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IV, 2. Certains décrivent le deuil comme un passage en cinq stades

Publié le 26 décembre 2009 par Sansmoraline
Plusieurs jours c’étaient écoulés depuis l’annonce de « l’heureux évènement ». Certains décrivent le deuil comme un passage en cinq stades. Je dirais en être resté à la « colère ». Quant à Marie, elle alternait entre rires et pleures, et toutes les heures elle ne manquait pas de m’informer de son état par téléphone… J’avoue m’être réfugié dans un mutisme profond. Et j’ai fait ce que tout homme normalement constitué pouvait faire, je me suis enfuit dans mon travail… Ce qui ne me réconfortait pas le moins du monde, mais cela avait le mérite de me faire penser à autre chose.
J’exerçais en tant que psychologue dans ce que l’on appelle un « hôpital de jour ». Les patients stabilisés peuvent y aller sur prescriptions médicales, comme une forme de dernière marche vers l’indépendance hors de l’institution. Avec les infirmiers, ils pouvaient raconter leurs anxiétés ou les petits bonheurs et les pieds de nez à la maladie, autour d’un café. Jeux de rôles, revus de presse et autre massages thérapeutiques étaient prodigués dans le CATTP d’à côté.
Pour une bonne part, les pathologies psychiatriques étaient dues à l’usage immodéré de l’alcool. L’une de mes premières consultation fut avec un quadragénaire, ancien gendarme. Je lui avais proposé une petite devinette à résoudre : « imaginez un train comprenant une locomotive faisant avancer trois vaguons passagers. Malheureusement une voiture est sur la voix, qui provoque un accident. Où y aura-t-il le plus de morts dans les trois vaguons ? ». J’ai observé son visage se décomposer dans le silence. Il s’était fait dessus… Les dégâts de l’alcool sont impressionnants. Combien ne sont plus capables de reproduire des quadrants en y indiquant les heures et les minutes, ou de se rappeler en quelle année nous sommes… ?
Un cas intéressant c’était toutefois présenté. Dans notre « accueil de jour », les soignants et les patients prenaient leur repas en commun dans la grande salle du rez-de-chaussée. A table je discutais avec la cadre de santé aux problèmes d’hypothyroïdie, des bienfaits de la macrobiotique… Tout en observant le comportement du nouveau venu. Un homme en surcharge pondérale, au cheveux teints en blond, arborant une boucle d’oreille dont un crucifix pendait au bout d’une chaîne esthétiquement trop longue. Ses doigts boudinés tambourinaient un rythme connu. Il conversait avec un jeune artiste schizophrène, au demeurant très doué, il reproduisait à l’infini un être du troisième type de façon stylisé… A un moment donné, il arrêta sa musique, pour poser ses mains à plat sur la table en un tableau qu’il voulu représentatif de la cène. Plein d’emphase il exprima son sentiment d’être un saint parmi les saints, et rompit le pain…
Pour cocasse que cela semblait paraître, j’eus l’occasion de découvrir ce qu’il voulait dire exactement, lorsqu’il parlait de pureté.
Il faut savoir qu’il n’y a pas que des malades dans les hôpitaux psychiatriques. Ca pourrait choquer vu de l’extérieur, mais entre nous, ils y a beaucoup de branleurs qui ont tout compris à la vie… Ils se font cachetonner la gueule par les psychiatres, nourris et logés quasi gratuitement dans leur univers de coton. Certains finalement sortent avec plus d’argent en caisse qu’une honnête aide-soignante qui payent ses impôts pour financer l’oisiveté des malades chronique… Parlent dans le vide de temps en temps pour donner le change : « Bonjour les petites araignées, comment ca va ?! » Et dès que l’on projette une réinsertion par le travail en proposant un C.A.T. ( Centre d’Aide par le Travail ), on s’invente un mal de dos, une histoire abracadabrante d’une infirmière qui a fait une piquouze de Loxapac dans le dos, « dans l’os que je vous dit qu’elle me l’a faite » et que maintenant je peux plus rien faire… Ou des histoires qui commencent par : « hein Docteur que la paranoïa c’est une maladie ? Parce que justement je vois une voiture avec la même plaque d’immatriculation qui me suis tout le temps… ». Evidement je ne parle que d’une minorité.
Dans le cas qui m’a occupé avec « l’ange blond » c’était du domaine de la manipulation du système pénal. Le corps médical n’a pas accès aux dossiers judiciaire. C’est comme cela qu’un médecin généraliste a pu donner du viagra à un détenu en fin de peine, coupable de viol… En ce qui le concernait, il était question de déviance sexuelle, interprétée comme le corollaire d’un accident de voiture ayant entrainé des lésions neurologique… En effet, la littérature scientifique faisait état de certains changement de personnalité suite à des dommages de ce type.
Dans mon cabinet, il usait toujours d’un vocabulaire emprunt de spiritualité. De mande honorable. De monologue sur l’immense amour qu’il portait à ses deux filles. Mais quand il me dessinait ses rapports avec elles. Il représentait un lit avec quatre personnages : la mère, lui, et les deux filles. Mais certaines fois, il n’y avait plus la mère. Et par intermittence, l’une ou l’autre des filles dont l’échelle différait, plus petite par rapport à l‘adulte... A priori, son dénis concernant des actes pédophiles et incestueux, que l’on pourrait qualifier d’impardonnable, par des métaphores angéliques, ce comprendrait fort bien dans un processus de repentir inconscient. Mais la construction me semblait cousu de fils blancs… Alors un matin, dans le bâtiment réservé aux activités thérapeutiques, je me suis présenté à l’improviste. Les rapports médicaux indiquaient des lésions infimes au niveau de l’hémisphère gauche du patient. C’est donc en le mettant en phase d’un miroir, que je lui ai demandé où il avait « mal ». Or il posa sa main sur la tempe droite, avant d’hésiter pour finalement repositionner celle-ci vers la gauche, en cachant ainsi ses yeux avec l’avant-bras… La psychologie n’est pas une science « dure », car difficilement reproductible comme les mathématiques. Ainsi je doute qu’un simulateur de son envergure se fasse avoir une seconde fois avec se genre de subterfuge… Je n’ai jamais posé par écrit mes constatations, d’autant plus que les allégations d’attouchements provenaient de la mère et qu’à cela s’ajoute le fait qu’une des filles c’était présenté un beau jour en sa compagnie et qu’en discutant avec elle, je n’avais pas noter d’Œdipe non liquidé ou une quelconque relation pathologique entre eux…
En fin compte, j’étais épuisé nerveusement par mes propres conflits intérieurs. Et il fallait bien revenir chez Marie à fin d’éclaircir notre relation à deux, voir bientôt à trois…
Je l’aimais cela ne faisait pas de doute. La tendresse, je ne l’exprimais qu’avec elle. Dans mes relations, autant professionnelles qu’en dehors, je posais systématiquement une distanciation. Connaissant l’Homme dans toute sa dimension, et sachant ce que moi-même, je pouvais être à certains moment; c’est-à-dire vicieux et faux, ainsi qu’en même temps capable d’ empathies. Je ne me risquais pas à me dévoiler, car donner une prise sensible, chose essentielle dans l’installation d’une amitié, pouvait être lourd de conséquence lorsque celle-ci disparaissait…
Elle seule connaissait mes faiblesses et mes vanités, pourtant elle ne me les a jamais lancées à la figure. D’une grande douceur, elle me faisait partager sa vision du monde tout en humanisme, prompte à pardonner, même les plus grandes bassesses. Un équilibre parfait c’était installé dans notre relation. Elle compensait ma nuit par son éclat optimiste.
Notre vie parcellaire dans cette ville magnifique qu’est Strasbourg m’inspirait la quiétude. Je me rappelle les longues ballades longeant les canaux et les ruelles étroites témoins de temps révolus. Nos discussions passionnées sur l‘art qu‘elle voulait radical. Les cafés jouxtant la cathédrale. L’ivresse, la fraîcheur de notre jeunesse, la légèreté d’être. J’adorais jusqu’à nos silences…
Dès que je me présenta dans le hall de son immeuble, je fus surpris par l’apparition de sa sœur sortant de l’ascenseur. « Ha ! Tient Siegfried ! Quelle merveilleuse surprise ! ». Il fallait traduire : « je pensais que tu ne donnerais plus de signe de vie ». Et d’un air sincèrement attristé, elle me dépeignait le tableau d’une sœur au bord de la crise de nerfs. Complètement perdu, ce sentant abandonné… « Ce n’est pas à moi de te dire comment réagir, mais il n’y pas de moment plus critique dans la vie d’une femme que celle d’une grossesse. Elle a besoin de soutient ».
L’appartement était dans la pénombre, volets mi-clos. Les cendriers débordaient. Marie m’accueillit dans un bas de jogging et T-shirt XL. Ses long cheveux roux en bataille scintillaient des minces rayons de soleil fragmentés par les stores. Elle alla directement se recoucher sur le clic-clac du salon, couettes relevées jusqu‘au menton…
M’installant à côté d’elle, je sorti une bouteille de champagne de mon sac. Alors évidemment les petites bulles signifient communément la célébration d’un évènement. Je pense qu’elle l’a mal interprété…
Directement j’entama par : « tu m’as toujours dit que tu ne voulais pas d’enfants. Comment se fait-il que tu sois tombée enceinte, tu ne prenais plus la pilule ?». Ce redressant lentement, positionnée à l’indienne, elle s’alluma une autre cigarette… « Combien de fois tu me le demanderas encore ? Je n’ai jamais arrêté ! C’est très rare, mais la protection n’est pas garantie… Pourquoi est-ce que tu viens avec une bouteille de champagne, tu veux vraiment me torturer pour une chose que je n’ai pas voulu ? » Elle me pris la main dans la sienne, chaude et humide : « maintenant je ne te mets pas devant le fait accomplit. Je te demande juste d’y réfléchir. Quelle solution serait la meilleure ? ». Pour moi, c’était très limpide. Je venais fêter sa prochaine IVG. Il n’était pas question de la partager avec un autre être. Je ne suis pas jaloux, juste exclusif… « Marie, nous sommes trop jeunes pour élever un enfant. Imagine ce que serait notre vie. Tous ces voyages que nous ne pourrions pas faire. Et pense à ta carrière ! L’arrivé d’un enfant çà se prépare… Et il faut être deux pour l’accueillir… ».
« Tu veux dire que si je le garde, tu m’abandonneras ? Pour toi c’est simple, c’est ca ?! Ce n’est pas toi qui le porte… La décision me reviens… Tu n’imagines pas le poids… La responsabilité… ». Les sanglots hachuraient sa pensée… Je sentais que la situation m’échappait. Il est toujours simple de juger à froid des cas étrangers à soi. Là j’étais en prise avec des émotions puissantes. Cela me concernait, vraiment ?
« Mon dieu, tes yeux ! Tu devrais te voir Siegfried… Des fois tu me fais peur… ».
J’avais du mal à savoir si elle voulait le garder, ou si la famille ne jouait pas les tiers dans la décision… Peut-être aussi, le meurtre d’un amas de cellules indifférenciées ?
« Tu te rends compte de ce que tu me demandes ?! C’est ton domaine la psychologie, je crois ?! Tu n’as pas l’impression que je revis l’histoire de ma mère ? Je suis capable de donner beaucoup d’amour ! »
En la regardant s’habiller, je voulais dire quelque chose, rien ne sorti. J’étais assis comme un con, l’esprit vide. L’esprit tournant à vide… Quand la porte blindée de son appartement de standing claqua, un éclair me frappa. Pour la première fois, j’avais peur de perdre quelque chose d’important dans ma vie. Cette expérience contrariante transformera notre relation d’une façon irréversible, pensais-je. Ne pas vouloir d’un enfant lui fera sans doutes considérer que je ne suis pas « Le bon » . Un père, je ne serai jamais… Alors quelle sera la suite pour nous ?
J’observais les détails de cette fresque sur les murs de l’ancien hôpital civil. De la fenêtre, éclatant de couleurs, Le Christ surmontait un tas d’ossements ocres…
« Je vais faire un bilan sanguin... J’y vais seule ! », bourdonna dans mes oreilles…
La fumée de ma cigarette montait en volutes bleus.

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