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Guerre d'Algérie - Ce que me semblent cacher les critiques post-mortem à A. CAMUS

Publié le 08 janvier 2010 par Lalouve
Guerre d'Algérie - Ce que me semblent cacher les critiques post-mortem à A. CAMUS
Alors, voilà, j'écoute et je lis ce que disent les uns et les autres ( défenseurs ou juges à charge) d'Albert Camus à cette occasion du quarantième anniversaire de sa mort accidentelle.
Je n'ai pas le temps de rentrer complètement dans le détail de ce qui m'a amenée à cette hypothèse, mais il me semble que ce dont la plupart des intervenants souhaitent parler au fond, c'est du grand tabou de la guerre d'Algérie.
Mais encore, d'en parler d'une certaine manière. Avec du recul, plus de recul, moins d'affects. D'un point de vue historique justement.
Comme si le temps était venu de lever le tabou, de briser le silence, d'analyser...
(Attention, et ce sera ma précision d'importance, mais je dois la faire - ce n'est nullement pour moi une façon d'en appeler à ces "réconciliations nationales" bidons que l'impérialisme a le secret de nous imposer, genre "on est tous frères et sœurs au pays des Bisounours maintenant que la guerre est vraiment finie, tous ensemble tous ensemble ouai"!).
Peut-être me trompé-je cependant, et je suis ouverte à la démonstration contraire.
Car au fond, sur Camus, on ne parle essentiellement que de cela.
Camus et l'Algérie.
Camus et la guerre d'Algérie.
Camus et "sa" guerre d'Algérie.
Camus et son célèbre mais TOUJOURS tronqué «En ce moment, on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère.» , interprété presque systématiquement comme aveu, parti-pris colonialiste.
Camus contre Sartre, ou Sartre contre Camus, guerre d'Algérie, Manifeste, Prix Nobel - GUERRE D'ALGÉRIE.
Parenthèse- Je ne m'en sors jamais, de ce Kacew de Lituanie qui se fit appeler Gary, mais je viens de finir "L'affaire homme" donc, un recueil d'articles ou d'interviews de Romain Gary écrits ou donnés entre 1957 et sa mort (on "célèbrera" d'ailleurs les 30 ans de son suicide le 2 décembre de cette année) qui comportent des joyaux de philosophie, d'analyse et de poésie (enfin c'est mon avis, et je le partage!) et notamment, la préface que Gary fit à l'édition américaine de "La Peste" de Camus.
Or ce n'est pas cela que j'aimerais citer d'abord à propos de Camus, et pour illustrer ce "mauvais procès" qu'on lui fait actuellement - parce que l'intellectuel, comme nous tous d'ailleurs en règle générale, n'est plus courageux-, mais une interview de Gary par Jérôme Le Thor qui lui demande "Quels sont vos rapports avec le monde en général , par exemple avec le monde politique?"
Et voici ce que répond Gary, - que je trouve finalement mille fois plus juste et plus humble que ce que répondait un Sartre au même genre de question, lui qui se fit un devoir de correspondre à la mythologique figure de "l'intellectuel engagé" -
"Je me suis complètement dégagé de toute participation politique à la petite semaine. Les grandes options sont évidentes dans mon œuvre. Étant donné le poids écrasant du passé historique, toute notion de "solution" est inconcevable dans l'immédiat.
Le noir et le blanc n'existent pas: le choix est presque toujours entre le moins mauvais et le pire. Je ne signe pas les manifestes parce que mon œuvre entière est un manifeste. Il y a cependant une identification entre moi et le gaullisme historique qui a fait que toute la critique de gauche -sauf les communistes- m'est toujours systématiquement tombée sur le dos. Par exemple, Guy Dumur, un jour, a conclu à propos de mon livre, chien blanc, qui est une défense de la faiblesse et où le "faible" - the underdog- gagne à la fin: "Les faibles sont toujours perdants dans l'oeuvre de Romain Gary: ce n'est pas pour rien qu'il est gaulliste." J'ai gardé cette phrase en mémoire, avec son sous-entendu quasi-fasciste, non que j'en veuille au critique en question, qui se débat comme il peut dans la vie, mais parce qu'elle montre les a priori tendancieux que les critiques professionnels, ceux de la dialectique conçue comme une fin justifiant les moyens, servent avant tout souci de justice à l'égard d'une œuvre. Le roman a toujours une un contexte politique, mais les options politiques pratiques immédiates, ce que j'appellerai la technique d'application des principes, est rarement à la portée du romancier parce qu'il n'est pas omniconscient. J'ai horreur des transferts de compétence. Dostoïevski était un génie, mais qui donc irait confier le destin du monde à Dostoïevski? ou à Céline? Vous savez une œuvre romanesque peut dégager ou défendre des idées admirables mais tout est dans la manière de les appliquer, et là, tout peut devenir massacre. Il est évident , dans mon œuvre, que les moyens que l'on emploie pour atteindre un but juste sont au moins aussi importants que les buts poursuivis. Une civilisation ce sont d'abord les moyens."
Il me semble que ce que dit Gary ici, c'est en parfaite résonance avec cette fameuse préface à "La peste" où il dit:
"Camus ne proposait ni traitement ni vaccin philosophique, il savait que personne n'était immunisé. Mais il pensait qu'un homme atteint un stade critique lorsqu'il commence à croire qu'il a "absolument raison". Je cite ses mots: "Croire qu'on a absolument raison est le début de la fin".
Alors, qu'on reproche à Albert Camus cette position philosophique qui me semble justement décrite ici entre autre, par Gary, ce point de vue sur la vie, ce qu'elle doit être, en général, qu'on pourrait appeler "la défense du droit de douter en tout temps, y compris en temps de guerre", pourquoi pas.
Mais dans ce cas le sujet est nettement, plus vaste que ce qu'on lui prête sur la guerre d'Algérie.
Or il me semble que, ces derniers jours, ce n'est pas ce dont il s'agit.
Et qu'en revanche, si le besoin se fait tant sentir de focaliser cette critique philosophique SUR la guerre d'Algérie exclusivement, et bien qu'on ait le courage ou l'honnêteté, ou la clairvoyance de se dire au moins: "Non ,le vrai sujet ici ce n'est plus Camus, c'est 'la guerre d'Algérie'. Le doute est il possible, non pas au sujet de la légitimité de la "décolonialisation" - là le doute n'est pas absolument pas possible - , mais au sujet de la façon dont s'est déroulée cette lutte légitime?" Y a t il ou non la possibilité de questionner aujourd'hui avec une position plus "historiciste", la guerre d'Algérie en soi, et ce qu'il en advint, l'indépendance de l'Algérie telle qu'elle est (et nullement "l'indépendance en soi"), et dans son entièreté, si possible?
Non pas pour "refaire l'histoire" et donner des bons ou des mauvais points (je pense que l'on ne peut pas juger en temps de paix de la même manière qu'en temps de guerre et que c'est facile de dire "ah, moi j'aurais fait ceci ou cela" - et je pense que Camus ne disait rien d'autre dans son fameux "entre la justice et ma mère..." - la situation d'exception qu'est une guerre implique de la part de ceux qui analyseront plus tard de tenir compte ABSOLUMENT de ce contexte très précis). Mais pour analyser au plus juste, dans la mesure du possible presque "froidement", avec du recul, ce qui s'est passé, et sans prendre les vessies pour des lanternes ou se complaire dans une position facile qui consiste à dire "Si ma tante en avait elle s'appellerait mon oncle", mais pour préparer l'avenir.
Alors, si cette intuition est juste, et bien allons-y, parlons (enfin?) de la guerre d'Algérie, sans détours,du mieux que nous pouvons du point de vue de 2010, où l'Algérie et le peuple de ce pays existent désormais (et c'est heureux) comme un "en-soi", et de l'avenir de l'Algérie et du "peuple" algérien (ou plutôt, des peuples qui composent ce qu'on doit appeler la nation algérienne), et laissons les ossements de Camus où ils sont.
Mais ce n'est pas très juste de cacher derrière de prétendues critiques littéraires ou d'un écrivain, un désir qu'on ne veut pas assumer (même si je peux aussi comprendre pourquoi on ne veut pas ou on pense ne pas pouvoir assumer ce désir sur un sujet tel que celui -ci à l'époque que nous traversons)...

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