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Culte du sensationnel et propagande

Publié le 16 janvier 2010 par Uscan
Dialogue sur Rue89 au sujet du "problème journalistique" Voici un commentaire que j'ai laissé à la suite de cet article
Je travaille dans une rédaction et je voudrais démystifier un peu ces points de vue. Il est faux de penser qu'un journaliste va mettre exprès une image plus sensationnelle même si elle ne vient pas du bon endroit, les choses ne se passent pas du tout comme ça.
C'est même le contraire, les journalistes mettent un point d'honneur à ne pas se tromper sur le nombre de morts, la localisation, autant de petits détails sans importance sur le fond. Il en va de leur intégrité de journaliste, de leur sacro-saint rôle, informer la population. Ils prennent cela très au sérieux. Donc, non, tous les moyens ne sont pas bons, ce n'est pas vrai. Mais ce qui est vrai c'est que l'image forte sera toujours mise en avant, c'est un réflexe, une règle d'or, enseignée dans les écoles de journalisme et très fortement présente. On commence un sujet par une "accroche".
Il y a des raisons à cela : les journaux, qu'il soient télévisés ou papier sont des sociétés qui cherchent à gagner de l'argent. Une "accroche" comme son nom l'indique attire le client (et ça c'est vous et moi), et c'est très efficace. Nous ne lisons pas ou ne regardons pas ce qui parait trop terne. C'est un fonctionnement complètement intériorisé dans les rédactions. Ce n'est pas en soi une si mauvaise chose, en tout cas ce ne le serait pas si les sujets étaient approfondis et traités de façon impartiale.
C'est le cocktail de l'attrait par l'émotion et de la désinformation, de la propagande qui est terrifiant. Mais le plus gros problème est certainement du côté de la propagande.
Et justement, si les journalistes mettent un tel point d'honneur à ne pas mélanger des lieux ou des bilans, c'est parce que c'est le seul endroit où le système leur permet de placer leur orgueil ou leur intégrité journalistique. Sur le fond, il n'en ont pas la possibilité : contraintes de temps, de moyens, d'accès à l'information (filtre des agences) ou parfois interdiction de la hiérarchie, et surtout sélection des individus (ceux dont la pensée n'est pas conforme ont assez peu de chance de faire carrière, même si certains réussissent).
Donc on n'est pas dans une logique : prêts à tout pour faire du sensationnel, c'est plus subtil et plus complexe... plus efficace aussi.
Deux réponses :
les journalistes mettent un point d'honneur à ne pas se tromper sur le nombre de morts, la localisation, autant de petits détails sans importance sur le fond "dites-vous. Bein non, cher confrère. Je suis là-dedans depuis 40 ans tout rond cette année et oui :
- certains choisiront le + sensationnel si le reste ne l'est pas assez
- certains se contentent de ce leur livre les agences et/ou Internet ( et tout autre source). Mais, au départ d'une info, même pour la + grande et prestigieuse des agences, il y a un humain, que l'on appelle journaliste. Et si lui se trompe ( ou se fait enfumer), tout le monde suit.Même une info d'agence, cela se vérifie et, au minimum, on cite cette source...
- certains, enfin ( mais contradictoirement avec le début de votre réflexion, vous l'admettez plus bas) font trop vite, sans assez de moyens, sans assez de formation, oui oui, même après l'école de journalisme, sans assez de "culture professionnel" et au bout du compte, ils se gourrent, dans les lieux, le nombres de victimes, les petits détails, justement. EX : le manque de culture générale et pro, c'est dire sur une télé d'info continue que des Haïtiens qu'un avion pour Paris n'a pas pu prendre en charge à PauP n'ont du coup pas pu "rentrer en Métropole"... C'est bien connu : on parle français à Haïti, donc c'est sans doute un de nos départements d'Outre Mer. La République Haïtienne peut être contente... A la prochaine !
ET
C'est même le contraire, les journalistes mettent un point d'honneur à ne pas se tromper sur le nombre de morts, la localisation, autant de petits détails sans importance sur le fond. Il en va de leur intégrité de journaliste, de leur sacro-saint rôle, informer la population. Ils prennent cela très au sérieux.
MDR de MDR
J'ai été longtemps porte parole d'une assoc connue, et j'ai entendu, de la bouche même d'un chef de rubrique société d'un très grand média suite à une erreur mémorable de sa part "Si vous croyez que je vérifie mes sources !!! J'ai autre chose à faire"
No comment
Réponse de ma part :
Nous disons la même chose.
Lorsque l'on répète ce que disent les agences, lorsque l'on reformule ce que disent tous les confrères, il n'y a plus rien à vérifier, et comme de toute façon on n'a pas le temps, la question ne se pose pas.
Ce que je veux dire, c'est que le problème est bien plus profond, il est réellement sur le fond : quels sujets traite-t-on, quelle place pour l'investigation - réelle - , quelles sont les questions que l'on n'a pas le droit de formuler, quelles sont les faits que l'on n'a pas le droit de relater ?
Faire un vrai travail journalistique oblige à vérifier ses sources, car les enjeux sont importants, il faut être sûr de ce que l'on avance. Parlez-en aux journalistes du Canard Enchaîné, ou à un type comme Paul Moreira, ou à Laure Nouhalat, ou Marthe-Monique Robin...
Mais ce genre de travail devient complètement marginal. C'est pour cette raison qu'on en vient à débattre sur une question aussi triviale : ces images sont-elles celles de Haïti ou de la Chine ? L'intérêt de cette question est limité par nature. On va finir par trouver qu'il y a eu une erreur quelque part, il y a eu la précipitation. Et après ? Quel intérêt présente ce débat ?
Résumer le problème du journalisme à ce genre de question c'est tracer un cadre qui exclut la vraie problématique du débat. On peut alors s'étriper sans rien remettre en cause réellement.
Ce fonctionnement est typique, c'est sur ce modèle que fonctionne la presse en démocratie, c'est un type de propagande.
Noam Chomsky démontre tout cela avec une grande intelligence. je vous en conseille la lecture
Deux réponses :
Ah oui ?

Et bien vos confrères du « le Parisien » n'ont pas les mêmes scrupules ! Ils font paraitre des articles de réunions qui ne se sont pas encore tenues, par ex. : paru le lundi pour une réunion tenue le mardi qui suit ! Et avec photos !

Ça me rappel un film, avez-vous le moyen de pondre les UNES du lendemain ? Il y a de sacrés rigolos parmi vous.

ET

Charabia typique d'un agent de com (le mot journaliste étant mort de sa mauvaise mort).

A écouter ce quidam au dessus, il nous donnerait presque l'impression que les mecs qui se sont lamentablement plantés en confondant des pays sont des pros ;-)) faut les laisser faire, ce sont des pros, nous des gueux...

non seulement les journaleux ne s'excusent pas quand ils font des énormes conneries (qui couteraient le taf de pas mal d'autres gens en temps normal), mais en plus ils le revendiquent ou s'en vanteraient presque, ces gens si importants...

démissionne bonhomme, si t'as pas le temps de faire ton taf

Réponse de ma part :

Pour dire les choses plus simplement : il est certain qu'il y a un problème avec le journalisme. Qu'une erreur ait eu lieue quelque part et qu'elle en ait amené certains à remplacer la Haïti par la Chine c'est regrettable. Mais franchement, ce n'est pas grave. Ce qui est grave c'est de dissimuler des faits dont l"importance est majeure. Par exemple en ce moment, pourquoi ne parle-t-on pas plus de la suppression du juge d'instruction, des affaires que cela va enterrer etc... Ca c'est vraiment grave. Et pendant que l'on concentre toute notre énergie à dire que c'est vraiment malheureux d'avoir mis une image à la place d'une autre, le gouvernement fait avancer une réforme qui supprime carrément l'indépendance de la justice ! Ca devrait faire la une. Hier ou avant hier les avocats ont manifestés, tous les journaux auraient du ouvrir là-dessus. Pourquoi ne l'ont-ils pas fait ? Voilà une question de fond. Mon "charabia" ne vise pas à dire autre chose.

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Ma réponse pourrait s'arrêter là. Si vous avez envie d'en lire plus je suis rentré dans le détail. Sinon inutile de continuer, l'essentiel est contenu dans le paragraphe que vous venez de lire.

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Et pour ce que je vois dans la rédaction où je travaille (et où je suis monteur) je continue d'affirmer que de nombreux journalistes mettent un point d'honneur à vérifier qu'il y a bien eu 52 morts et pas 51 dans un attentat. Ok, c'est bien, mais ça change quoi ? Quel intérêt ? Je pense que s'il y a tant de fierté là-dessus c'est parce que le système dans son ensemble ne permet plus de faire de l'investigation, ne laisse plus de marge suffisante pour que les gens puissent exercer leur métier comme ils l'ont rêvé, enfant ou ado. Quand on veut être journaliste on veut informer la population, dénoncer les mensonges, enquêter, découvrir etc... On s'engage dans ce métier, comme dans beaucoup, avec un idéal, une image d'Epinal. Et lorsqu'on y est rien de tout cela n'est possible, ou très rarement. On est pris dans un engrenage qui vous oblige à radoter en cœur.

Je vois grosso modo trois types de personnes
  • Ceux qui au fond cherchent le pouvoir et la gratification sociale, qui ont très bien compris le système, et qui radotent le mieux possible avec qui il faut et quand il faut pour monter dans la hiérarchie.
  • Ceux qui sont parfaitement inconscient du système qui les encadre et qui demeurent persuadés de faire un travail de première importance en toute liberté
  • Ceux qui ont compris la machine dans laquelle ils sont tombés et qui essayent, dans la mesure du possible, de faire passer d'autres messages, ou qui s'engagent en marge de leur travail principal dans des activités où ils peuvent agir plus librement.

Bien sur chacun est un dosage de ces trois caractéristiques.

Personnellement je relève de la troisième catégorie ; j'ai réalisé un film documentaire complètement en marge de mes activités professionnelles (Ce Jardin-là), je tiens un blog, et je prépare un nouveau film pour lequel je suis parti 6 mois en Afrique en prenant des congés sans solde. Mon travail de monteur news est purement alimentaire.

Je pense qu'il est important de comprendre les rouages de la machine médiatique, qui est une machine de propagande. Taper simplement sur les journalistes c'est passer à côté de l'essentiel, du système.

Système de sélection des individus : si vous pensez, par exemple, qu'il y a un problème avec la théorie officielle du 11 septembre ou que la finance doit êtes radicalement simplifiée et encadrée pour revenir à des taux de profitabilité de l'ordre de 8% maximum ou encore que le pouvoir concentré est nécessairement tyrannique et qu'il convient de parvenir à terme à le dépasser (en développant l'autogestion, en démocratisant l'économie) ou encore autre chose, il y a plein d'exemples ; alors vous êtes mal barré. On va vous écarter du système. Soit au départ à l'embauche ou au niveau des écoles, soit après en refusant vos papier ou vos sujets. Tout ça parce qu'au font, qui contrôle les organes de presse ? Soit des grands groupes soit l'Etat. Il ne vont pas s'autodétruire et travailler contre leurs intérêts.

D'autre part une source importante de leurs revenus vient de la publicité, il ne faut pas que les annonceurs s'en aillent. Or les annonceurs ne ciblent pas les pauvres mais plutôt les gens aisés ou riches, avec qui ils font de l'argent. Donc le journal doit attirer le lectorat qui convient aux publicitaires, sinon les publicitaires vont se retirer et le journal va couler. Le journal est donc tenu de tenir un discours qui convient à la classe dominante, il reflète la vision du monde des affaires, qui n'est ni la réalité ni la vision de la population dans son ensemble. C'est ainsi que se fait la propagande en démocratie. Et de là vient le fossé que l'on ressent entre journalistes et population. Mais se limiter à accuser les journalistes c'est trop facile et surtout ça ne fait rien avancer. La réalité est plus complexe. Beaucoup d'entre eux souffrent exactement comme nous de cette machine de propagande.

Par ailleurs je maintiens qu'ils ne mettront pas volontairement à l'antenne une image qui n'a rien à voir avec le sujet traité simplement parce qu'elle est plus forte, ça c'est du mythe. Lorsque ça arrive, déjà c'est rare, ensuite c'est une faute professionnelle que tout le monde reconnait. Pour l'autre jour je pense que ça n'a pas été fait sciemment, il y a certainement eu méprise quelque part. Quelqu'un a fait une erreur, tout le monde fait des erreurs, je trouve que ce n'est pas intéressant, ça ne nous apprend rien, le problème à mon avis n'est pas là.

En revanche il y a la dictature de l'émotion dont on peut parler, même si elle n'a rien à voir avec ce problème. Si l'image avait été réellement prise à Haïti personne n'aurait rien trouvé à redire.

D'un coté le contenu médiatique est clairement encadré, le champ au sein duquel on est libre de penser est bien planté, de l'autre il y a un mode de fonctionnement complètement intériorisé qui place l'émotion avant tout. On parle d'image forte. On est obligé de privilégier une "image forte", c'est comme une règle d'or, apprise dans les écoles et maintenue entre confrères : celui qui déroge va être marginalisé et considéré comme mauvais. Il n'y a pas de place pour le recul. Dans certains cas utiliser les "images fortes" se justifie, mais pas toujours. On ne prend jamais le temps de s'interroger sur le sens que cela crée. Ce sens est-il fidèle à la réalité ? Certains journalistes le font et ils ont de gros problème avec tout le monde. Finalement ces images seront systématiquement utilisées.

Et cela a un effet addictif sur le public, ce sont des shoot d'adrénaline. Cela rappelle les techniques de marketing, qui étudient la psychologie, montrent des images à des cobayes en les soumettant à un scanner du cerveau pour étudier les réactions... Je ne sais pas s'ils l'ont fait avec les images des news. En tout cas ce système vise consciemment à attirer le client, on retrouve donc bien la logique commerciale.

De l'autre côté, combien de personnes regardent Arte Info ? Leur journal, de ce point de vue est qualitativement un cran au dessus. Il y a donc aussi une responsabilité des spectateurs qui au fond aiment bien recevoir leur shoot.

Il y a aussi des exceptions : Le Monde Diplomatique ou le Canard Enchaine se financent uniquement par leurs lecteurs, pas de publicité chez eux, ils ne dépendent ni de l'Etat ni du monde des affaires. Et le résultat s'en ressent.

Le Canard montre bien que l'on peut être divertissant et accrocheur sur la forme sans être propagandiste sur le fond. C'est aussi ce que je voulais dire dans mon premier post, et c'est ce qui vous a dressé contre moi : le fond est bien plus important que la forme, c'est tout de même lui qui informe ou désinforme.


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