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D'interminables silences ?

Publié le 27 décembre 2009 par Perce-Neige
D'interminables silences ?

Supposons le naufrage (lequel n’a rien d’inéluctable, tout de même !). Il reste quelques textes que nul ne saurait oublier, il me semble. « Belle du seigneur », bien sûr. Mais aussi « Hécate et ses chiens » de Paul Morand. Vous connaissez, je suppose ? Ces deux extraits, magiques, parlent d’un temps où tout était « inondé de clarté ». On a connu ça… Ceci d’abord, donc : « Nous passions la nuit ensemble, très souvent, parce que les nuits prolongeaient la journée, sans ces coupures des pays du Nord que sont l'allumage des lampes ou les repas à heures fixes; nous mangions quand l'envie nous en prenait; allongés pour l'après-dîner, nous restions ainsi, face au ciel, sous la voûte d'étoiles, jusqu'au chant des mosquées qui faisaient de la ville une masse harmonieuse et bruissante, avec des appels de muezzins jaillissant à toutes les terrasses de la cité indigène, tandis qu'un énorme soleil bondissait hors de la mer. Nous ne nous mettions pas au lit, comme des bourgeois. Tout était un agrément et d'une facilité extrême. J'avais longtemps cru que les rapports entre amants sont choses compliquées, que les femmes sont dangereuses. Or Clotilde répondait au téléphone, ne jouait pas, ne buvait pas, ne sortait que pour aller à sa banque, pour acheter des olives ou des amandes grillées, pour se faire les ongles ou des permanentes. Elle n'était pas le sphinx redouté par ma timidité adolescente. Passive, orientale presque. Rien ne me ravissait comme de la voir rentrer du marché avec une masse d'iris jaunes, ou avec une brassée d'arums immaculés, non fripés par le voyage, et sa tête de petite fille apparaissait entre les calices, énormes comme une cornette de religieuse. Chez elle, j'aimais le contraste entre ses fauteuils dorés, avec leur rassurante tapisserie aux Fables de La Fontaine, sa vaisselle plate au poinçon du vieux Paris, venue du fond d'un ancien hôtel du Marais, et l'immense vague fauve des collines africaines, inondées de clarté, qui se déroulait au-dessus de nous, sorte de mer arrêtée, de tempête terrestre ballottant ces dernières épaves d'un naufrage occidental. Clotilde... Ce vieux nom me ravissait; il lui ressemblait, comme elle ressemblait elle-même à une des flèches de Sainte-Clotilde, élancée, ajourée, avec le ciel bleu à travers. » Bon, il faudrait tout re-lire. Et garder en bouche, non ? Mais d’autres images surgissent. Celles-ci, par exemple : « L'amour prend beaucoup de temps; c'est pourquoi il fleurit mieux en province; à Paris, tout parle d'amour, les robes, les parfums, les mets, les théâtres, mais personne n'a le temps de le faire; il n'est que de lire les romans de nos pères, qui s'y connaissaient: y penser, s'y préparer, se rencontrer, s'attendre, s'accorder, jouer en mesure: l'existence y passait. Mais avec Clotilde tout était simplifié: notre vie amoureuse se nourrissait d'elle-même. Nous nous entendions parfaitement sans parler, à la façon mystérieuse des animaux; reconstituer nos dialogues serait presque impossible, car nous étions ensevelis dans d'interminables silences que commentaient des regards aussi longs que nos baisers, nos serrements de mains (elle avait la main brûlante des indifférents), nos caresses. Les mots sont faits pour ceux qui n'ont rien à se dire. » Ca continue, n’est ce pas ? Entre autres, « la main brûlante des indifférents »… La suite est plus brutale, vous pensez bien !


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