Elle dort
Et de toutes les heures du monde elle n'en a pas gobé une seule
Tous les visages entrevus dans les gares
Toutes les horloges
L'heure de Paris l'heure de Berlin l'heure de Saint-Pétersbourg et l'heure de toutes les gares
Et à Oufa le visage ensanglanté du canonnier
Et le cadrant bêtement lumineux de Grodno
Et l'avance perpétuelle du train
Tous les matins on met les montres à l'heure
Le train avance et le soleil retarde
Rien n'y fait, j'entends les cloches sonores
Le gros bourdon de Notre-Dame
La cloche aigrelette du Louvre qui sonna la Saint-Bathelémy
Les carillons rouillés de Bruges-La-Morte
Les sonneries éléctriques de la bibliothèque de New-York
Les campagnes de Venise
Et les cloches de Moscou, l'horloge de la Porte-Rouge qui me comptait les heures quand j'étais dans un bureau
Et mes souvenirs
Le train tonne sur les plaques tournantes
Le train roule
Un gramphone grasseye une marche tzigane
Et le monde comme l'horloge du quartier juif de Praguetourne éperdument à rebours.
Blaise Cendrars, le Transsibérien