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Parce qu’on croit encore au premier amour.

Publié le 26 décembre 2009 par Leschatserrants

Parce qu’on croit encore au premier amour.

Il était temps pour moi de m’éclipser discrètement du parc, et j’ai repris mon chemin, sachant à présent ou je voulais dormir ce soir.

Quand j’avais leur âge, je changeais de petit copain à peu près tous les jours: mes copines m’enviaient de mon succès et les pauvres garçons repartaient le cœur brisé. Mais si j’étais aussi « volage » c’était bien parce qu’aucun n’avait les qualités que j’attendais. A l’époque, je n’étais qu’une gamine. Aujourd’hui encore, le schéma se répétait. Chacun m’avait trahi à sa manière. Moi aussi, ensuite.

J’avais pourtant fait l’effort de les comprendre. Quand j’étais préado, j’adorais lire les bouquins de Françoise Dolto et aussi les guides sur la sexualité distribués au collège. J’avais l’impression de découvrir un manuel divinatoire de tout ce qui m’attendait et j’espérais que cela serait merveilleux quand j’aurais trouvé le grand amour.

J’ai commencé sur le tard, à 14 ans, une fois que j’ai estimé que j’en savais assez. Il y en a eu beaucoup, et jamais le bon.

Il y a celui que, par exemple, tu rencontres à une fête. Il a un physique passe-partout, pour ne pas dire qu’il n’est pas gâté par la nature (l’acné est le mal de l’adolescence, que voulez vous !). Tu te dis que tu n’as pas à avoir des goûts de luxe, vu la sale gueule que t’affiches toi aussi. Tu te dis aussi que tu n’as pas à avoir les mêmes goûts et envies que lui vu le peu de ses congénères qui s’intéressent à toi. T’en as un, alors gardes-le. Lui croit que sortir avec une fille, c’est comme un film porno, peu de dialogues et de fringues, beaucoup de baise, et si possible sans capote, ça diminue les sensations. Malheureusement, ce geek en herbe (car en plus, il est peu sociable) a de hautes exigences et te presse pour que vous couchiez ensemble et fassiez la totale, dans tous les trous. Il adore te peloter un peu partout, surtout là ou il ne faut pas (en plein cours) et ensemble, vos conversations tournent à vide autour des quelques rares jeux auxquels tu t’es vaguement intéressée.

Après, et bien que tu n’aies pas encore cicatrisé, il y a cet homme qui approche de la cinquantaine, fou amoureux de sa Mercedes qu’il bichonne comme s’il s’agissait de sa dernière née, prenant un soin tout particulier à l’entretien de ses costumes hors de prix, un homme qui représente exactement ce qu’il ne faut pas devenir bien qu’en apparence, il ait « réussi ». Cet homme te voit et tout de suite il s’échauffe: il n’a jamais vu de plus belle femme que toi, est prêt à tout pour que tu lui appartiennes. Quand vous sortez ensemble, il promène ses mains partout sur tes épaules, tes reins, il annonce à tout le monde, y compris à des vendeurs qui n’en ont rien à faire, que tu es sa femme, que tu es splendide et que vous formez un couple fantastique. C’est un homme dans la fleur de l’âge qui veut se persuader qu’il peut toujours séduire des ingénues. Cela réconforte son ego.

Et enfin, il y a ce garçon que tu rencontres par hasard, vous commencez à discuter, il te parle de sa vie, de ce qu’il aime et de ce qu’il fait. Tu t’aperçois que vous avez d’énormes points communs, qu’il comprend et voit les choses de la même manière que toi. Ce mec est tellement lumineux que tu peux pas t’empêcher de t’approcher de lui  chaque fois que tu le vois, pour avoir un peu de sa chaleur. Tu es contente d’avoir trouvé quelqu’un d’aussi extraordinaire. Seulement, le hic revient, comme toujours. Tu t’aperçois que quand vous discutez, il te regarde et ses yeux passent à travers. Tu le trouves extra mais la réciproque n’est pas vraie. Il ne te voit pas, tout simplement. Et tu te dis qu’il aurait pu se passer des choses superbes mais qu’il n’y aura rien.

Et enfin, il y a le plus marquant. Kelan.  Physiquement, il n’a rien pour lui. Je veux dire, à part plein de petites pustules boursouflées d’une étrange couleur dont je me garderai bien de décrire. Il a des dents minuscules, et il n’y a pas si longtemps il portait encore un appareil. Il a un grand nez, et des lèvres fines, ce qui donne un résultat assez…zarb.

Mais c’est quand même chez lui que j’ai débarqué sans rien dire 30 minutes après.

-Alors? Il m’a demandé, un léger agacement dans la voix.

-J’ai reçu ton message, j’avais nulle part d’autre ou aller.

Il m’a fait entrer, sans un mot. Je l’ai suivi dans l’appart. Des choses que j’avais crues oubliées resurgissaient au mauvais moment.

Entre lui et moi, il n’y avait eu aucun coup de foudre. Entre autres parce qu’il m’avait confessé qu’il lui arrivait dans la rue de se retourner autant devant les jolis garçons que les filles et que pour cette raison il avait choisi de vivre avec sa mère, qui le comprenait lieu.

Nous vivotions dans des sphères diamétralement opposées : il avait  sauté une classe et étudiait dans un prestigieux lycée tandis que moi je retapais dans une boite à bac, l’école, comme vous le savez, n’étant pas vraiment mon fort.

Nous nous avions l’habitude de nous croiser dans une de ses inévitables fêtes de familles et il s’était avéré être un allié redoutable contre l’ennui. De fil en aiguille nous avons fini par nous voir en dehors de tels cadres et l’une de mes plus grandes victoires fut de l’arracher de ses bouquins pour nous poser dans des cafés mater de jeunes et jolis garçons.  A ces yeux déçus et envieurs, j’en déduisis avec une étrange satisfaction que côté cœur rien ne progressait. J’étais dans la même situation, les garçons qui me plaisaient étaient pris, ce à qui je faisais tourner la tête étaient soit laids soit bêtes (dans le pire des cas les deux).

Mais Kelan était bien différent. J’étais plus naturelle avec lui qu’avec quiconque: je ne me prenais pas la tête pour savoir si j’étais normale ou pas, puisque nous étions tous deux fêlés.

Pour mon plus grand bohneur, il aménagea chez nous quelques mois après, à la demande expresse de sa mère qui voulait lui épargner un longe trajet jusqu’à son lycée.

Que voulez vous que 2 ados célibataires et sans lien de parenté fassent quand ils se retrouvent seuls un après midi ?

Ce genre de situation n’est jamais très évidente. Pourtant, les problèmes ne sont, pour une fois, pas venus des autres : tout le monde était content que nous soyons ensembles, mes parents les premiers. Mais le fait de se chercher sexuellement parlant, ce n’est vraiment pas une chance quand Dieu plane sur nos têtes et que ses représentants nous serinent de nous reproduire le plus possible entre hétéros bien portant. Kelan a toujours eu la classe d’occulter ce qu’il faisait ailleurs- ça m’aurait tuée de le savoir. Ajoutez à cela que je doutais de mes capacités à le retenir le plus longtemps possible, sachant qu’il aimait autant les garçons que les filles et la relation devient explosive. Je ne veux pas justifier le fait que je l’ai trompé, seulement j’avais des circonstances qui disons, atténuaient.

Ma culpabilité m’écrasant de jour en jour, j’avais fini par le lui avouer et il avait quitté ma vie quelques mois après en obtenant son bac. Avec mention en plus.

Avec le temps j’ai compris que nous nous sommes mis ensemble pour de mauvaises raisons et nous nous sommes séparés à cause de ces mêmes raisons. J’avais besoin de quelqu’un et lui d’une couverture.

Mais on est, tout simplement, trop différents: il est au bord du précipice qui mène à la réussite sociale dû à l’acquisition d’un prestige hautement valorisé.

Je me suis toujours demandé comment deux personnes telles que nous ont pu rester ensemble aussi longtemps…

-J’dois aller faire des courses. Tu veux m’accompagner?

Toujours le même, ce bon vieux Kelan, à me couper dans mes considération philosophiques pour des trucs aussi inutiles que faire les courses.

Kelan était toujours égal à lui même, neutre. Ni content, ni mécontent de me voir, en apparence. Son attitude me faisant craquer mais me donnant aussi  envie de le provoquer, je m’agrippais à son bras et lui pris la main dans la rue, sachant que son naturel réservé ne supportait pas de tels signes de tendresse. Il jetait des regards inquiets aux alentours, effrayé à l’idée que nous soyons surpris par des connaissances, aux langues et à la curiosité mal placées.

Cela ne m’effleurait même pas l’esprit. Lui n’avait, visiblement, pas l’air de penser de même.

On est arrivé devant le centre commercial, une gigantesque bâtisse faite de verre et de métal comme on en voit dans les banlieues, ou des dizaines de magasin vendent des fringues, et toujours les mêmes que le voisin (il n’y a que le nom de la marque qui change, après tout) et ou, au dernier étage se trouve un gigantesque supermarché avec des rangées entières de produits semblables et des caissières au visage vide (et quand le visage n’est pas vide il est remplacé par un écran. Plus rentable, moins moche et bavard).

Je ne voulais pas me déprimer à me perdre dans ce labyrinthe tout blanc, alors j’ai laissé Kelan faire les courses comme un grand et je l’ai attendu comme un grand à la sortie. 2 minutes 30 exactement plus tard, un vigile s’approchait de moi. J’avais le choix; soit, voyant que j’étais noire et voulant faire du zèle, il allait me demander de sortir mes affaires, soit il voulait me draguer.

Voilà ce qu’il me dit:

-Mademoiselle, excusez moi, me dit-il, mais vous êtes vraiment charmante. Votre père devait être un terroriste, il a fait de vous une bombe.

-Le vôtre n’était pas Césaire en tout cas.

-Et vous avez quel âge?, dit-il n’ayant probablement pas compris la pertinence de ma réplique.

Quel dommage, ma blague était tombée à plat.

-L’âge d’être votre petite sœur.

-Allez, dites moi quel âge vous avez!

-15 ans.

-Vraiment? Vous ne les faites pas!

Bien sur, puisque je ne les avais plus.

Le pire, je crois était son oeil droit qui partait carrément en freestyle, genre tout à droite, pendant que l’autre me fixait, me faisant légèrement flipper.

-Ravie d’avoir fait votre connaissance, faut que j’y aille!

Je me suis dégagé du mur et je suis rentrée dans le magasin en essayant de me faire la plus petite possible, et en prenant un caddie au passage, pour faire genre j’étais venue faire les courses.

Ça pas été très compliqué de retrouver Kelan: il était au rayon mangas, au milieu de gamins de 12 ans assis en tailleur, le caddie plein à côté.

Ça m’a foutu en rogne.

-Qu’est ce que tu fous, ça fait trente minutes que je t’attends dehors!

Il a rien dit et pire, a continué sa lecture. La, vraiment, j’ai eu envie de le frapper, cette grande fiche molle, ce gros dadais mou. J’ai pris le caddie, ai accroché mon pied sur la barre d’en bas, comme si je faisais de la trottinette, et j’ai roulé. Suffisamment pour prendre mon élan, sans un regard en arrière, et quand j’ai été prête je me suis lancée dans l’allée, en ligne droite, mes deux jambes sur la barre.

Tout ce que je peux dire, c’est qu’à partir de la, ça été la panique. On n’imagine pas le nombre fou de personnes qu’il peut y avoir à cette heure-ci dans un supermarché, des parents qui viennent remplir le frigo pour la semaine, ceux qui font leurs courses de dernière minute… Les gens fuyaient sur mon passage, ou voyaient leurs courses bousillées, pendant que moi je riais comme une hyène. N’empêche, je maîtrisais bien mon engin, j’arrivais à virer à droite et tout pour éviter les présentoirs, pendant que les vendeurs fulminaient. Et puis j’ai entendu Kelan crier mon nom. Je me suis retournée, et ma course a pris fin.

A ma décharge, je dirais que la raison n’est pas la queue de poisson qu’a fait Kelan du haut de son caddie vide puis le virage à gauche que j’ai fait pour le rattraper mais étant trop rapide, je l’ai heurté  de plein fouet, nous propulsant moi et la bouffe, ma grande personne sur lui et la bouffe par terre, écrasée, salissant et colorant le sol; non, c’est plutôt la surprise d’avoir découvert ce gars aussi planplan sous un autre jour, capable de me poursuivre du haut d’un caddie comme un gamin de 5 ans.

Après toute cette merde, les autorités du supermarché sont venus nous rappeler que ce qu’on faisait, c’était pas sérieux. Dieu merci, y’avait le vigile qui m’avait dragué parmi eux. Et je ne me suis pas faite gronder.


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