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Les trois causes de la popularité de Silvio Berlusconi

Publié le 14 décembre 2009 par Sylvainrakotoarison

(dépêche)
Les trois causes de la popularité de Silvio Berlusconi
Berlusconi : le mystère d'une popularité
Point de vue
LE MONDE | 12.12.09 | 13h53
par Pierre Musso
Malgré les affaires qui l'assaillent, malgré son retour devant les juges après le rejet par la Cour constitutionnelle de la loi qui garantissait son immunité, et malgré ses polémiques avec la presse et la hiérarchie épiscopale, Silvio Berlusconi demeure populaire, même si les sondages indiquent un fléchissement depuis six mois. Il vient même d'être sacré "Rock star" de l'année par un magazine. Il a gagné trois fois les élections législatives : en 2008 sa majorité a progressé de 4 % et aux européennes de juin de 8,2 %. Il parvient à retourner les critiques et à se présenter comme un martyr victime de "complots". Comment expliquer un tel phénomène et sa longévité ?
 
Tel est le "mystère Berlusconi" qui ne peut se dissoudre dans des explications simplistes comme la télécratie, la "peopolisation" ou dans la diabolisation du personnage. Il serait temps d'admettre la complexité du phénomène et de l'analyser en profondeur. Trois types de raisons combinées peuvent éclairer sa réussite.
Tout d'abord, il ne faut pas oublier les fondamentaux du politique. Silvio Berlusconi est apparu dans le vide politique des années 1990-1991, après la chute du mur de Berlin et l'enquête "Mains propres" qui entraînent l'effondrement de la Démocratie-chrétienne, du Parti socialiste et la mutation du Parti communiste. Il a alors créé à partir de son entreprise, un parti puissant, Forza Italia, qui s'est ensuite implanté sur tout le territoire et a fusionné récemment avec le parti de Gianfranco Fini dans Le Peuple de la liberté. Le Cavaliere est désormais le leader du premier parti politique italien qui réunit plus de 35 % de l'électorat.
Or, la vie politique italienne est depuis une quinzaine d'années bipolarisée du fait de la modification du mode de scrutin qui a poussé à la confrontation de deux grandes coalitions. Cette bipolarisation a réduit chaque élection à un affrontement pour ou contre Silvio Berlusconi.
Celui-ci dispose d'une majorité solide qui perdure depuis 1993, malgré des tiraillements internes récurrents et le poids croissant de la Ligue du Nord. Cette alliance lui a permis de diriger le pays durant une législature entière (2001-2006), événement exceptionnel depuis l'après-guerre. En face de cette coalition soudée, l'opposition de centre-gauche est divisée, affaiblie et sans vrai projet alternatif.
Le deuxième type de causes explicatives du phénomène Berlusconi est sa conquête réussie de l'hégémonie culturelle par un travail permanent sur les symboles et les valeurs. De son expérience de l'entreprise et du management, Berlusconi a conservé le culte de la "valeur travail" et de l'efficacité et l'a traduit en slogans tels "le président-entrepreneur" ou le "président-ouvrier", et dans l'activisme débordant de sa présidence.
Dans un pays où près de 90 % de la population se déclare catholique, il colle aux valeurs de l'Eglise et de la famille, par exemple sur l'avortement, la pilule du lendemain, l'enseignement privé ou la présence des crucifix dans les lieux publics. Dans un pays où l'Etat est faible et assez inefficace, le Cavaliere excelle dans l'anti-étatisme. Son néolibéralisme célèbre l'antipartitocratie, l'antibureaucratie, et critique les institutions publiques comme la RAI ou les magistrats régulièrement qualifiés de "communistes". Berlusconi est toujours positionné "anti", de façon à recycler la critique populaire des pouvoirs : il est antipolitique en politique et même anti-médias, malgré son empire médiatique. Il a ainsi pu se permettre de déclarer "Pauvre Italie, elle n'a pas les médias qu'elle mérite !"
Depuis ses débuts en politique, Sylvio Berlusconi veut incarner le rêve d'une Italie unie et efficace, comme s'il s'agissait d'assurer la promotion d'un produit. Il identifie son aventure personnelle de self-made-man à l'histoire de son pays. Il veut incarner dans son corps de chef infatigable, au sourire inoxydable, au bronzage permanent et aux cheveux renaissants, l'italianité avec ses forces et ses faiblesses, afin de renvoyer toute critique dans le camp de l'"anti-italianité".
Manipulateur de signes et de symboles, il a importé dans le champ politique en crise les deux technologies de pouvoir de l'entreprise de médias qu'il a construite et dont il demeure le propriétaire : le marketing et la mise en spectacle télévisuel. Là est le troisième ensemble de causes explicatives du phénomène. Le marketing comme la néotélévision du talk-show et de la télé-réalité sont de puissantes méthodes de captation de l'attention des publics et d'orchestration des débats. Ces technologies lui ont permis de saisir le sens commun et de coller à l'opinion en maniant les émotions et la compassion. Aujourd'hui, on gouverne moins par la violence que par la séduction, la fascination et les peurs.
Sua Emittenza - un de ses surnoms qui confond éminence et émetteur télévisuel - se comporte comme l'ordonnateur des débats publics sur le modèle de l'animateur-présentateur de talk-show. Silvio Berlusconi se place toujours au centre du plateau ou sur le terrain : ainsi à l'Aquila, on le vit se transformer en chef des secours omniprésent. De même, lors des réunions officielles, il détourne le protocole par ses "blagues" ou ses mimiques, de façon à capter l'attention. Empruntant aussi à la fiction télévisuelle, il privatise le politique, et se confond à un héros de soap opera ou de telenovela du type "amours, gloire, pouvoir et argent". Tantôt héros de l'histoire italienne et tantôt martyr qui souffre pour accomplir sa mission au service du pays, il demeure au centre des débats et des conversations.
Au fond, Silvio Berlusconi gagne en politique grâce à sa maîtrise des technologies de l'entreprise télévisuelle plus que par le contrôle des médias. Certes "l'anomalie italienne", celle du conflit d'intérêts, demeure un cas unique au monde, mais le laboratoire italien indique que le politique est devenu du néotélévisuel continué par d'autres moyens. Le sarkozysme s'en inspire. Le dirigeant politique est "télé-réel" (Georges Balandier). Télévisuel et réel, il est suivi en permanence comme le héros d'un feuilleton et devient un personnage familier. Le panoptique social s'est inversé et renversé : "tout le monde" le surveille. Désormais le dirigeant politique est moins le père de la nation que le repère dans une société fluide.
Pierre Musso est professeur de sciences de la communication à l'université Rennes-II. Dernier ouvrage : "Télé-politique. Le sarkoberlusconisme à l'écran" (Ed. de l'Aube)
Pierre Musso
Article paru dans l'édition du 13.12.09


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