Magazine Focus Emploi

J'ai testé boulanger-pâtissier

Par Anaïs Valente

Dimanche. 4h30. Drrrrrrrrrrrrrrrrring. Foutu réveil, je te hais.  Je traîne ma carcasse jusqu'à l'atelier d'une boulangerie-pâtisserie namuroise.  En chemin, je sursaute à la moindre feuille morte qui se déplace, tant la ville est déserte.  A-t-on idée de bosser si tôt, aussi.  J'arrive à destination, et je découvre une véritable fourmilière, disséminée dans un dédale de couloirs étroits.  Ce ne sont cependant pas des fourmis qui bossent, mais des hommes.  Uniquement des hommes, ou presque.  Argh.  Bigre, je me demande si je ne ferais pas un stage en boulangerie prochainement, moi...  Je repère cependant une jeune fille penchée sur des raviers de framboises (ce sont surtout les framboises que je repère, pour être honnête).  Pas touche, Anaïs, pas touche.  Elle est concentrée sur son travail.  Elle est présente depuis plusieurs heures déjà, aussi dynamique que je suis lymphatique. A ses côtés, un apprenti dépose avec attention des cerises sur des tartes, une par une.

Du côté boulangerie, il fait chaud comme dans un four.  Logique !  Le four est alimenté au gaz par un énorme tuyau.  Un scénario catastrophe envahit alors mon esprit : explosion, propulsion de petits gâteaux, de tartes, de fruits et de chair humaine dans toute la ville.  Aaaaargh.

Des plateaux entiers de pains, brioches, croissants et pains au chocolat attendent leur tour.  Le travail près du giga four est précis : enfourner, défourner, enfourner, défourner, le tout dans une chaleur dantesque et sur un rythme soutenu.  Pour peu, je verrais les cornes du Diable sur les crânes des ouvriers... 

Je me liquéfie de chaud, j'ai faim, j'ai soif, j'ai sommeil.  Bref, je suis d'humeur très maussade.

Tiens, voilà quelques dizaines de gosettes qui passent sous mon nez, suivies de tartes aux fraises à l'allure appétissantes.  Ma bonne humeur revient instantanément.  J'attends désespérément qu'une fournée soit mise au rebut pour cause de ... euh, je l'ignore, excès de cuisson, de gonflement, de goût... tout pour me permettre une dégustation matinale.  Car j'ai de plus en plus faim.

Retour près de la seule autre femme des lieux, qui se trouve au frais, concentrée dans la préparation d'un fondant de glaçage.  La vue de ce fondant tout blanc, en quantité astronomique, m'écoeure.  Un glacé géant (et quand je dis géant, c'est géant) attend justement sa décoration.  En deux temps trois mouvements, elle le recouvre d'une pellicule de fondant et d'un zigzag de chocolat qu'elle travaille ensuite au couteau.  De l'art, ma bonne Dame.

Pendant ce temps, notre apprenti aligne toujours ses cerises sur les tartes.  Aucune cerise ne doit dépasser en hauteur, c'est la règle.  Et l'appliquer semble décidément bien ardu.

Le va-et-vient des chariots et des plateaux remplis de gourmandise me stupéfie, on se croirait au centre de Namur un lundi matin : embouteillages, dérapages, priorités de droite, arrêts d'urgence.  J'entendrais presque les coups de klaxon.  Clair qu'à ce rythme là, un accident, avec vol plané de croissants, va survenir incessamment, et on va rire.  Mais rien ne se passe.  Même pas drôle !

Le boss passe en coup de vent.  Il est brun.  Il est ténébreux.  Et il a des yeux bleus.  Je me réveille instantanément.  Il me salue.  Et se raconte.  C'est parce qu'il a eu des résultats médiocres (89 % !) à l'école que ses parents l'ont envoyé en stage chez un boulanger.  Voilà comment naît une vocation...

Retour au travail.

Les cerises n'en ont pas fini de faire rager l'apprenti, qui persiste et signe dans leur alignement sur tartes.  Quééén affaire !

Derrière moi, des merveilleux attendent leur finition de crème fraîche.  Des brésiliennes attendent leur finition fruitée.  Des tartes attendent leur finition de fraises. 

Direction le magasin, encore fermé et presque vide.  Les deux rangées de javanais et de mokas orphelins semblent bien tristes.   Petit à petit, les vendeuses me rejoignent et préparent les lieux pour l'ouverture, en chantant "Le bon Roi Dagobert".  Les tartes aux cerises regagnent enfin le comptoir (j'en connais un qui doit être soulagé).  Une abeille fait déjà son shopping.  Il est 6h30, les portes s'ouvrent.  Je suis la première cliente.

J'emporte avec moi : un pain au chocolat et une tartelette aux framboises.



Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Anaïs Valente 5263 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte