Magazine

Un refuge dont on peut sortir

Publié le 17 janvier 2010 par Didier54 @Partages
Un refuge dont on peut sortirChacun a ses propres instants de bonheur : il s'agit simplement d'en multiplier la conscience et les occasions, Albert Memmi.
Théophile venait de prendre ses sept comprimés : un rouge, un brun, un bleu, un orange, un vert, un blanc rond, un blanc ovale. Il regardait maintenant par la fenêtre et savait que c'était l'hiver. Du givre s'était accroché partout où une surface lui en donnait la possibilité. Les barreaux de la fenêtre, par exemple. Théophile souriait. Ils ont des copains, se dit-il.
L'homme est une légende dont le sens s'est perdu. Mais le sens est toujours là, déposé au creux du langage, dans les récits que nous murmurons la nuit quand le sommeil nous fuit, Olivier Cohen. Il était assis sur son lit et attendait que Sylvie, on était dimanche, c'était toujours Sylvie les dimanche, vienne le chercher. Elle lui prendrait le bras, sûrement, et dirait : " Je vous conduis monsieur". Elle sourirait et il aimerait ce sourire.
Ses valises, enfin son sac, étaient près de lui. Ses mains posées bien à plat sur ses genoux. C'était comme un dimanche mais on était lundi. Il n'y aurait plus de dimanches. Il y en aurait d'autres, mais plus ceux-là.
Tout était parti du rendez-vous avec le docteur Lefèbvre. Il y avait eu comme de coutume pas mal de silences, lorsque Théophile avait dit : La vie est une aventure incertaine dans un paysage diffus aux limites en perpétuel mouvement, où les frontières sont toutes artificielles ; où tout peut s'achever et recommencer à chaque instant, ou prendre fin subitement, comme par un coup de hache inattendu, à tout jamais. Où la seule réalité absolue, compacte, indiscutable et définitive est la mort. Où nous ne sommes qu'un petit éclair entre deux nuits éternelles [...], où nous n'avons que bien peu de temps, Arturo Perez-Reverte.
Le docteur Lefèbvre avait interrompu sa prise de note. Son stylo tomba. Il s'était gratté le menton. Treize fois. Il avait regardé Théophile comme il ne le regardait plus depuis longtemps.
- Dites-moi, Théo. Il l'appelait toujours Théo. Il lui avait expliqué que c'était parce qu'ils s'aimaient bien. Théo n'aimait pas, mais il n'avait rien dit. Il avait serré sept fois ses poings sous son manteau. Comme toujours, c'était passé. Il le savait à son coeur qui battait moins vite. Dites-moi, Théo. Vous en connaissez beaucoup, des citations d'écrivains, comme ça ? C'est la première fois que vous me dites ça ! C'est intéressant, très intéressant.
Théophile en connaissait des milliers. Il retenait tous les passages de tous les livres qu'il lisait.
Quelques jours plus tard, Nicole l'avait prévenu. Tu iras dans un autre foyer, tous les matins, quelqu'un viendra te chercher et tu iras travailler dans un musée. Ils ont besoin de tes connaissances. On te ramènera le soir dans ta chambre. Et tu auras un salaire ! On ne parvient à la vie véritable qu'en s'élevant au-dessus de soi-même, Gabriel Marcel, songea Théophile. Il le garda pour lui. Démocrite avait raison, évidemment. L'éducation est pour les gens heureux une parure, pour les malheureux un refuge. Un refuge dont on peut sortir.
Texte publié sur le blog de Claudiogène
le dimanche 20 décembre 2009.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Didier54 35 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte