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Par Deathpoe

Allons bon, alors c'était ça le jeu. Le mien, où on se croise avec d'autres, sans être bien certains de ce qu'il se passe. Je n'avais pas vraiment de règles, aucune prévision à faire. Une tricherie de temps en temps, comme quand on joue à la bataille quand on est môme.
Sauf que là je ne suis plus un enfant, et ni mes parents ni personne ne me laisseront gagner gratos. Pas de règles, rien. Un peu de logique, un peu de morale, quelques principes pour pas être totalement paumé. Comme dans n'importe quel jeu, impossible de savoir ce qu'il va se passer au prochain tour.
Alors voilà, c'était ça le jeu. Je voyais mon père qui n'arrêtait pas les allers-retours entre le boulot de nuit, la maison, et celle de sa mère mourante. Alors tout se résumait à ça: on naissait, après on s'en prenait plus ou moins dans les dents, ou on profitait dès que possible, le temps d'attendre l'addition. Ça je le savais déjà, je suis né avec la fin en moi, ou plutôt, à mes côtés. Alors dès que possible j'ai lu, écrit, fumé, bu pour deux.
On perd notre temps à gesticuler comme des pantins idiots. On passe notre tour, juste par dépit: le boulot à la con mal payé; la maladie; la fatigue, tout ça réduit notre endurance. Allez, voyons simplement jusqu'où nous sommes prêts à aller. Quels sacrifices, quelles mises? Bordel, quand est-ce que vous arrêterez de passer votre tour pour tout mettre vraiment en jeu, vous compris?
Au tour suivant il y avait l'orgue et la barbarie. Des flûtes à champagnes pleines d'eau ou de napalm, et les invités au banquet ont les yeux bandés. A chacun son tour, on trempe sa cuillère dans les oeufs en neige et la pluie remonte vers le ciel. Invités, votre cravate ne tient pas debout et des papillons font des noeuds aux néons-hérissons accrochés au sol. L'ordre s'est établi lorsque chacun a perdu sa place.
Un samedi, précisément le 12 Décembre, peu de temps après avoir écrit ces lignes, les invités arrivèrent. Je laissais mes perturbations de côté, me servais un deuxième verre. Une fois assis, on m'avait servi une bière. Très bien, ce sera bière et whisky, l'alternance, le manichéisme et toutes ces foutaises. De toutes manières, personne n'aurait eu la réponse à cette question: quel est le but de ce putain de jeu?
Je buvais en silence. Mère-grand était morte la nuit précédente, mon père perdait tous ses repères et je me sentais plus seul que jamais, malgré tout. Là, ça riait sans négociations, avec une tonne de compromis et des petites habitudes tranquilles. Chacun va crever à son tour, et l'idée de la fin n'effleure personne. Avant ça, peut-être bien qu'on ne fait que perdre notre temps. C'est ça l'ironie du sort. J'étais allé vomir une fois avant le début du repas, je commençais à être bien, purifié de toutes questions, comme si certaines concessions avaient été mises en place, méthodiquement. Ce soir là, après le repas, ils s'étaient foutu de ma gueule pendant plus de deux heures, avec acharnement, sans que je bronche une seule seconde. Ça aurait été trop facile, une tricherie de plus. A un moment, je retournai m'accouder aux toilettes gerber la raclette et l'alcool. La mort de la vieille ne m'avait pas ébranlé pour un sou. J'étais attristé de voir mon père dans cet état, mais tout cela était parfaitement logique, compréhensible, normal. Juste un mauvais tour, les dés lancés aux prochains seraient certainement plus prometteur. Elle vient me rejoindre et me demande si ça va. "Voilà tout ce qu'ils veulent, ce n'est qu'une cible, et je tiens parfaitement ce rôle." C'était tout ce que j'avais trouvé à redire, l'esprit retourné par le whisky et la bière. Elle ne comprenait pas ce que je voulais dire, et je m'étais rarement senti aussi seul, avant de m'effondrer dans son cou, en pleurs. Une vérité que je connaissais déjà venait de s'abattre sur moi, plus cruelle que jamais. "Alors c'est ça le but de ce putain de jeu! On vit on crève et plus rien.". La question me turlupinait depuis quelques jours, m'empêchait de dormir. Le pire étant de ne pas savoir ce qu'il se passera au tour suivant. Le quitte ou double, sans que l'on ait vraiment son mot à dire. Je m'étais fait couper les cheveux l'après-midi même, comme pour me faire une nouvelle peau, encore une autre. Misez trop gros et ça vous conduira immanquablement à votre perte, soyez modérés et peureux et un mécanisme parfait dictera votre vie et votre mort.
Cette après-midi, j'étais devant la machine à sous, sans illusions, sans regrets. Le vice du jeu est encore l'un des seuls auquel je n'ai pas succombé. Ce n'était qu'une occupation, rien de plus. Je sors du casino en n'ayant perdu qu'un tiers de ma mise, soit presque rien, alors qu'il y a quelques mois j'aurais tout rejoué, jusqu'à la résignation. Je ne bois plus que de manière occasionnelle et cherche par tous les moyens possibles un échappatoire, un moyen de contourner ces foutues règles sans trop de dégâts. Je sirote un deuxième verre pour éviter de penser aux partiels qui approchent et que je n'aurai eu le temps de préparer convenablement. Parce qu'évidemment, seule l'écriture m'intéresse, et la course au temps.


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