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Quand nous boirons tous l'eau de mer

Publié le 10 janvier 2010 par Thedailyplanet

Partout on manque d'eau. Et les ressources disponibles sont limitées. Une idée fait donc son chemin : dessaler l'eau de mer pour éviter les pénuries. La méthode est toutefois contestée, car elle n'est pas exempte de risques pour l'environnement.

La Terre comprend d'énormes quantités d'eau. Malheureusement, plus de 97 % de cette eau est trop salée pour la consommation humaine et seule une infime fraction du reste est aisément accessible. Selon les Nations unies, plus de 1 milliard de personnes vivent dans des régions où l'eau est rare, et ce chiffre pourrait passer à 1,8 milliard d'ici à 2025. Une manière de faire face à ce grave problème est peut-être le dessalement, une méthode éprouvée qui consiste à retirer les sels dissous dans l'eau de mer et l'eau saumâtre pour produire de l'eau potable. Le processus a le défaut d'être cher mais présente un intérêt évident. Les océans constituent une réserve d'eau pratiquement inépuisable et insensible à la sécheresse. Selon les derniers chiffres de l'Association internationale du dessalement, il existe actuellement 13 080 usines de dessalement en activité dans le monde. Prises dans leur ensemble, elles ont la capacité de produire 55,6 millions de mètres cubes d'eau potable par jour, à peine 0,5 % de la consommation mondiale. La moitié de ces usines se situe au Moyen-Orient. Comme le dessalement requiert de grandes quantités d'énergie et coûte parfois davantage que le traitement des eaux fluviales ou souterraines, il était jadis essentiellement limité aux riches pays pétroliers, où l'énergie est bon marché et l'eau rare.

Les usines de dessalement prolifèrent dans le monde

Les choses sont cependant en train de changer. Rien qu'en Californie, on envisage de construire quelque 200 usines de dessalement d'eau de mer, dont un site d'un coût de 300 millions de dollars près de San Diego. Plusieurs villes australiennes projettent de construire ou sont en train de construire d'immenses usines de dessalement – la plus grande, située près de Melbourne, devrait coûter dans les 2,9 milliards de dollars américains. Selon les projections de Global Water Intelligence, un cabinet de consultants, la capacité mondiale de dessalement aura pratiquement doublé d'ici à 2015.

Certaines organisations écologistes s'inquiètent de l'énergie que ces usines consommeront et des gaz à effet de serre qu'elles rejetteront. Mais désormais nombre de nouvelles installations respectent des normes environnemen­tales strictes. Une usine récemment construite à Perth, en Australie, fonctionne à partir de l'énergie renouvelable produite par un parc d'éoliennes voisin. De plus, son système de captation d'eau de mer et celui de traitement des eaux usées minimisent son impact sur la faune marine. Pour Jason Antenucci, le directeur adjoint du Centre de recherche sur l'eau de l'université d'Australie-Occidentale à Perth, ce site “est désormais un modèle pour les autres usines d'Australie”.

C'est l'industrie sucrière qui a apporté des progrès importants dans le secteur. Pour produire du sucre cristallisé, il fallait chauffer le jus de canne et faire évaporer l'eau qu'il contenait, ce qui nécessitait de grandes quantités d'énergie. Vers 1850, un ingénieur américain nommé Norbert Rillieux obtint plusieurs brevets pour une méthode de raffinage plus efficace, qui permettait parfois de réduire de 80 % la consommation d'énergie. Il fallut cependant une cinquantaine d'années pour que l'idée passe d'une industrie à l'autre.

Quelques usines de distillation à évaporateurs multiples furent cons­truites dans la première moitié du XXe siècle, mais le système présentait un défaut qui l'empêcha de se ré­pan­dre. Les surfaces d'échange de chaleur tendaient à s'entartrer, ce qui diminuait le rendement du transfert d'énergie. Un système de dessalement thermique appelé distillation à dé­tentes étagées permit de résoudre en partie le problème dans les années 1950. Les pays du Moyen-Orient adoptèrent rapidement cette technologie. Comme le système nécessite de la vapeur très chaude, les usines étaient souvent installées près de centrales électriques, qui génèrent une chaleur résiduelle. Pendant un temps, la cogénération eau-électricité domina l'industrie du dessalement.

La recherche s'accéléra dans les années 1950. Le gouvernement américain créa le Bureau de l'eau saline pour soutenir la recherche en matière de techniques de dessalement. Et les scientifiques de l'université de Floride et de l'université de Californie à Los Angeles (UCLA) se mirent à plancher sur des membranes perméables à l'eau mais qui retiennent les solutés et utilisent l'osmose [voir schéma]. Les premières tentatives ne rencontrèrent qu'un succès limité et ne produisirent que de très faibles quantités d'eau douce. Les choses changèrent en 1960 : Sidney Loeb et Srinivasa Sourirajan, de l'UCLA, fabriquèrent alors des membranes en acétate de cellulose, un polymère utilisé dans les pellicules photographiques qui permettait d'obtenir un flux très supérieur. L'arrivée de ces nouvelles membranes se traduisit en 1965 par la construction d'une petite usine de dessalement par osmose inverse pour traiter les eaux saumâtres de Coalinga, en Californie.

Les membranes perméables triomphent du thermique

Si la consommation d'énergie du dessalement thermique ne dépend pas tellement de la salinité de l'eau, ce n'est pas le cas de celle de l'osmose inverse. Plus l'eau est salée, plus il faut de pression (et donc d'énergie) pour que l'eau traverse la membrane. L'eau de mer contient en général de 33 à 37 grammes de solutés par litre. Pour en faire de l'eau potable, il faut extraire près de 99 % de ces sels. Comme l'eau saumâtre contient moins de sel que l'eau de mer, son dessalement de­mande moins d'énergie et coûte donc moins cher. Résultat : l'osmose inverse fut d'abord utilisée pour traiter l'eau saumâtre. Autre distinction importante, l'osmose inverse, contrairement au dessalement thermique, exige un traitement préalable complexe de l'eau à traiter. On retire les particules qui risquent de boucher les membranes au moyen de filtres et de produits chimiques et on nettoie périodiquement les membranes pour éviter qu'elles ne s'entartrent et ne s'obstruent.

A la fin des années 1970, John Cadotte, de l'America's Midwest Re­search Institute, et la FilmTec Corporation créèrent une membrane composite bien meilleure, composée d'une très fine couche de polyamide disposée sur un support solide. Comme elle permettait d'obtenir un flux bien meilleur et tolérait des variations de température et de pH, elle se répandit dans l'industrie. C'est à peu près à la même époque que les premières usines à osmose inverse pour eau de mer firent leur apparition. La première grande usine de dessalement municipale, qui entra en activité en 1980 à Djeddah, en Arabie Saoudite, consommait plus de 8 kilowattheures pour produire 1 mètre cube d'eau po­table. Depuis, la consommation d'éner­gie de ce type d'usine a baissé de façon spectaculaire, essentiellement grâce à l'adjonction de systèmes de récupération d'énergie. Des pompes à haute pression envoient l'eau de mer contre une membrane, qui est en général disposée en spirale à l'intérieur d'un tube pour augmenter la surface exposée et optimiser le flux. La moitié de l'eau sort de l'autre côté sous forme d'eau douce. Le liquide restant, qui contient les solutés, jaillit violemment du système. Si l'on dirige ce jet vers une turbine ou un rotor, on peut récupérer de l'énergie, que l'on peut utiliser pour pressuriser l'eau entrante.

Les systèmes de récupération d'énergie des années 1980 n'étaient efficaces qu'à 75 %, mais les systèmes récents permettent de récupérer environ 96 % de l'énergie du jet de sortie, ce qui a fait chuter la consommation d'énergie du dessalement de l'eau de mer par osmose inverse. L'usine de Perth, qui fonctionne avec un système d'Energy Recovery, une société californienne, ne consomme que 3,7 kW/h pour produire 1 mètre cube d'eau potable. Les économies d'échelle, l'amélioration des membranes et des systèmes de récupération de chaleur ont permis de faire baisser les coûts du dessalement de l'eau de mer par osmose inverse. On est passé en gros de 1,50 dollar le mètre cube au début des années 1990 à environ 50 cents en 2003, confie Tom Pankratz, un consultant en eau du Texas qui est aussi membre du conseil d'administration de l'Association internationale du dessalement. Résultat : l'osmose inverse est la méthode retenue par la plupart des usines de dessalement d'eau de mer modernes. Il sera cependant de plus en plus difficile, selon les experts, de gagner encore en rendement énergétique et donc de réduire les coûts.

Les chercheurs planchent désormais sur des membranes qui permettent à l'eau de passer plus facilement et soient moins susceptibles de se boucher. Erik Hoek et ses collègues de l'UCLA, par exemple, ont mis au point une membrane comprenant de minuscules particules perforées d'étroits canaux de circulation, ce qui accroît le flux de façon significative. La surface de la membrane étant lisse, les bactéries devraient en outre avoir du mal à s'y accrocher. Même si cela dépend des usines, cette nouvelle membrane devrait permettre de faire baisser la consommation totale d'énergie de 20 %, pense le Dr Hoek.

Que faire du concentrat de sel obtenu ?

Alors que le dessalement se répand, son impact sur l'environnement, par exemple les structures de captation et de rejet, fait l'objet d'un examen de plus en plus attentif. Certains des dégâts provoqués par le processus peuvent être atténués assez aisément. Si on réduit la rapidité de la captation, les poissons et autres animaux marins mobiles ont la possibilité de s'éloigner, même si les petits animaux comme le plancton ou les alevins risquent toujours d'être pris dans les écrans de captation ou aspirés dans l'installation. Le concentrat, qui contient en général deux fois plus de sel que l'eau de mer et est rejeté dans l'océan, pose un problème plus sérieux. Il n'existe pour le moment que peu d'informations scientifiques sur ses effets à long terme. La plupart des usines de dessalement étaient jadis construites dans des zones qui ne menaient pas d'études d'impact sur l'environnement correctes, explique Peter Gleik, le président de Pacific Institute, un groupe de réflexion californien qui a publié un rapport sur le dessalement en 2006. On commence cependant à avoir davantage d'informations, au fur et à mesure que des usines s'installent dans des régions ayant des réglementations environnementales plus strictes. Certaines mesures ré­centes faites à Perth sont encourageantes. Les scientifiques du Centre de recherche sur l'eau craignaient initialement que le concentrat rejeté n'accroisse la salinité de l'environnement côtier. Une enquête montre toutefois que la salinité revient à des niveaux normaux dans les 500 mètres des unités de rejet des usines.

Autre problème, certains métaux ou produits chimiques de synthèse passent dans le concentrat. Les usines de dessalement thermique ont une tendance à la corrosion et leur concentrat peut contenir des traces de métaux lourds, de cuivre par exemple. Les usines à osmose inverse utilisent pour le traitement préalable de l'eau et le nettoyage des membranes des produits chimiques de synthèse, dont certains peuvent se retrouver dans le concentrat. Les usines modernes retirent cependant la plupart de ces produits de l'eau avant de la rejeter à la mer. Les incertitudes qui demeurent à propos de l'impact des usines de dessalement sont toutefois telles qu'il est difficile de tirer des conclusions définitives, estimait le rapport du Conseil national de la recherche américain, qui ajoutait que l'étude de l'impact environnemental du dessalement et des moyens d'y remédier devait être une des premières priorités. A l'heure où l'eau se raréfie, les gens devront trouver plusieurs moyens pour assurer leur approvisionnement. Plusieurs régions du monde ont en outre beaucoup à faire pour rationaliser leur consommation d'eau, ce qui serait meilleur marché que le dessalement, explique Peter Gleik. Cependant, le dessalement constitue parfois le seul moyen d'assurer un approvisionnement constant en eau potable. Cela a un sens s'il représente une source d'approvisionnement parmi d'autres et s'il s'accompagne de mesures environnementales, convient Jason Antenucci, qui ajoute qu'“il serait faux de dire que c'est la panacée”.

THE ECONOMIST


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LES COMMENTAIRES (1)

Par jeandb
posté le 17 janvier à 15:22
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Et l'eau? y a quelqu'un?

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