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Le fer et l’or

Par Jlhuss

henri_rousseau_005.1260819774.jpg Comment pouvaient-ils s’entendre, ces deux-là ? François-Marie, fils de bourgeois élève à  Louis-le-Grand, pense que la civilisation libère l’homme ; Jean-Jacques, fils du peuple autodidacte, trouve qu’elle l’asservit ; l’un réhabilite l’âge de fer et vante la ville, l’autre renouvèle la nostalgie de l’âge d’or et célébre la nature ;  le premier pleinement des Lumières, le second annonçant le Romantisme. Tiens, jouons même un peu sur les anachronismes : l’auteur de Candide, libéral-progressiste tendance militant-laïc ; l’auteur d’Emile, socialiste-mystique tendance écolo-rêveur. Bref, opposés, également nécessaires, alternativement si français que, comme Gavroch,e on ne sait plus si c’est la faute à Voltaire ou à Rousseau qu’on tombe souvent “par terre le nez dans le ruisseau”, ou grâce aux deux qu’on s’en relève toujours… Voltaire et Rousseau, réconciliables ? A lire les deux fameux extraits que voici, on en doute. Qui sait pourtant si notre époque n’est pas en train d’inventer  leurs retrouvailles ?

Regrettera qui veut le bon vieux temps,
Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée,
Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
Et le jardin de nos premiers parents ;
Moi je rends grâce à la nature sage
Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
Tant décrié par nos tristes frondeurs :
Ce temps profane est tout fait pour mes moeurs.
J’aime le luxe, et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements :
Tout honnête homme a de tels sentiments.
Il est bien doux pour mon coeur très immonde
De voir ici l’abondance à la ronde,
Mère des arts et des heureux travaux,
Nous apporter, de sa source féconde,
Et des besoins et des plaisirs nouveaux.
L’or de la terre et les trésors de l’onde,
Leurs habitants et les peuples de l’air,
Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.
Oh ! le bon temps que ce siècle de fer !
Le superflu, chose très nécessaire,
A réuni l’un et l’autre hémisphère.
Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
Qui du Texel, de Londres, de Bordeaux,
S’en vont chercher, par un heureux échange,
Ces nouveaux biens, nés aux sources du Gange,
Tandis qu’au loin vainqueurs des musulmans,
Nos vins de France enivrent les sultans !
Quand la nature était dans son enfance,
Nos bons aïeux vivaient dans l’innocence,
Ne connaissant ni le tien ni le mien.
Qu’auraient-ils pu connaître ? il n’avaient rien ;
Ils étaient nus, et c’est chose très claire
Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.

Voltaire , Le Mondain, 1736

Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines  ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs, ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot, tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant ; mais dès l’instant qu’un homme  eut besoin du secours d’un autre, dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions  pour deux, l’égalité  disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes,  et dans lesquelles on vit bientôt l’escavage et la misère germer et croître avec les moissons. La métallurgie et l’agriculture furent les deux  arts dont l’invention produisit cette grande  révolution. Pour le poète, c’est l’or et l’argent ; mais pour le philosophe, ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain.

Rousseau , Discours sur l’origine de l’inégalité, 1753

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Arion


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