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Le regard des poètes et des dieux !

Publié le 19 décembre 2009 par Perce-Neige
Le regard des poètes et des dieux !

C’est au cours d’une conférence que donne François Roustang, en mars 1988, à la National Psychological Association for Psychoanalysis de New-York (in « Feuilles oubliées, feuilles retrouvées ». Ed. Payot). Il y évoque la fin de l’analyse. Mais peut-être, aussi, un peu plus que cela ? Comment se débarrasser de nous-mêmes, ou plutôt de ce noyau qui nous paralyse... « La guérison est le commencement de l’Orient », dit-il. Là-bas, sans doute, n’avons nous nul besoin d’écrire, et de le dire ! Qui sait ? « Mais il me semble que l'on ne doit pas en rester là, car le narcissisme peut devenir une maladie, (la maladie du rapport à soi comme autre, du rapport à soi comme à son propre rêve. Cela sans doute peut fabriquer les grandes ambitions. C'est César préférant être le premier en ce village plutôt que second à Rome, c'est Freud comme Hannibal investissant Rome, ou Freud encore, à l'instar de Darwin, humiliant le genre humain. Mais même dans ces cas, pour que soit rétablie la relation aux autres et que se réalisent les ambitions, un renoncement à ce narcissisme de rêve s'impose. Il faut que, dans une partie de lui-même, l'individu mette fin au besoin de toute relation aux autres et à lui-même, qu'il atteigne à la plus grande guérison dans la plus grande maladie, c'est-à-dire à l'espoir-désespoir de la solitude. Non seulement il s'agit de n'avoir plus besoin d'être regardé, d'être entendu, d'être aimé, ce qui serait l'état minimal pour que la névrose soit éliminée, le point zéro qui tue toute velléité de névrose. Non seulement cela, niais en outre ou en deçà, n'avoir plus besoin de se regarder, de s'entendre et de s'aimer. Donc la rupture de toute relation non seulement aux autres, mais à soi-même. La fin du Narcisse, la fin de soi-même, la fin de la dualité, la fin du clivage, ce fameux clivage du moi qui fascine tant les Occidentaux. L'Occident qui veut être regardé dans son individualisme forcené, ou qui se regarde lui-même faute d'être regardé, qui veut être entendu ou qui s'entend et se comprend faute d'être entendu et compris. Au contraire, l'Orient qui regarde: être perdu dans le regard qui se porte sur les autres et sur le monde. A ce point, la fin du transfert, la guérison, est le commencement de l'Orient. Un professeur allemand, nommé Herigel, avait été invité au Japon pour y enseigner. Comme il s'intéressait à la mystique orientale, il avait demandé à être initié au Zen. Il lui fut conseillé, comme moyen d'initiation le plus rapide, d'apprendre le tir à l'arc à l'école d'un maître Zen. Il raconte longuement son apprentissage dans un petit livre très précieux. Toute la difficulté pour lui était de renoncer à l'intention de bien bander son arc, à l'intention de viser la cible, à l'intention de l'atteindre en son centre. Il s'agissait d'apprendre à faire les gestes nécessaires, sans que la volonté ou l'intentionnalité viennent perturber le mouvement. Après des années de travail, il réussit à devenir un tireur suffisamment habile pour être admis parmi les autres disciples du maître. Le maître lui expliquait sans cesse que le but était non pas de penser à bien faire, mais de laisser l'arc se bander, de laisser la flèche aller à son but. Il fallait que ça tire, que ça vole, que ça atteigne le but. Avant de le quitter, le maître lui fit une démonstration de son talent. Dans l'obscurité, les yeux bandés, le maître lança une flèche au centre de la cible, puis il envoya une autre flèche, toujours dans l'obscurité et les yeux bandés, et elle vint couper la première. » Et puis, quelques pages plus loin ceci, pour éviter tout malentendu : « Dans ce retour des affects à eux-mêmes, dans cette transformation des affects en force, dans cette fin du transfert analytique, dans ce non-souci d'être reconnu, il faut voir bien sûr la condition de la relation au monde et aux autres. Qui ne se regarde et ne se soucie d'être regardé, celui-là est regard et fait exister toute chose par l'attention qu'il lui porte. Mais il ne saurait réfléchir et se réfléchir. Il n'y a nulle réflexion dans ce regard qui se donne et se perd dans ce qu'il perçoit. Regard qui ne revient pas sur lui-même. Regard dont la contemplation se perd dans le contemplé sans possibilité de se reprendre, de se ressaisir, de se goûter lui-même. C'est peut-être le regard des poètes et des dieux. À Delphes au soleil levant ou dans les Abruzes en avril, la lumière précise qui embrasse sans violence le contour des objets. Ou avec Goethe: das ewige Gelten lassen das Leben und leben lassen, l'éternel faire-valoir, l'éternel mettre-en-valeur, la vie et le faire-vivre. Peut-être que notre travail est achevé lorsque tout simplement nous permettons à la vie d’aller son cours. »


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