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Après Copenhague : le changement climatique comme enjeu démocratique (2/2)

Publié le 31 décembre 2009 par Labreche @labrecheblog

(Lire le début.)

— Mais elle ne peut pas l’être ! Si elle l’est, alors personne ne cherchera plus de solution ! Et il faut trouver une solution pour empêcher la catastrophe !
— Cela te fait-il plaisir d’affirmer des choses aussi fausses ?
— Il n’est plus ici question de vérité, mais de morale !
— De morale ? Tes propos deviennent de plus en plus incohérents !
— Excuse-moi si cela ne te parle pas, mais oui, il s’agit bien de morale, de l’avenir de l’humanité, de la santé et de la prospérité de nos enfants !
— Bien. Si tu as maintenant suffisamment déchargé ta conscience, parlons sérieusement. Imaginons qu’en traversant cette rue imprudemment, je me fasse heurter par un autobus. Alors que je suis au sol, baignant dans mes entrailles, vas-tu me conseiller de regarder si le feu est au vert ?
— Ne te moques pas ! J’appellerai les secours au plus vite !

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— Bien. Lorsque quelque chose est inévitable, comme l’accident après qu’il a eu lieu, il ne sert donc plus à rien de chercher à le prévenir.
— Non.
— On peut en revanche en gérer les conséquences. En me transportant à l’hôpital le plus proche pour recoller les morceaux récupérables. Eh bien, il en va de même pour le réchauffement. La « catastrophe » dont tu parles, le réchauffement climatique, n’est pas une catastrophe : c’est un phénomène qui est déjà enclenché. Selon les chiffres du GIEC, les températures ont augmenté de 0,74°C au cours du xxe siècle, mais le réchauffement s’est surtout accéléré depuis trente ans, et est estimé à 0,25°C par décennie. De plus, en raison de l’inertie du phénomène, un arrêt total de l’augmentation de la concentration atmosphérique en CO2 entraînerait encore une hausse d’au moins 0,5°C. Tu vois donc bien que nous avons déjà atteint et sans doute dépassé la hausse de 1,5°C depuis l’ère pré-industrielle, et peut-être même les 2°C. À l’horizon 2050, au rythme actuel de l’augmentation de l’activité humaine, il est raisonnable d’imaginer que cette augmentation soit portée à 3°C. Naturellement, les prévisions sont d’autant plus imprécises que la concentration s’éloigne de toutes les mesures connues.
— Et tu ne parles pas de catastrophe ?
— Non, pas en ce qui concerne le réchauffement. La catastrophe, ou plutôt les catastrophes, on commence à les vivre, et elles se multiplieront. Mais elles ne seront pas climatiques, elles seront humaines, sociales. L’ouragan Katrina, par exemple, en 2005, et les répétitions de ce phénomène, qu’on peut déjà prévoir. Mais aussi des phénomènes d’instabilité politique ou de violence déclenchés par le réchauffement : les « guerres du climat » qu’anticipe Harald Welzer.
— Tu veux dire que le changement a déjà commencé ?
— Nous sommes en plein dedans. Et pourtant, nous ne le voyons pas. Le changement, ce n’est pas que le réchauffement. L’épuisement de certaines ressources naturelles, l’extinction d’espèces, ou la désertification de certaines régions, voilà des événements qui passent inaperçus. On l’explique très simplement, les sociologues et les psychologues ont depuis longtemps étudié ces phénomènes : l’homme n’évalue le changement qu’en fonction de ce qu’il voit, de ce qu’il vit au présent. Même s’il a vécu et ressenti le changement, la situation « normale » sera pour lui la situation après le changement, et non avant. L’incapacité à saisir le changement, même le plus aigu, est assez remarquable, par exemple, en ce qui concerne l’épuisement des ressources halieutiques : plus un seul pêcheur ne pourrait considérer comme « normal » de pêcher de la dorade rose dans le golfe de Gascogne. Pourtant, cela était normal jusqu’aux années 1980. A posteriori, on considère cette norme passée comme une pêche miraculeuse.
— Mais alors, si je comprends ce que tu dis, le réchauffement est déjà bien avancé, sa poursuite est inévitable, des catastrophes terribles sont à prévoir, sans que rien ne puisse l’empêcher ? Et cela sera bientôt considéré comme « normal », sans aucun espoir d’un retour au climat d’avant le réchauffement ?
— C’est assez exactement cela, du moins c’est à cela que nous conduit le système actuel.
— Ah, c’est donc qu’il y a un espoir ?
— Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que cette perspective triste, mais probable, correspond fort bien à la conception courante de l’action politique. Un gouvernement n’agit jamais pour prévenir une catastrophe, quelle qu’elle soit, il réagit quand la catastrophe devient tangible. On savait bien, avant le 11 septembre, que des avions pouvaient être pilotés pour s’écraser sur des bâtiments comme le Pentagone et les tours du World Trade Center. Des tentatives aussi spectaculaires avaient été tentées, notamment en France en 1994, et ces deux édifices constituaient des symboles particulièrement sensibles, le Pentagone étant considéré comme cible potentielle en cas de guerre nucléaire depuis la Guerre froide, et le World Trade Center ayant déjà été touché par un attentat en 1993. Pourtant, il n’était venu à l’esprit de personne de mettre en place un système spécifique de surveillance aérienne autour du Pentagone et du World Trade Center. Aujourd’hui — hormis quelques théoriciens du complot — il ne vient à l’esprit de personne d’affirmer qu’un tel acte terroriste est impossible, puisqu’il a eu lieu : dès lors, on met en place des mesures adéquates. Ce que l’on savait possible avant 2001, on n’y croyait pas vraiment.
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— Connaître une menace est donc inutile si l’on n’y « croit » pas, dis-tu ?
— Tout à fait. À l’inverse, on peut croire certaines choses nécessaires alors même qu’on les sait impossibles, ou rationnellement contre-productives. Aussi a-t-on suspendu les campagnes de vaccination contre l’hépatite B en France, devant la crainte non prouvée que le vaccin provoque des cas, de toute façon résiduels, de sclérose en plaques. Le seul effet quantifiable de cette décision, c’est que 4 000 personnes meurent en France d’hépatite B ou C, chaque année. Mais là encore, devant les faits, la croyance et le savoir s’opposent.
— Et c’est cela qu’il faut changer ?
— Disons plutôt que cela est l’une des caractéristiques majeures du système dans lequel nous vivons. Et c’est ce système qui a conduit à la fois au réchauffement de la planète, et à la déception ressentie par ceux qui attendaient beaucoup de Copenhague, mais aussi à la crise financière de 2008 qui reposait sur des institutions dont la fragilité réelle était volontairement ignorée, et à d’autres maux encore.
— Tu parles comme si tu avais prévu l’échec de Copenhague.
— On peut le dire, oui, c’est même pour cela que je ne parle pas d’échec. Comme je te l’ai expliqué, les débats du sommet de Copenhague se sont déroulés comme si le réchauffement climatique était un phénomène à venir, et non comme s’il était entamé. On peut supposer qu’il en ira de même à Mexico l’an prochain.
— J’espère que tu auras l’honnêteté de m’en reparler à ce moment là. Mais pourrais-tu au moins m’éclairer sur les changements que tu proposes ?
— Bien, mais je crains de te décevoir.
— Pourquoi cela ?
— Parce qu’en fait de proposition, je n’ai guère d’idée neuve.
— Mais, et le changement de système dont tu me rebats les oreilles ?
— Eh bien, on sait ce qu’il en coûterait d’en changer. Mettre fin à la société de production-consommation, ce n’est pas vraiment innovant.Mais il s’agit effectivement du choix qui se présente. Or, cela amène forcément à considérer une autre question : qui choisit ? Qui décide de poursuivre ou de changer ? Donc, la discussion est politique, et pour trancher, il faut aussi trancher la question des modalités de gouvernement. De la démocratie, de ses conditions. Pour éviter, comme nous le disions, que la responsabilité d’enrayer le réchauffement climatique ne soit réservée à des gouvernants soucieux de leur propre intérêt. Car pour ceux-ci, il est finalement bien pratique d’avoir à gérer le réchauffement, et non à l’empêcher. Le fait même de mettre en place des systèmes d’indemnisation des pays pauvres par les pays riches en cas de dépassement de certains seuils de température ou d’émission, est une acceptation du caractère inéluctable du réchauffement : simplement, les pays occidentaux paieront aux pays du « Sud » le droit de contribuer à leurs malheurs. Cela ressemble un peu aux marchés des droits à polluer, mais l’intérêt des habitants des pays concernés est lui aussi assez nettement ignoré. L’argent ne remplace pas l’eau et les terres arables.
— Le réchauffement climatique est donc un problème démocratique ?
— Plus exactement, il est une conséquence du problème démocratique. Le réchauffement climatique n’est qu’une des illustrations des travers du système capitaliste inégalitaire actuellement à l’œuvre.
— Ne serais-tu pas simplement antilibéral ?
— Je me garderais bien de qualifier notre monde de « libéral » tant il est éloigné des principes du libéralisme politique et économique. Mais évitons de chercher un nom pour qualifier des principes aussi simples que l’égalité des droits, par exemple.
— Et si l’on ne change pas cela, il n’existe pas d’autre solution ?
— Pour sauver le monde sans sauver les hommes qui l’habitent ?
— N’ironise pas. Mais devant l’urgence, tu n’aurais pas une autre recette ?
— Oh, on peut tout imaginer. Avant la question climatique, le monde était concentré sur d’autres terreurs. Le risque de guerre nucléaire a dominé la moitié du siècle dernier, et a finalement été contrôlé d’une façon très originale, par un équilibre entre des forces totalement irrationnelles puisque des dizaines de milliers de têtes nucléaires ont été produites et stockées sans aucune utilisation imaginable. L’explosion des deux ou trois premières aurait en effet rendu l’utilisation du reste du stock impossible. C’est ce que Jean-Pierre Dupuy appelle le « catastrophisme éclairé ». Nous parlions plus tôt du savoir et du croire : eh bien, lorsqu’on ne croit pas au risque su, il peut être souhaitable de le rendre crédible, de faire en sorte que la menace paraisse plus réelle, même si cela doit passer par une mise en scène irrationnelle.
— Et dans le cas du réchauffement climatique ?
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— On peut tout imaginer, comme je te dis. L’existence de certains pays se joue actuellement, et dépend directement des comportements des pays occidentaux et des principaux émergents comme la Chine ou l’Inde. On pourrait donc estimer équilibré que les pays les plus menacés se voient attribuer un pouvoir réciproque. Si les îles Tuvalu ou le Bangladesh étaient puissances nucléaires, on peut parier que les débats à Copenhague auraient été bien plus fructueux.
— C’est un peu extrême et risqué, non ?
— Bien sûr, mais on peut aussi créer des intermédiaires, les Nations unies, ou une organisation internationale spécialisée. On peut faire de l’émission de CO2 un crime pénal.
— Le dernier prix Nobel de la paix risquerait fort de finir en prison.
— Cela te semblerait injuste ?
— Obama n’est pas responsable, pas plus que toi ou moi.
— Bien évidemment. Aujourd’hui, personne n’est responsable de la situation. Mais on peut comme cela discuter pendant vingt ans des questions de responsabilité.
— Je vois : l’heure est à l’action. Mais je ne suis pas sûr d’être plus avancé, et la planète non plus. Et, franchement, je ne vois plus très bien pourquoi je trie mes déchets, et pourquoi je prends parfois le bus au lieu de ma voiture.
— Peut-être est-ce justement signe que tu as à peu près saisi l’enjeu. L’heure est à l’action, si tu veux, et surtout à la décision.
— Oui, et donc à ses modalités, si je te suis.
— Tu me suis bien.
— Mais les perspectives ouvertes par cette discussion sont bien noires, et je me sens envahi par le désarroi. N’as-tu rien pour me réjouir ?
— Si tu es triste, c’est que tu crois un peu plus au réchauffement climatique, dont tu savais pourtant l’existence. Dès lors, tu as déjà fait le pas le plus décisif vers l’action.
— Puisses-tu alors être entendu par le plus grand nombre, et vite !
— Et puisses-tu pour cela joindre ta parole à la mienne !


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