Magazine Journal intime

Les gens d'ici

Par Diekatze

Bien que je ne sois pas connue pour ma grande sociabilité, loin s’en faut, vous aurez remarqué que j’ai tout de même réussi, par-ci par-là, à rencontrer deux-trois personnes de temps en temps, dans cette magnifique et particulière Golden Bay, particulière en ce qu’elle recense le plus grand nombre d’artistes au mètre carré de tout le pays, qu’elle est la région la plus ensoleillée, que tous ses habitants s’accordent pour lui reconnaître une énergie particulière, et qu’elle n’abrite finalement que peu de néo-zélandais de souche.

Les gens d’ici ont donc pour la plupart choisi un jour de vivre ici, justement, et souvent après un parcours très riche. J’ai d’ailleurs remarqué que les néo-zélandais eux-mêmes sont des voyageurs, peut-être parce qu’ils se sentent un peu isolés sur leurs iles, peut-être aussi parce qu’ils recherchent un peu de leur histoire (je parle des blancs, évidemment, car hélas pour moi, les Maoris, dont l'histoire est ici, vivent plutôt sur l’Ile du Nord, et pas du tout dans la Golden Bay. Rien n’est jamais parfait…). Beaucoup d’entre eux, par exemple, sont déjà allés en Europe (alors que les français poussent rarement plus loin que les frontières européennes).

Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler des

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êtres passionnants dont j’ai eu la chance de croiser la route depuis que je suis arrivée. Les voici :

Victoria : cheveux très blancs, petite silhouette agile, coquette, pimpante, dynamique, elle a probablement passé les 80 ans. Je lui ai été présentée le jour de mon premier marché par mes propriétaires qui pensaient qu’elle pourrait m’aider pour mes problèmes d’estomac. Victoria est en effet connue pour ses compétences en matière de méthodes de santé naturelles. Finalement, nous avons passé l’après-midi ensemble, à parler de tout et de rien, nous découvrant des passions en commun. Victoria est née en Nouvelle-Zélande, mais elle a vécu plusieurs années dans les iles Fidji, puis dix ans en Australie où sa fille et ses petits-enfants vivent toujours aujourd’hui. Elle est maître de Reiki (sorte de magnétisme à la japonaise), et loue une petite maison au milieu de nulle part, dans laquelle elle vit, jardine, et déménage toute seule ses meubles d’une pièce à l’autre lorsque l’envie l’en prend. Artiste aussi à ses heures, elle dessine et fabrique des chapeaux en laine bouillie pour un magasin de mode du village. Adorable, généreuse, elle pose rarement chez elle, tant on la demande à droite à gauche.

Georgina : néo-zélandaise également, Georgina  a vécu en Afrique, en France, en Amérique du Sud. Elle a appris, dans notre beau Sud-Ouest, à fabriquer du fromage de chèvre et a acquis depuis, paraît-il, une réputation mondiale dans ce domaine. Pendant qu’elle était en France à affiner ses crottins, elle a épousé Daniel, un français qui vit toujours du coté de Bayonne, où il reçoit régulièrement leur fille, laquelle est revenue vivre en Nouvelle-Zélande après dix ans passés à Paris. Georgina  vit aujourd’hui avec James.

James : Britannique, il a quitté son pays d’origine voilà trente ans maintenant, et parfois son pays lui manque encore. Des petits détails, trois fois rien. En Afrique du Sud, où il a vécu plus de vingt ans, il a appris ce que veut dire vivre dans la violence. Là-bas, il a pris l’habitude, comme tous les fermiers, de ne jamais sortir sans un pistolet à la ceinture. Il lui est bien-sûr arrivé d’être attaqué, et de devoir tirer sur ses poursuivants pour se défendre, comme dans les films, le glamour en moins. Dans sa ferme sud-africaine, parfois, un employé ne se présentait pas au travail le matin, et à sa place venait un homme qui se prétendait un cousin, un frère. En réalité, ce cousin avait selon toute vraisemblance assassiné l’employé, pour le remplacer et avoir un pied dans la ferme qu’il avait l’intention de dépouiller. Aujourd’hui, James a rangé les armes et élève paisiblement des chèvres et une vache (pour le fromage de Georgina). Un jour, il a eu envie d’écrire. Sauf qu’il avait dû quitter l’école très tôt, et il était plutôt mal outillé pour l’exercice. Alors il a eu l’idée, puisque ses heures de travail à l’extérieur ne lui occupaient pas beaucoup l’esprit, d’écouter dans son baladeur des livres enregistrés, assez populaires ici (alors qu’ils sont quasiment réservés aux non-voyants en France), et sa curiosité l’a conduit à écouter de tout, des romans à l’eau de rose aux plus grands auteurs. Résultat, il s’est forgé une culture livresque impressionnante. Aujourd’hui, il anime un petit club littéraire à Takaka.

Niel : artiste peintre, 60 ans environ, on ne le voit jamais sans son chapeau de cow-boy australien bien enfoncé sur ses longs cheveux blonds. Débarqué sept ans auparavant, il a vraiment fait son trou ici. Il vit de sa peinture depuis de nombreuses années, jardine énormément, et rend d’innombrables services à droite à gauche. Récemment, il a reçu une récompense pour un travail de peinture collective qu’il a mis en route et dirigé, la décoration en trompe-l’œil d’un bâtiment communal. Il est également membre actif du groupement HANDS dont j’ai déjà parlé. C’est lui qui en a dessiné les billets (enfin, les bons d’achat…). Pourtant, Niel était promis à un tout autre avenir, quand son ex-femme, en Australie, l’a fait enfermer en asile psychiatrique dans lequel il a passé sept ans avant de pouvoir en sortir. Depuis qu’il est ici, il n’a pris aucune nouvelle de son pays d’origine.

Nena : allemande, d’un blond platine naturel, Nena désespère de trouver un travail à Nelson où elle s’est installée il y a 4 mois. Enseignante dans son pays, elle se bat pour faire valoir ses acquis, ses diplômes, et obtenir un visa de travail. Cercle vicieux, pour l’obtenir elle doit prouver qu’elle a du travail. Et pour avoir du travail, elle doit posséder un visa de travail. Pas facile. Nena a 49 ans, et elle a tout quitté, tout vendu, tout laissé derrière elle. Par dépit. Parce qu’elle ne trouvait pas de travail dans son pays. Alors elle s’est dit : « Puisque vous ne voulez pas de moi je pars. Et je ne reviendrai jamais. » Aujourd’hui, une de ses plus grandes peurs est de devoir y retourner si elle ne s’en sort pas ici. Alors elle lorgne sur les DOM-TOM français, puisqu’elle parle notre langue aussi couramment que l’anglais. Lorsqu’elle est arrivée ici, elle a acheté un camping-car, et elle a fait le tour du pays. Puis elle a trouvé un coin isolé dans la Golden Bay, et elle a passé trois semaines en pleine nature, totalement seule, à la recherche d’elle-même, de ses difficultés intérieures, afin de mieux les extirper, les éliminer. Nena est en quête spirituelle.

Sybille : d’origine Philippine, Sybille vivait à Manille (10 millions d’habitants) où elle passait des heures infernales dans des embouteillages monstrueux, lorsqu’elle a rencontré Jack, australien, plus vieux qu’elle de vingt ans. Avec lui, elle est venue s’installer d’abord à Christchurch, où ils ont eu des jumelles qui ont six ans aujourd’hui, puis ici, dans les collines de la Golden Bay où Jack, ingénieur aujourd’hui retraité, a entièrement conçu et construit leur maison écologique : toilettes sèches, panneaux solaires, eau de la rivière, potager, poules, chèvres, leur habitation est entièrement autonome. Ils n’ont aucun voisin, une vue superbe, et se sont offert le luxe d’une piscine. Comptable de formation, Sybille travaille à son compte, mais pas trop, parce qu’elle veut avoir du temps pour ses filles.

Shirley : Shirley est américaine, folle de chats, solitaire à l’extrême. Elle écrit des livres pour enfants (mais n’a malheureusement pas d’éditeur), et fabrique des cosmétiques à base de plantes, qu’elle vend sur le marché du samedi matin. Un jour, elle est tombée amoureuse et est partie faire le tour de l’Amérique du Sud avec sa petite amie. Ça a duré deux ans, puis l’amour s’est évaporé, et elle est venue ici, où elle avait vécu enfant avec sa famille. Elle aurait préféré le Canada, mais il y fait trop froid. Shirley déteste le froid (je l’ai vue avec un caleçon long + un jogging + une jupe un jour qu’il faisait 20°C). Elle vit avec deux chattes angora, superbes mais aussi sauvages l’une que l’autre, probablement à cause de l’extrême solitude de leur maîtresse. Je connais Shirley parce que je garde ses compagnes félines, justement, lorsqu’elle part camper dans les montagnes, seule, pendant deux ou trois jours. Lorsqu’elle a quitté l’Amérique pour venir ici, elle a dû laisser derrière elle trois de ses cinq chats, n’emmenant que ses deux préférées, ce qui lui a tout de même coûté la somme de 10 000 dollars néo-zélandais (5 000 euros) en frais de transport, quarantaine, vaccins et paperasses diverses. Faut-il les aimer…

Joli panel, non ? Et encore, je ne vous parle pas de Yann et Séverine, des français

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qui vivent dans une yourte ; Helena, une allemande qui vit dans un camping-car et gagne sa vie en effectuant des travaux de peinture divers (comme repeindre un vieux banc en fer pour mes propriétaires) et qui profite de son temps libre pour écrire un livre photographique sur… la vie en camping-car ; Tiko qui joue (et enregistre des CD, il serait connu) de didgeridoo ; Claude, une baronne belge qui cultive son potager tranquillement autour de la minuscule maison qu’elle vient d’acheter, et dans laquelle elle vit assez chichement ; Shona, une esthéticienne anglaise (beauty therapist en anglais, j’aime beaucoup) arrivée dans le coin il y a six ans avec son mari et ses deux enfants adolescents tout simplement parce qu’ils avaient envie d’aventure, et qui a depuis monté avec succès son propre salon.

Tout le monde a une histoire à raconter ici, tout le monde a un projet aussi. Beaucoup sont artistes, certains sont un peu farfelus. Ce que j’aime ici, c’est qu’aucun d’eux n’est prévisible. Ici, on ne peut pas catégoriser au premier coup d’œil les gens que l’on rencontre, comme on le fait souvent, parce que personne n’est jamais ce qu’il a l’air d’être. Ici, on vous accueille très gentiment, très simplement, et on attend de voir ce que vous allez donner. Puis on vous adopte… ou on vous oublie. C’est juste à vous de jouer !


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