Magazine Info Locale

Exposition "Still Alive" Scarlett Coten à Marrakech

Publié le 20 décembre 2009 par Madeinmorocco
Date : du 05 Décembre 2009 au 09 Janvier 2010 | Lieu : Institut Français L’exposition reflétera le livre “Still Alive ! ” de Scarlett Coten édité chez Actes Sud. “Still Alive”


Il est six heures du matin en ce mois de février et c’est bien la première fois que je traverse une frontière à pied, et cela me procure un vrai sentiment d’aventure. Je quitte Taba dans un taxi bondé, radio cassette à fond, et me laisse emporter tout à fait éveillée vers l’inconnu. Une route déserte file

au raz de l’eau, cernée à l’ouest par les montagnes du Sud Sinaï. De loin en loin, quelques cabanons plaqués sur un ciel pur, en face à quelques brasses, l’Arabie Saoudite. Seul un paquebot reliant la Jordanie partage la mer du ciel. Dehors, une étroite bande de plage, des hommes en robes et keffiehs, quelques chameaux, un porche monumental en bois ouvert sur un horizon de sable. La mer Rouge est turquoise, une ampoule se balance au dessus d’un billard, le vent apporte l’odeur de la mer et les chansons d’amour se perdent par les fenêtres ouvertes.

Terminus Tarabin, petit village côtier. Aïd, le chauffeur, me dit qu’il est bédouin, cela ne me dit pas grand-chose, mais suscite ma curiosité. J’accepte son invitation et m’installe chez l’un d’eux

à quelques kilomètres, dans l’unique cabanon posé au pied de l’eau. Amis et connaissances se succèdent, certains parlent quelques mots d’anglais, le soir ils font griller de beaux poissons et me convient autour du feu. Deux hommes, de passage, me proposent de les accompagner dans leur village, à une journée de piste d’ici, au milieu du désert. Ils sont joyeux et prévenants, fiers de me faire découvrir leur univers. Coincée entre eux sur la banquette avant d’un pick-up bringuebalant, la traversée me coupe le souffle.

Le village est une adition de maisons éparses, posées sans logique apparente. Basses, rectangulaires, toits de tôle ondulée, courettes extérieures. Quelques poteaux électriques. Pas de cafétéria ni de gare routière, pas même un commerce. Ici on est invité ou on est perdu. J’ai un petit frisson à l’idée d’être ainsi démunie de mon libre arbitre.

Mais l’accueil est impressionnant. Les femmes effleurent de la main les fronts inclinés des hommes, puis me saluent d’une poignée de main posée aussitôt sur le cœur. La nuit est tombée, en quelques secondes, un bout de toile cirée à même le sable, un plat commun de riz et mouton, un gobelet qui fait le tour de l’assemblée, et entourée de quelques hommes qui nous ont rejoints et qui parlent un langage que je ne comprends pas, je me sens à mon aise et heureuse. C’est le début d’une longue histoire d’amour entre ces gens et moi, entre ce pays et moi.

« 56 000 kms de rien » écrivait Loti, la Khâla, le pays vide deviendra mon éden, ma seconde famille. Plus tard je parcourrai ce désert du golfe d’Aqaba au golfe de Suez, de Rafah à Dahab, d’Abu-Zenima à Naqhl, de Sarabit à Ras Abu Galum.

Jour après jour je photographie mon voyage. Ce qui advient, ce qui m’entoure, ceux que je croise.

Mes décors sont le désert, nos déplacements, les escales. Mon fil d’Ariane ce sont eux.

Je photographie ceux qui m’invitent, ceux qui demandent, tous ceux qui posent. Ils sont au cœur

de ce projet. Les gestes, les rires remplacent la parole. Le temps est différent, les gens également. L’été est chaud. D’une ombre à l’autre, on aspire chaque courant d’air, chaque vague de vent.

On vit au présent et je ne sais plus quel jour nous sommes.

La photographie est une rareté pour eux et mon appareil ne les laisse jamais indifférents.

Une joyeuse complicité s’installe. Les hommes plaisantent dans des poses lascives, les femmes font voler leurs voiles noirs brodés de perles flamboyantes. Le générateur tourne quelques heures par jour, et le cheik possède une télévision à antenne parabolique, installée sous les étoiles. Tout le monde en profite, une ampoule nue vacille au-dessus de l’écran, on zappe, foot, concert en direct d’Arabie, mélo égyptien, CNN, on rit.




Certains n’ont jamais vu d’étrangère, on réclame ma présence. Devant tant de nouveauté, de surprises, de bienveillance, je rentre dans le rythme, je me fonds. J’obtiens la confiance des femmes qui se livrent dans leurs décors intimes. Dans leurs robes vives, entre une pendule en forme de cœur et un palmier stylisé sur le mur, les bédouines posent avec tout le sérieux et l’attention qu’une expérience nouvelle exige. Elles fument, soulevant d’une main le voile.

J’aime ces gens gais, curieux qui posent consentants. Avec délectation.

Alors, entre réalité et fiction, je photographie le voyage intérieur, je témoigne de mon expérience, suivant le fil de mon aspiration, où jeu et mise en scène nous réunissent, au-delà de nos propres cultures, pour un moment de bonheur partagé.

A chaque retrouvaille, je suis accueillie par ces mots : « still alive ! »


Ces photographies sont l’illustration de l’humour, de l’enthousiasme, de la modernité d’un peuple

méconnu. Oublié, menacé, mais vivant.

Scarlett Coten

Vernissage le 05 décembre à 18h30 à l'Institut français Ouvert du mardi après-midi au samedi, de 9h à 12h30 et de 15h à 19h

Adresse :

Jbel Guéliz Marrakech


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Madeinmorocco 20 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine