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Des savants à la merci des financiers

Publié le 19 décembre 2009 par Fuzzyraptor

scienceboutsouffle « Y a-t-il un pilote dans l’avion science  ? Non » Le généticien Laurent Ségalat, directeur de recherches au CNRS, plante crûment le 
décor  : un système « à bout de souffle », « décadent » et aux « dysfonctionnements trop nombreux »  ; des arguments récemment scandés par l’association Sauvons la recherche. L’auteur, lui, ne se limite pas au débat hexagonal. Plaçant volontairement de côté le thème « science et société », il se concentre sur la pratique scientifique et en dresse un portrait au vitriol.

Dans ce royaume, les éditeurs sont rois. Une poignée de revues très convoitées, dont les anglo-saxonnes Nature et Science, obnubilées par la rentabilité, font et défont des carrières, par une simple sélection des articles qu’elles publient. Une pénurie entretenue, absurde à l’ère d’Internet et des blogs, mais dont le chercheur s’accommode, par obligation. Soucieux de sa notoriété, indispensable pour obtenir des crédits, le scientifique propose des articles à un rythme effréné, sans avoir une vue d’ensemble – et encore moins historique – de son domaine. « Publish or perish », disent les anglophones.

Face aux financeurs, il se doit d’être un bon communicant. Priorité aux sujets spectaculaires, les autres sont écartés sans ménagement. Avec ses reviewers potentiels, qui valident ses articles, il doit manier l’art de l’intrigue. Quand il ne manage pas son équipe, il est englué dans les demandes de financement, évaluations et autres rapports d’activité et financiers… A-t-il encore du temps pour ses recherches  ? Guère, ce qui peut le pousser à la fraude  : de la simple négligence au trucage, voire – pratique non réservée à la presse – à la retouche des images.

Comble de l’absurde, le savant se voit obligé d’expliquer à l’avance aux financeurs ce qu’il va découvrir, et gare à celui qui n’atteint pas ses objectifs  ! « Monsieur Einstein, pouvez-vous nous livrer une théorie de la relativité pour dans trois ans  ? » se moque malicieusement l’auteur, qui épingle bien ces pratiques mais avance malheureusement peu d’exemples chiffrés (nombre de fraudes, heures perdues, coût de l’évaluation…). Quid de la prise de risque, de la créativité, des projets à long terme  ? Disparus, comme la sérendipité, cette propension à trouver une chose qu’on ne cherchait pas  ; impensable au sein d’un projet trop cadré.

Le généticien est réaliste mais pas désespéré. S’il critique les « people » de la science, il rappelle que la majorité des six millions de chercheurs dans le monde fait bien son travail, et que tout n’est pas à jeter. En revanche, il apporte assez peu de solutions pour redorer le blason de la recherche scientifique, excepté l’émulation entre équipes d’un même domaine et la fédération des champs de recherche. Servi par de nombreuses métaphores et un humour subtil, mais parfois un rien caricatural et acide, ce court essai est un manifeste pour le retour du scientifique honnête homme de la tradition humaniste.

La Science à bout de souffle  ? de Laurent Ségalat. Éditions du Seuil, 2009, 110 pages, 12 euros.

Article publié dans l’Humanité du 18 décembre 2009


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