Ni droite, ni gauche, écrivais-je récemment sur ce blog. Il y en a assez de cette droite bonapartiste qui sait tout et qui agit sans rien vous dire ; il y en a assez de cette gauche jacobine et dépensière qui sait mieux que vous ce qu’il vous faut et qui prélève le maximum d’impôts sans que vous ayez le moindre droit de regard sur ce qu’elle gaspille. L’étatisme français, venu d’une tradition romaine, catholique, napoléonienne et laïcarde IIIe République, est obsolète. Non, les politiciens ne sont pas les grands prêtres ; non, les experts ne détiennent pas la vérité ! La société moderne est adulte et éduquée : elle aspire à se prendre en main.
Royal l’avait senti qui prônait la démocratie participative – las ! elle a récupéré les votes pour son ego démesuré et brouillon. Sarkozy l’avait bien vu en prônant le travailler plus pour gagner plus et plus de pouvoirs au Parlement – las ! les vieux démons reviennent, servis par cet esprit de Cour qui fait de chaque expert un collabo, prosterné devant son calife. Ni droite actuelle, ni gauche actuelle en attendant le recomposition. Reste à être « ailleurs ». Par exemple avec Daniel Cohn-Bendit dont Le Monde Magazine publie un long entretien le samedi 5 décembre.
C’est peut-être la leçon des dernières élections européennes de l’avoir révélé. Ni droite, Dany le rouge est libertaire; ni gauche, Dany le vert est anti-jacobin. Ont voté pour lui des gauchistes utopiques, issus de la mouvance 1968, adeptes de l’élevage des chèvres au fin fond du Larzac et de la rupture avec « le système » productiviste. Ont voté pour lui les bourgeois bohêmes parisiens, adeptes du bio et du vélo, voire du bien-être social pour le plus grand nombre. Oh, certes, le parti Vert est un groupement parfois sectaire et surtout bordélique. Il regroupe des mouvances qui vont de la mystique au progressisme rationnel. Il adore la division gauloise, l’invective militante et le coupage de cheveux en huit dans le sens de la longueur sur d’obscurs détails intellos. Mais, heureusement, il a Daniel Cohn-Bendit.
Lui sait faire la synthèse entre passéistes amoureux des petits oiseaux et futuristes qui voient la croissance autrement. Son projet est celui d’une nouvelle société, utopie qui éclaire l’avenir et qui répond au besoin de croire. Il a piqué l’idée à la gauche, mais refuse les appareils staliniens ou l’éternelle parlote royal-socialiste. Que dit-il ?
- Que pour faire quelque chose de sérieux, il faut se rassembler. D’où son ouverture du Modem, malgré le pétainisme moral du Bayrou, et jusqu’aux centristes de l’UMP ; d’où son ouverture à cette moitié du PS proche de la social-démocratie européenne.
- Que la société ouverte sur le monde et sur le futur ne peut qu’être libérale, au sens de 1789 contre les superstitions d’Eglise et les contraintes sociales des puissants, et libertaire au sens de 1968 devenu adulte contre l’infantilisme d’Etat et la révérence envers l’expertise sans contrôle (dont les banksters ont montré les errances). « L’écologie politique refuse la déresponsabilisation, compte sur l’esprit d’entreprise, l’associatif, la réflexion de chacun. L’écologie politique n’est pas dogmatique, elle défend ce qu’Edgar Morin appelle ‘une économie plurielle’, avec des pans fonctionnant selon les lois de l’initiative individuelle et la concurrence, si besoin est avec des outils financiers adaptés, à côté de grands travaux encouragés par l’Etat, tout en s’appuyant sur les pouvoirs locaux, les citoyens, l’autogestion collective des usagers. Evidemment, en France, cela peut sonner libéral. » Et alors ? Il n’y a que les dévots du marxisme figé dans le dixneuviémisme, très présents encore à gauche pour y avoir baigné tout petits, qui seront offusqués de cette laïcité pragmatique envers le Dogme !
- Que nous sommes une humanité une, partie de la biosphère qui comprend aussi les animaux et les plantes, interdépendant avec elle.
- Qu’il faut donc réfléchir à un modèle de prédation sur la nature plus durable, moins gaspilleur et moins soucieux du profit à court terme.
- Qu’un choix technologique du tout nucléaire est aussi un choix de société : il met les experts à la tête, il encourage le secret, ferme les dirigeants en caste. Cela au détriment de la démocratie qui doit contrôler les activités de ses politiciens et débattre des peurs irrationnelles de toute technologie.
- Qu’une société ouverte, adulte et responsable, est nécessaire pour lutter contre ces dérives techniciennes. Ce qui implique des contre-pouvoirs comme l’a préconisé depuis les origines le libéralisme politique. « Nous défendons l’idée que le profit capitaliste, le marché laissé à lui-même, le court-termisme, ne doivent pas passer avant les biens communs et les ressources communes. Nous ne sommes pas contre le marché, nous critiquons l’attitude qui affirme que le marché peut tout régler… »
- Que la France traîne les pieds par conservatisme autoritaire ou idéologique, et prend du retard sur les pays européens : à cause d’EDF, monopole technocratique, « il y a moins de panneaux solaires dans le sud de la France qu’en Suède ! »
- Que seule l’utopie – comme innovation politique – permet de penser le nouveau modèle de société de l’avenir : « il faut développer de nouvelles formes de vie et des outils conviviaux qui rendent l’homme moins dépendant de la production de masse : par exemple des machines faciles à réparer, des réseaux de connaissance, des vélos pour tous, etc. (…) Autrement dit, de modifier notre relation à la consommation, au vivant, à la nature, aux autres, aux pays du sud, d’infléchir nos comportements, de cesser d’être boulimiques de pétrole, d’eau ou de viande, tournés vers la satisfaction immédiate, incapables d’accepter des alternatives et de développer la convivialité et la solidarité. »
- Qu’un Green Deal analogue au New Deal de Roosevelt après la crise de 1929 est nécessaire, tourné vers le futur, les industries vertes et le capitalisme durable. « Mais on voit bien que, pour l’appliquer, il faudra aller contre d’énormes résistances des corporatismes, des industries puissantes, des réactions d’inquiétude chez les employés des entreprises menacées. »
Voilà à quoi je souscris pleinement. Mais pour que cette utopie s’incarne en politique, il faudra vraisemblablement que le PS explose entre sociaux-démocrates et marxistes, scotchés en 1981. Il faudra aussi qu’il remplace Ségolène Royal, usée par ses provocations sans lendemain, ses manipulations et son narcissisme démesuré, incompatibles avec l’aspiration au réseau collectif de citoyens. Il faudra que les centristes, la gauche de l’UMP et le Modem, s’allient à cet ensemble. Mais il faudra surtout que le parti Vert s’organise enfin, qu’il pousse de vrais personnages politiques à sa tête, de l’envergure de Daniel Cohn-Bendit.
Soyons réalistes, ne demandons pas l’impossible : ce n’est pas demain la veille.