de multiples éclairages en un temps assez limité. A chaque fois, j’ai l’impression d’être un peu plus intelligente.

Je n’ai malheureusement pas retrouvé un commentaire laissé sur un article du Monde. Qui disait en substance que les littéraires ne seraient aucunement aptes à saisir les enjeux scientifiques et économiques, sauf à le faire grâce à un i-Pod (!)… Pour ma part, je n’ai pas d’i-Pod ni envie d’en posséder. Mon simple petit téléphone portable suffisant amplement à l’usage auquel il est destiné : téléphoner. En revanche, je sais m’informer, lire et analyser. Il suffit, ce me semble d’avoir l’esprit ouvert et critique et ne pas avoir peur de se creuser les méninges.

Même si je préfère la littérature, l’histoire, la philo et les sciences humaines. J’ai été 20 ans infirmière, il m’a bien fallu m’intéresser à nombre de problèmes médicaux et je continue. Ensuite, j’ai fait des études de droit et donc plusieurs cours d’économie. Je ne suis vraiment pas du tout matheuse mais j’ai quand même réussi à me faire rentrer dans le bocal le minimum d’équations indispen-sables en économie.

J’ai lu un autre commentaire (sur 20 minutes) vantant les mérites de la démarche scientifique en ce qu’elle “développe le sens logique et critique par la formulation d’hypothèses vérifiées par les expériences, la critique des résultats, l’interprétation scientifique du résultat d’un calcul, la mise en doute d’un raisonnement”… Tout cela relève de l’évidence mais reste confiné au strict domaine scientifique.

Or, je n’ai pu m’empêcher de penser à la critique formulée notamment par Marc Velo et Jacques Testard que j’avais entendus sur France-Culture au sujet des OGM. Qui reprochaient précisément à nombre de scientifiques de ne pas s’interroger sur la finalité de leurs recherches. Ils nommaient cela du «scientisme» : croire que c’est forcément bon pour la société et les humains parce que la science le permet…

N’y manquerait-il pas comme un soupçon d’éthique et de recul pour savoir si nous avons forcément besoin de tout ce que la science permet de découvrir et faire ? Après tout, n’est-ce pas la science qui permet en même temps de soigner certains cancers par la radiothérapie et de fabriquer les bombes atomiques ?


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