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Expulsion par la Turquie vers l’Iran d’une demande d’asile convertie au christianisme et condition de rétention à cette fin (CEDH 19 janvier 2010, Z.N.S. c. Turquie)

Publié le 21 janvier 2010 par Combatsdh

Une femme iranienne est entrée une première fois en Turquie, puis fut expulsée vers l’Iran où elle dit avoir été emprisonnée et maltraitée, et revint de nouveau en Turquie où elle s’est convertie au christianisme. Elle-même et son fils furent d’ailleurs reconnus réfugiés pour des motifs religieux par le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies (HCRNU). Néanmoins, la décision d’éloignement vers l’Iran prise par les autorités turques n’a pas été levée et, dans cette perspective, l’intéressée est toujours détenue au Centre d’accueil pour étranger de KırklareliKırklareli Foreigners’ Admission and Accommodation Centre » - Nord Ouest de la Turquie).

Sur le terrain de l’article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants), la Cour européenne des droits de l’homme estime que les autorités turques n’ont pas pris assez en compte la situation de la requérante (§ 47) et s’en remet à l’analyse formulée par le HCRNU lorsque ses services l’ont interrogé. En effet, l’agence onusienne a estimé que la requérante “risquait de faire l’objet de persécutions dans son pays d’origine” (§ 48) sur le fondement de sa religion (§ 49). Dès lors, son renvoi vers l’Iran l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 et emporterait une violation par ricochet de cet article imputable à la Turquie (§ 50).

Cependant, l’allégation de violation du même article au titre cette fois des conditions de détentions dans le Centre n’a pas conduit à une condamnation de l’État défendeur. En effet, concernant notamment les conditions matérielles de détention, la Cour rappelle certes ses exigences jurisprudentielles traditionnelles (§ 81 - V. aussi Cour EDH, 3e Sect. 12 janvier 2010, Al-Agha c. Roumanie, Req. no 40933/02 - Lettre droits-libertés du 13 janvier et CPDH du même jour ). Mais, en l’espèce, à l’aide des standards du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (§ 83 - § 34), du rapport de l’organisation non-gouvernementale « Human Rights Watch » à l’issue de sa visite du Centre (§ 35) et de photos de ce Centre, la Cour n’estime pas la situation suffisamment grave notamment quant à la qualité de la nourriture et de l’eau (§ 82) et à l’accès à des espaces extérieurs (§ 83), même si quelques problèmes d’hygiène sont constatés (§ 84). De façon assez indulgente, les juges européens estiment que, malgré le caractère non-limité de la durée de sa détention qui “peut sans aucun doute causer [à la requérante] un sentiment d’anxiété” et l’absence d’éléments fournis par l’État défendeur quant à l’état du centre litigieux, l’article 3 n’a pas été violé sur ce point (§ 86).

A l’inverse, et enfin, le grief arguant d’une violation de l’article 5 (droit à la liberté et à la sureté) est lui accueilli par la Cour, s’agissant tant du paragraphe 1er (la privation de liberté n’est pas prévue par des dispositions légales claires - § 56) que du paragraphe 4 (les voies de recours contre la détention prévues par le droit turc ne permettent pas un contrôle judiciaire suffisamment rapide - § 63).

cover_673.1264018589.jpgLe rapport d’HRW sur l’asile en Grèce et Turquie

Z.N.S. c. Turquie (Cour EDH, 2e Sect. 19 janvier 2010, Req. no 21896/08 ) - En anglais


Mentionnons, en complément que par décision du 20 novembre 2009 révisant la liste des pays d’origine sûrs, l’OFPRA a cru bon d’ajouter, sur demande d’une délégation turque auprès du Sénat, la Turquie sur la liste des pays considérés comme “d’origine sûrs”.

Rappelons que la loi française exige à l’article L. 722-1 du CESEDA que le Conseil d’administration de l’OFPRA « fixe les orientations générales concernant l’activité de l’office ainsi que, dans les conditions prévues par les dispositions communautaires en cette matière, la liste des pays considérés au niveau national comme des pays d’origine sûrs, mentionnés au 2º de l’article L. 741-4. ». Or le droit communautaire, prévoit à l’article 30 de la directive 2005/85/CE du 1er décembre 2005 et en son annexe II que :

« 2. Par dérogation au paragraphe 1, les États membres peuvent maintenir les dispositions législatives qui sont en vigueur le 1er décembre 2005, qui leur permettent de désigner comme pays d’origine sûrs, au niveau national, des pays tiers autres que ceux qui figurent sur la liste commune minimale à des fins d’examen de demandes d’asile lorsqu’ils se sont assurés que les personnes dans les pays tiers concernés ne sont généralement pas soumises:
a) à des persécutions au sens de l’article 9 de la directive 2004/83/CE, ni
b) à la torture ou à des traitements ou des peines inhumains ou dégradants. »

Or, la Turquie n’a pas ratifié le Protocole de 1967 de la convention de Genève de 1954 posant le principe de non refoulement. Et cette décision illustre le respect que ce pays porte au droit d’asile


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