Cher lecteur,
Laisse-moi, si tu le veux bien, passer rapidement sur le traditionnel et pathétique Réveillon (qui est, comme chacun sait, une inflammation aigüe du réveil, tout comme les oreillons sont une inflammation des oreilles, la preuve étant que le Réveillon provoque, dès le 26 décembre, des régurgitations incontrôlables de dinde aux marrons à moitié digérée baignant dans un champagne éventé), non sans avoir préalablement joué les hypocrites de service en feignant de me préoccuper de ton bien-être matériel et en te demandant avec une sollicitude toute feinte (mais ô combien mielleuse) si le vieux pédophile à barbiche t'a comblé comme tu le souhaitais (laisse-moi deviner: des jouets sexuels made in China et des revues pour adultes remplies d'animaux en tenues légères, bergers allemands en tutus affriolants et ânes du Poitou en guêpières irrésistibles?).
Oublions, donc, le Réveillon de Noël et son cortège de matricides, infanticides et suicides collectifs, pour nous concentrer sur ce qui me pousse à reprendre la plume le clavier après quelques jours de silence bienvenu.
Ce n'est pas tant d'avoir enfin pu visionner la dernière réalisation de James Cameron, Avatar.
Non.
Même si, je dois l'avouer, passer près de trois heures avec des lunettes spéciales sur le nez, à regarder une resucée de Danse avec les Loups (Dieu étant parfois magnanime, Kevin Kostner n'était pas à l'affiche cette fois) dégoulinant de bons sentiments, une sorte d'épopée amazonienne dans laquelle le héros est un peu le fils caché du chef Raoni et du Grand Schtroumpf (oui, la génétique a parfois de ces caprices…), où le message écologique est encore plus lapidaire que dans une super-production de Yann Arthus Bertrand mise en scène par Nicolas Hulot, et où la frontière entre le Bien et le Mal est encore plus simple à distinguer que dans un épisode de Jean Moulin contre ces fumiers de Nazis, tout cela, je le confesse, m'a fait retomber en enfance à la vitesse grand V, et je me suis prise au jeu en moins de deux minutes.
Et, oui, je ne m'en cache pas: j'avais la bouche ouverte pendant la plus grande partie du film, comme une gamine qui n'aurait encore jamais vu de neige et qu'on aurait emmenée au sommet de l'Everest (soyons honnête: je me souviens d'avoir failli gober des mouches de la même manière devant Aliens, The abyss ou Terminator 2, car James Cameron et moi, ça dure depuis Piranha 2, malgré des couacs sonores comme Titanic qui nous menèrent presque au divorce).
Mais comme je te le disais, ce n'est pas tant d'avoir vu Avatar qui me pousse à rédiger ce billet.
J'avais plutôt envie de te narrer béatement ce qui s'est produit après le film, lorsque nous nous sommes retrouvées, ma femme et moi, dans le froid nocturne et les odeurs de merguez brûlée provenant de la fête foraine voisine.
J'étais, comme je te l'ai dit, dans un état d'euphorie infantile presque totale, à la limite de cette extase adolescente complètement futile qui a suivi le premier visionnage de La guerre des étoiles pour quarante millions de boutonneux en 1977.
N'exagérons pas: je n'avais pas l'impression d'avoir vu le film de la décennie, mais j'avais régressé d'environ vingt ans, condition sine qua non pour pouvoir apprécier ce genre de film, si tu veux mon avis (et qui vaut donc pour quasiment tous les films de science-fiction, depuis Plan 9 from outer space jusqu'à La guerre des étoiles, en passant par Planète interdite ou Star Trek, raison pour laquelle nous autres, amateurs de ce genre de productions, sommes régulièrement comparés par notre entourage à des sales gosses immatures amputés d'un hémisphère cérébral, alors que celui qui se purge avec l'intégrale du Décalogue de Krzysztof Kieslowski, en version originale et sans sous-titres, sera considéré comme le digne successeur du rédacteur en chef de Télérama).
Mais passons.
Ma femme, donc, me regardait sautiller comme un ersatz psychotique et camé jusqu'aux yeux de Mimi Mathy dans une scène de Joséphine ange-gardien particulièrement mal jouée.
- Trop bien. Comment dire? Scénario simpliste, évidemment, pas inventé la poudre, hein. Mais putain. Trop. Bien. Souffle coupé. T'as vu les couleurs? Les décors? Non mais on était carrément dedans. Pas d'autre mot. Bluffée. Epatée. Comment dire? Cameron, quoi. Les navettes spatiales? Celles d'Aliens, oui, mais revues et corrigées. Et Sigourney Weaver! Raaah putain, Sigourney Weaver! La classe, la beauté, malgré l'âge, toujours Ripley, quoi, y'a pas photo. Et toi, t'en as pensé quoi?
Sourire amusé, à ce stade, de ma femme, qui me coule un regard espiègle, le genre d'oeillade pétillante qui me met les papilles en ébullition.
- Eh bien…Comment dire, mon amour? Difficile de trouver les mots justes…"grosse merde" serait encore trop doux, je pense. "Navet", trop sympathique. Une bouse, peut-être? Une bonne grosse bouse tellement débile qu'à certains moments, je te jure que je me demandais si Cameron ne le faisait pas exprès. Comme s'il avait eu envie de nous faire un clin d'oeil, tu vois, et de nous dire: "J'ai l'air de vous prendre pour des gros connards, mais en réalité, tout ça c'est pour rire, on fait juste un remake hors de prix de Y'a-t-il un pilote dans l'avion". Je crois que je n'avais pas vu un film aussi con depuis que mon frère m'a obligée à me fader La guerre des étoiles il y a quinze ans. Consternant de naïveté, de connerie et de manichéisme infantile, quoi. Voilà. Mais comme je n'en attendais pas moins, je ne suis pas du tout déçue. Ce qui est l'essentiel. Bon, et si on se prenait une merguez, mmmmm?
Inutile de te dire que j'en ai été toute retournée, ami lecteur.
Des semaines que je piaffais, des semaines que je parlais du film à table, dans la voiture, au lit et même à travers la cloison des toilettes (Si. Honte sur moi. C'est vrai.)
Des semaines que ma femme, tout sourire, m'écoutait patiemment débiter les pires âneries. Sans jamais me demander de me taire, voire (à Dieu ne plaise) de bien vouloir fermer ma grande gueule et de terminer mon assiette en silence, putain de bordel de merde.
Au lieu de ça, c'est elle (oui, elle!) qui m'a proposé, avec un sourire coquin et aguicheur, d'aller voir le film.
En version originale et en 3D, comme je le voulais depuis le début.
Elle a même insisté pour payer les places.
Et à la sortie du cinéma, elle me dit qu'elle s'attendait à voir un navet sans nom et qu'elle n'est pas déçue.
- Mais…Mais…Mais…Mais pourquoi tu m'as accompagnée, alors? Pourquoi tu m'as offert la place, pourquoi tu m'as regardée piaffer comme une épileptique pendant des semaines sans me dire que de toute façon, tu n'avais absolument aucune envie de le voir, ce film?
Elle m'a envoyé une pichenette sur le nez, qu'elle a embrassé (mon nez, pas la pichenette, andouille), et elle m'a répondu en rigolant:
- Oui, mais je savais que toi, tu mourais d'envie de le voir, et toi, je t'aime. Voilà.
- …..
Que le Père Noël aille se rhabiller chez Plumeau, lecteur.
J'ai ce qu'il faut à la maison, merci.