Un plaisir des yeux?
La splendeur qui s'étale devant nous lorsqu'on roule à vélo sur le sable de la Baltique, tout au Nord de la tendre Polska. D'un côté, tout le poids de l'Europe et de ses innombrables cités, et de l'autre, cette mer qui semble sur le point de s'enfuir vers la Lune, toute ramassée qu'elle est sur le sommet dégarni de la vieille Terre, guettant la nuit pour plonger…
Un plaisir que l’on partage?
La croupe, bon sang ! À deux, à trois, à bientôt !
Un plaisir d'enfance?
Oah, vraiment, l'enfance, je songe à l'enfance et bof… Y a que des plaisirs cons qui me remontent. Des plaisirs d'enfonce. Ah ! Si, si, si. J'en tien un. Un bon gros, à part ça !
Les jours relaxes à la maison, j'avais huit ans, et le salon était jonché de grands journaux. Liszt au piano, ou Mozart… Mais surtout, la Pathétique de Beethoven. L'audition de plusieurs de ces morceaux me ramène encore aujourd'hui immanquablement à cette sérénité-là. Mon père qui moud le café et ma mère vautrée par terre sur les grandes nattes, qui chantonne les mélodies en souriant, un magazine sur les genous. La grosse chatte Boule-de-Soie, assise comme une dame digne et attentive, accoudée sur le bras de la grande chaise berçante. La lumière chatoyante des grands froids filtre et nimbe la pièce et les vitres sont fleuries de glaçures et de rosaces de frimas éclatant.
Un plaisir odorant?
Je suis très olfactif. Lorsque je traverse un village en trombe sur la Gaxuxa et que devant un café se tient un de ces vieux en train de savourer un Partagas ou un Montecristo, je suis instantanément téléporté à Cienfuegos dans les bras de ma petite Ibis, oh ma belle Ibis...
Un plaisir égoïste?
Fermer la porte à un moron une fois pour toute.
Un plaisir de l'oreille?
Je pourrais atteindre la limite permise par Blogger pour un billet, avec cette question. Ce qui joue au moment précis où je rédige, c'est Arthur Rubinstein interprétant Deux Polonaises de Frederik Chopin, opus 26, numéro 2.
Un plaisir charnel?
Mes mains sur ton dos, deux ou trois heures devant nous.
Un plaisir inconnu ?
Entrer dans un pays nouveau, habité par des gens dont on ne sait presque rien, parlant une langue dont même la graphie nous est étrangère. Se comporter ensuite en bloc de cire chaude, se laisser pénétrer par l'empreinte du son, du timbre, de la vibration de ce monde nouveau qui s'épanouit pour nous comme une aube ouvre ses pétales, perçant le feutre bleuté de la nuit.
Un plaisir du goût ?
Les mille parfums de la chatte !…
Un plaisir anachronique?
Écouter de la musique.
Un plaisir qui ne coûte rien ?
Presque tous.
Un plaisir honteux ?
Glisser comme un con, parmi des centaines d'autres blaireaux hagards, dans un TGV lancé à des vélocités idiotes et inutiles, à travers mondes, vallées et pays, qu'ainsi j'évite d'apprendre à connaître et goûter. La honte c'est beaucoup ça, pour moi. Consentir à me déguiser en bétail.
Un plaisir hors de prix ?Rendre visite à ma famille et mes proches restés au Nouveau Monde.
Un plaisir défendu?
La liberté.
Un plaisir surestimé?
Le déballage.
Un plaisir à venir?
Chaque fois, même tout seul. © Éric McComber