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Histoire d'Haïti : version longue

Publié le 22 janvier 2010 par Uscan

La presse dépeint Haïti comme un pays "maudit", incapable de se prendre en main, sur lequel le "sort" s'acharne. Le "sort", en l'espèce, a eu deux visages au cours des siècles derniers. La France puis les Etats-Unis.
Cet article est une fusion opérée par mes soins de cinq articles (saupoudrée de quelques informations venant de Noam Chomsky, Paul Farmer et quelques autres), l'un écrit par Bill Van Auken, un autre par Ashley Smith, un autre encore par Bill Quigley, encore un par Sophie Perchellet et Éric Toussaint et le dernier par Oscar Fortin, qui écrit à la fin de son texte
Je pleure avec le peuple Haïtien pour autant de souffrances et de calamités qui lui tombent dessus. Par contre les larmes de ceux qui l’ont maintenu dans la dépendance et la pauvreté, me rendent malade.

Dans sa déclaration sur le tremblement de terre d’Haïti, le président américain Barak Obama a parlé de la « longue histoire qui lie [nos deux pays] ». Ni lui ni les médias américains ne se sont cependant montrés très enclins à regarder de près l’histoire de ces relations et son influence sur la catastrophe que doit actuellement affronter le peuple haïtien. C'est ce que nous allons faire.

La colonie de Saint-Domingue, qu'on appelait souvent « la Saint-Domingue française », devint la colonie européenne la plus riche de tout le Nouveau Monde. À la fin du XVIIIe siècle, la valeur des exportations de Saint-Domingue (Haïti) dépassait même celle des États-Unis; cette prospérité reposait sur les cultures commerciales de sucre et de café pratiquées dans de grandes plantations employant près de 500 000 esclaves noirs et encadrés par quelque 30 000 Blancs.

L'Etat d’Haïti est né en 1804 grâce à une révolution d’esclaves dirigée par Toussaint Louverture. Les insurgés, qui parvinrent à défaire l'armée française envoyée par Napoléon, proclamèrent alors la naissance de la première République noire.

Aucun pays n’appuya ce nouvel État. La France exigea même une compensation de 150 millions de francs, soit 21 milliards de dollars d’aujourd’hui, contribuant ainsi à ruiner l’économie de l’Ile. Haïti a du emprunter de l'argent aux banques françaises et américaines pour payer cette réparation (elle a du réemprunter en 1947 pour poursuivre ses remboursements). Au même moment, les Etats-Unis ont organisé un embargo international contre le jeune pays, de peur que cet exemple n’aille inspirer une révolte similaire dans les Etats esclavagistes du Sud. Ce ne fut qu’avec la sécession du Sud et la Guerre civile que le Nord reconnut Haïti – quelque 60 ans après son indépendance.

Entre 1804 et 1957, quelque 24 chefs d'État sur 36 seront renversés ou assassinés.
Le pays fut, dans les faits, gouverné exclusivement par des Mulâtres - en général d'un père blanc (colon) et d'une mère noire (esclave) - jusqu'en 1910 et connut une période de prospérité relative. Dès 1906, les compagnies américaines commencèrent à construire des voies ferrées et à exproprier les paysans sans titres de propriété. Les Américains finirent par occuper militairement Haïti, le 28 juillet 1915. A leur arrivée, les militaires se sont emparé des réserves d’or de la banque nationale. Des milliers de paysans, les Cacos, s’insurgèrent alors sous la conduite de Charlemagne Péralte. En 1918, tout le pays fut en état d’insurrection. Charlemagne Péralte, trahi et arrêté en 1919, fut cloué par l’occupant sur une porte. La répression fut particulièrement féroce. Pour réduire les derniers foyers de résistance, les USA inaugurent en 1919 les bombardements aériens massifs. Tout résistance est écrasée en 1920. On estime que la guérilla a fait au moins 15 000 morts, dont 2000 exécutés dans un seul accrochage.
Washington mit en place un gouvernement soumis à ses volontés et s’engagea en contrepartie à fournir à Haïti une aide politique et économique. Au cours de cette période, Les Américains firent adopter trois lois restreignant la liberté de la presse.

Les travaux de modernisation, dont la mise en place d’une infrastructure routière, l'amélioration des techniques agricoles et le développement du réseau téléphonique furent accélérés. Toutefois, cette marche forcée vers la modernité se fit aux dépens des couches les plus défavorisées de la population. Les Haïtiens conservèrent une forte hostilité envers l'occupant américain qui n'hésitait pas, si la situation semblait l'exiger, à fusiller des Haïtiens par centaines à la fois.
Les Marines ne quittèrent l’île (en août 1934) qu’après avoir réalisé une « haïtianisation » - comme le New York Times l’appela à l’époque – de la guerre contre le peuple haïtien en construisant une armée vouée à la répression interne.

Les dictatures des Duvalier

De 1945 à 1957, ce sera l’alternance entre gouvernements élus et coups d’État militaires. En 1957, François Duvalier est élu Président grâce au soutien des noirs qui virent en lui l’occasion de mettre fin au règne des mulâtres. Les Etats-Unis soutinrent cette dictature, économiquement et militairement, car sa répression farouche garantissait que le pays ne dériverait pas vers le communisme, sur le modèle du voisin cubain.
Dès le départ, François Duvalier imposa une politique répressive en interdisant les partis d’opposition, en instaurant l’état de siège et en exigeant du Parlement l’autorisation de gouverner par décrets (31 juillet 1958). Le 8 avril 1961, il prononça la dissolution du Parlement.
Le régime s’appuya sur une milice paramilitaire, les Volontaires de la sécurité nationale surnommés les « tontons macoutes ». Avec cette garde prétorienne personnelle, il neutralisa l’armée, sema la terreur dans tout le pays et parvint à étouffer toute résistance. Après des rumeurs de complot, il renforça la répression et, en 1964, il se proclama «président à vie».
Il exerça jusqu'à sa mort une implacable dictature (on compta 2000 exécutions pour la seule année 1967). En janvier 1971, une modification de la Constitution permit à François Duvalier de désigner son fils, Jean-Claude, comme successeur.

À la mort (de façon naturelle) de Papa Doc, le 21 avril 1971, Jean-Claude Duvalier, 19 ans (d’où son surnom de «Baby Doc»), accéda à la présidence de la République. Amorçant une timide libéralisation du régime, Jean-Claude Duvalier exerça une dictature dont son père aurait été fier. Puis, son régime s'enfonça dans la corruption et l'incompétence, mais sa dérive ne l'empêcha pas d'ouvrir le pays aux capitaux américains. Dès 1984, le FMI a obligé Port-au-Prince à libéraliser son marché. Les rares et derniers services publics furent privatisés, en privant d’accès les plus démunis. Les produits agricoles étasuniens subventionnés affluèrent et ruinèrent la paysannerie. En 1970, Haïti produisait 90 % de sa consommation alimentaire ; elle en importe aujourd’hui 55 %. Il y a trente ans Haïti n’importait pas de riz. Aujoud’hui Haïti importe presque tout son riz, le pays est devenu la troisième destination d'exportation pour le riz étasunien. De même alors qu’Haïti était aux Caraïbes la capitale de la culture de la canne à sucre, elle importe aussi maintenant du sucre.
Des centaines de milliers de gens sont venus se réfugier dans les bidonvilles de Port-au-Prince pour fournir une main d’œuvre extrêmement bon marché aux « ateliers à sueur » (sweat shops) étasuniens situés dans les zones franches.

En 1986, un soulèvement populaire renversa le fils Duvalier qui partit se réfugier dans le sud de la France et... dépenser sa fortune (ce qui est maintenant fait). La France lui offre le statut de réfugié politique et donc l’immunité.
Entre 1957 et 1986, la dette extérieure a été multipliée par 17,5. Au moment de la fuite de Duvalier, cela représentait 750 millions de dollars. Ensuite elle monte, avec le jeu des intérêts et des pénalités, à plus de 1 884 millions de dollars (page 43 du document). Cet endettement, loin de servir à la population qui s’est appauvrie, était destiné à enrichir le régime mis en place : il constitue donc également une dette odieuse. Une enquête récente a démontré que la fortune personnelle de la famille Duvalier (bien à l’abri sur les comptes des banques occidentales) représentait 900 millions de dollars, soit une somme plus élevée que la dette totale du pays au moment de la fuite de « Baby Doc ». Un procès est en cours devant la justice suisse pour la restitution à l’Etat haïtien des avoirs et des biens mal acquis de la dictature Duvalier. Ces avoirs sont pour l’instant gelés par la banque suisse UBS qui avance des conditions intolérables quant à la restitution de ces fonds.

Toutefois, la fin de la dictature des Duvalier ne signifia pas la fin de la répression. Une junte militaire dirigée par le général Henri Namphy s'empara aussitôt du pouvoir. Un nouveau coup d'État remplaça la junte par le général Prosper Avril qui demeura au pouvoir de 1988 à 1990. Acculé au départ en mars 1990, il démissionna pour ouvrir la voie à des élections sous contrôle international.

Jean-Bertrand Aristide

Les haïtiens, qui s'étaient organisés durant la résistance aux Duvalier, élirent à la présidence le réformiste Jean-Bertrand Aristide sur un programme de réforme agraire, d’aide aux paysans, de reforestation, d’investissement dans les infrastructures, d’augmentation des salaires et des droits syndicaux pour les travailleurs.
En réaction, les Etats-Unis ont soutenu un coup d’état qui a chassé Aristide en 1991.

L'OEA (Organisation des Etats Américains) déclara un embargo, mais Bush I répondit en annonçant que les Etats-Unis le violerait en exemptant les société américaines. Pour le New-York Times, le président « réglait avec précision » l'embargo au bénéfice de la population, un peu à la manière des « frappes chirurgicales ». Plus tard, Clinton élargit encore les violations en autorisant le commerce avec la junte, qui augmenta brusquement.
Pendant que la CIA déclarait solennellement au Congrès que le junte « se retrouverait probablement sans carburant et sans électricité très rapidement » et que « les efforts de nos services de renseignement sont axés sur la détection des tentatives de faire échouer l'embargo et surveiller son impact », Clinton autorisait en secret la Texaco Oil Company à expédier illégalement du pétrole à la junte, en violation des instructions présidentielles. Cette remarquable révélation fut à la une des télégrammes d'AP (Associated Press) le jour précédent l'envoi par Clinton des Marines pour "Rétablir la démocratie". On ne pouvait pas rater ces dépêches, qui se sont répétées toutes la journée, témoigne Noam Chomsky qui surveillait le fil de l'agence ce jour-là. Elles étaient d'une importance capitale pour comprendre ce qui étaient en train de se passer réellement. Pourtant l'information n'a été répercutée par aucun média américain.

Pendant trois ans, les milices soutenues par leur voisin étasunien, ont "nettoyé" la population en intimidant et en assassinant les leaders syndicaux et les responsables locaux qui avaient constitué la base de la résistance aux Duvalier et l'appui à l'élection d'Aristide. La plus importante de ces forces paramilitaires, le FRAPH, avait été fondé par le pion local de la CIA, Emmanuel Constant (Clinton et Bush II ont rejeté les demandes d'extradition, car cela aurait dévoilé l'implication des Etats-Unis dans les atrocités).

Exilé aux États-Unis, Aristide mobilisa la bourgeoisie noire pour qu’elle vienne en aide à la « république nègre ». La CIA tenta alors de le discréditer en le présentant comme un malade mental et diffusa son dossier médical, lequel s’avéra ultérieurement être un faux. Cependant, le soutien grandissant d’Aristide dans l’électoral noir états-unien, plus encore que l’impopularité du régime militaire en Haïti, conduisit Bill Clinton à rompre avec la brutale politique de son prédécesseur et à négocier un compromis : Washington organisa le départ de la junte et le retour d’Aristide en l’échange d’un engagement de « ne plus exacerber la lutte des classes », de ne plus « stigmatiser le capitalisme comme un « péché mortel », mais d’appliquer les recommandations du FMI. On lui interdit également d'effectuer les trois années pendant lesquelles la junte a pris le pouvoir : il le pourra pas reporter les prochaines élections de manière à pouvoir effectuer réellement son mandat, et comme la constitution interdit deux mandats consécutifs, il devra partir après quelques mois.

Aristide revient donc en 1994, dans les bagages des GI’s de l’opération "Rétablir la Démocracie", mais il fut contraint d'appliquer le plan néolibéral étasunien, appelé « plan de la mort » par les Haïtiens. Il s'agissait du programme du candidat perdant des élections de 1990, un ancien fonctionnaire de la banque mondiale qui avait recueilli 14% des voix. En 1995 c’est son ancien Premier ministre, René Préval, qui se présente pour son parti. Il est élu à 88 %. Malgré son appartenance au parti d'Aristide, Lavalas, il n'était soutenu que du bout des lèvres par l'ancien président. Et en effet, il appliqua immédiatement le plan américain et ouvrit des négociations avec le BID (Banque Inter-Américaine pour le Développement) et le FMI pour adopter un plan d'austérité et engager un programme de privatisations. Cela provoqua un véritable tollé dans l'île, d'autant qu'Aristide fit savoir son opposition à un tel plan. Les tensions aboutirent en juin 1997 à la démission du premier ministre Rosny Smart. Aristide fut réélu en 2000.
En octobre 2000, treize officiers formés en Équateur, profitant d’un voyage en Asie de Préval, tentèrent un coup d’État. Ils échouérent. Leur chef, le sémillant Guy Philippe, se réfugia à l’ambassade des États-Unis à Port-au-Prince. À l’issue du mandat de Préval, Aristide se représenta et fut à nouveau élu avec 91% des voix, dans une ambiance troublée et avec une abstention massive.

Mais «Titid», comme l'appelait le peuple, avait perdu sa base, laminée par les exactions des paramilitaires. Même s'il tenta de résister, il dut mettre en œuvre les projets de Washington, ce qui brisa la perspective de réformes. Il devint aussi de plus en plus méfiant, et durcit progressivement son pouvoir. Immédiatement, il fut dépeint par la presse occidentale comme un tortionnaire abominable, alors même que les exactions de son régime n'atteignaient pas celles de ses prédécesseurs. Lafanmi Lavalas, le parti du président, et l'Organisation du peuple en lutte, qui contrôlait le Parlement se trouvèrent dans l'impasse et le chaos s'installa en Haïti. Les Etats-Unis en profitèrent pour stopper, en 2002, des millions de $ de prêts à Haïti, qui devaient être utilisés pour, entre autres choses, des projets comme l’éducation, les routes.
Mais Aristide refusait de se soumettre totalement, et au cours de sa dernière année de mandat, il demanda 21 milliards de dollars en guise d’indemnisations. La France, par la voix de la commission Debray, refusa sous prétexte que le réparation ne serait pas "fondée juridiquement". Les Etats-Unis, eux, répliquèrent en imposant un embargo économique qui étrangla le pays et plongea les paysans et les travailleurs dans une misère encore plus profonde.

L’administration Bush fils prit la décision de renverser Aristide fin 2002 et se rapprocha de la France, dans la mesure où les deux grandes puissances avaient toujours voulu exercer une tutelle commune sur l’île. Paris ne se positionna qu’à l’été 2003. Un plan conjoint fut alors établi pour le coup d’État. Le 29 avril 2004, Jean Bertrand Aristide fut forcé de démissionner, alors que des Marines américains débarquaient en Haïti. Aristide fut enlevé et déporté aux Etats-Unis.

Jean-Bertrand Aristide a été accusé de tous les maux durant la campagne de désinformation qui a précédé le coup d'état. Malheureusement il n'est pas innocent en ce qui concerne l’endettement et les détournements de fonds. Selon la Banque mondiale, entre 1995 et 2001, le service de la dette, à savoir le capital et les intérêts remboursés, a atteint la somme considérable de 321 millions de dollars. Une partie des exactions peut également lui être imputée.

Poursuite des programmes américains

Un gouvernement intérimaire, dirigé par Gérard Latortue, fut mis en place par les Nations-Unies. Il poursuivit les plans néolibéraux voulus par Washington. Le court règne de Latortue a été marqué par une profonde corruption – lui et ses partisans ont empoché une bonne partie des 4 milliards de dollars injectés par les Etats-Unis et d’autres pays après la levée de l’embargo. Le régime a démantelé les timides réformes qu’Aristide avait réussies à mettre en place. Ainsi, le processus d’appauvrissement et de dégradation des infrastructures du pays s’est encore accéléré.

En 2006, les Haïtiens ont massivement élu à la présidence René Préval, le personnage le plus proche d'Aristide parmi les candidats. Mais celui-ci n’a fait preuve d'aucune détermination. Il a rapidement collaboré avec les Etats-Unis en ignorant la crise sociale qui s’amplifiait.
En fait, les Etats-Unis, les Nations Unies et les autres puissances ont court-circuité le gouvernement Préval en injectant de l’argent directement dans les ONG. « Aujourd’hui, en Haïti, le nombre d’ONG par habitant est le plus élevé au monde » dit Yves Engler. Le gouvernement Préval n’est plus qu’un paravent derrière lequel les véritables décisions sont prises par les puissances impériales qui les mettent en application par l’intermédiaire d’ONG qu’elles ont choisies.
Le véritable pouvoir dans le pays n’est pas exercé par le gouvernement Préval mais par la force d’occupation des Nations Unies appuyée par les Etats-Unis. Sous direction brésilienne, les forces de l’ONU ont protégé les riches et ont collaboré avec – ou ont fait semblant de ne pas voir – les escadrons de la mort d’extrême droite qui terrorisent les partisans d’Aristide et de son parti Lavalas.
Les forces d’occupation n’ont rien fait pour lutter contre la misère, la dégradation des infrastructures et la déforestation massive qui ont amplifié les effets d’une série de catastrophes naturelles – de violents cyclones en 2004 et 2008 et maintenant le séisme.
Au lieu de cela, elles se sont contentées de faire la police au milieu d’une catastrophe sociale et ont commis les crimes habituels et caractéristiques de toutes les forces de police. Selon Ban Beeton, dans un article de la NACLA sur les Amériques,

La mission de stabilisation de l’ONU en Haïti (MINUSTAH), qui a commencé en juin 2004, a été marquée pratiquement dés le premier jour par des scandales de meurtres, de viols et autres violences commises par ses troupes. »

Le tourisme : de nouveaux revenus pour les Etats-Unis

L’administration Bush d’abord, et maintenant l’administration Obama, ont toutes deux profité du coup d’état, des crises sociales et des catastrophes naturelles pour étendre les projets néolibéraux des Etats-Unis.
En étroite collaboration avec le nouvel envoyé spécial des Nations Unies pour Haïti, l’ancien président Bill Clinton, Obama est intervenu pour faire appliquer un programme économique similaire à celle du reste des Caraïbes – tourisme, ateliers de textiles, et la réduction du contrôle de l’état sur l’économie par le biais des privatisations et des déréglementations.

Plus précisemment, Clinton a dirigé un plan visant à transformer le nord d’Haïti en un terrain de loisirs pour touristes, situé le plus loin possible des bidonvilles de Port-au-Prince. Clinton a convaincu la compagnie Royal Caribbean Cruise Lines d’investir 55 millions de dollars pour construire un port le long de la côte de Labadee, loué jusqu’en 2050.
A partir de là, l’industrie touristique de Haïti espère organiser des expéditions vers les forteresses haut perchées de Citadelle et de Palais Sans Souci, toutes deux construites par Henri Christophe, un des dirigeants de la révolution des esclaves d’Haïti. Selon le Miami Herald, le plan de 40 millions de dollars comprend la transformation de la ville paisible de Milot, base de départ pour la Citadelle et le Palais Sans Souci, en un village touristique animé comprenant des galeries d’arts, des marchés d’artisanat, des restaurants et des rues pavées. Les touristes seront transportés en contournant le cap embouteillé de Cap-Haïtien jusqu’à la baie, puis transportés par autocars le long des plantations paysannes pittoresques. Une fois à Milot, ils pourront grimper à pied ou à cheval jusqu’à la Citadelle... classée patrimoine mondial depuis 1982...
Dés lors que la Royal Caribbean a prévu de faire venir le plus grand navire de croisière au monde, provoquant ainsi une demande en excursions, l’industrie du tourisme d’Haïti encourage le développement de l’écotourisme, d’explorations archéologiques et de démonstrations voyeurs de rites vaudous.
Haïti est même utilisé pour les divertissements sexuels comme les plantations d’autrefois. Scrutez les informations et vous trouverez de nombreuses histoires d’abus de mineurs par des missionnaires, des soldats et des travailleurs humanitaires. En plus il y a le tourisme sexuel fréquent de gens des Etats-Unis et d’ailleurs.
Ainsi, tandis que Pat Robinson compare la grande révolution des esclaves d’Haïti à un pacte avec le diable, Clinton s’active à la réduire à un piège à touristes. Dans le même temps, les plans de Clinton pour Haïti prévoient une expansion des « ateliers à sueur » (sweat shops) pour profiter de la main d’œuvre bon marché (les gens sont payés moins de 2$ par jour) fournie par les masses urbaines. Les Etats-Unis ont détaxé les importations en provenance d’Haïti pour faciliter le retour de la production de ces ateliers.
Clinton a vanté les opportunités offertes par le développement des « ateliers à sueur » lors d’une visite éclair d’une usine à textile appartenant et géré par la célèbre Cintas Corp. Il a annoncé que George Soros avait offert 50 millions de dollars pour un nouveau parc industriel d’ateliers qui pourrait créer 25.000 emplois dans l’industrie du textile. Clinton a expliqué à une conférence de presse que le gouvernement d’Haïti pourrait créer « plus d’emplois en baissant le coût des investissements, y compris le prix des loyers ».

Le fondateur de TransAfrica, Randall Robinson, a déclaré à Democracy Now ! (radio progressiste US – NdT)

Haïti n’a pas besoin de ce genre d’investissement. Il a besoin d’investissements en capital. Il a besoin d’investissements qui lui permettraient d’atteindre l’autosuffisance. Il a besoin d’investissements pour pouvoir se nourrir.

Une des raisons pour lesquelles Clinton a pu promouvoir aussi facilement les « ateliers à sueur » est que le coup d’état appuyé par les Etats-Unis a éradiqué toute forme de résistance. Ils se sont débarrassés d’Aristide et de sa manie qui consistait à augmenter le salaire minimum. Ils l’ont forcé à l’exil, ils ont terrorisé ses alliés restés sur place et ils ont interdit à son parti politique, Fanmi Lavalas, le parti le plus populaire du pays, de se présenter aux élections. De plus, le régime issu du coup d’état a attaqué les syndicalistes présents dans les « ateliers à sueur ».
Clinton pouvait ainsi annoncer aux hommes d’affaires que « Le risque politique en Haïti est le plus faible que je n’ai jamais vu de ma vie ».
Ainsi, à l’instar des présidents américains avant lui, Obama a aidé les classes privilégiées d’Haïti, a soutenu les multinationales qui voulaient profiter des coûts de main-d’oeuvre, a réduit le pouvoir de réglementation de l’état haïtien et a réprimé toute forme de résistance politique.
Les conséquences directes de ces politiques sont un état haïtien impuissant, une infrastructure en ruines, des constructions hasardeuses et une misère noire qui, conjuguées aux cyclones et maintenant au séisme, ont transformé une catastrophe naturelle en une catastrophe sociale.

Tout le monde devrait soutenir la fourniture d’aide à Haïti, mais personne ne devrait le faire avec des œillères. Comme l’a dit Engler :

L’aide destinée à Haïti a toujours été employée au profit d’intérêts impérialistes. Ceci est évident lorsqu’on observe comment les Etats-Unis et le Canada ont traité le gouvernement Aristide en contraste au traitement réservé au régime issu du coup d’état. Les Etats-Unis et le Canada ont affamé Aristide en supprimant pratiquement toute aide. Mais après le coup d’état, ils ont ouvert en grand les robinets financiers pour appuyer les forces les plus réactionnaires de la société haïtienne.

La dette

Toute l’aide financière annoncée actuellement suite au tremblement de terre est déjà perdue dans le remboursement de la dette ! Selon les dernières estimations, plus de 80% de la dette extérieure d’Haïti est détenue par la Banque Mondiale et la Banque interaméricaine de développement (BID) à hauteur de 40% chacune. Sous leur houlette, le gouvernement applique les « plans d’ajustement structurel » remaquillés en « Documents Stratégiques pour la Réduction de la Pauvreté » (DSRP). En échange de la reprise des prêts, on concède à Haïti quelques annulations ou allégements de dette insignifiants mais qui donnent une image bienveillante des créanciers. L’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PTTE) dans laquelle Haïti a été admise est une manœuvre typique de blanchiment de dette odieuse (car à l'origine complètement injuste) comme cela été le cas avec la République démocratique du Congo. On remplace la dette par de nouveaux prêts soi-disant légitimes. Le CADTM considère ces nouveaux prêts comme partie prenante de la dette odieuse puisqu’ils servent à payer cette antique dette. Il y a continuité du délit.

En 2006, quand le FMI, la Banque mondiale et le Club de Paris acceptèrent que l’initiative PPTE s’élargisse à Haïti, le stock de la dette publique extérieure totale était de 1.337 millions de dollars. Au point d’achèvement de l’initiative (en juin 2009), la dette était de 1.884 millions. Une annulation de dette d’un montant de 1.200 millions de dollars est décidée afin de « rendre la dette soutenable ». Entre temps, les plans d’ajustement structurel ont fait des ravages, notamment dans le secteur agricole dont les effets ont culminé lors de la crise alimentaire de 2008. L’agriculture paysanne haïtienne subit le dumping des produits agricoles étasuniens. Il s'agit au final de produire à bas coût pour l'exportation vers le marché mondial

Pour une aide sincère

Il ne faut pas se tromper sur le rôle des ONG internationales. Tandis que de nombreuses ONG tentent de répondre à la crise, les Etats-Unis et d’autres gouvernements fournissent une aide destinée à miner le droit à l’autodétermination du pays. Les ONG internationales n’ont aucun compte à rendre au gouvernement haïtien, pas plus qu’au peuple haïtien. Par conséquence, toute aide qui passe par ces ONG ne fait qu’affaiblir un peu plus le peu d’emprise sur leur propre société encore entre les mains des Haïtiens.

Plutôt que de faire des dons, il serait préférable d'annuler les dettes d’Haïti : totalement, sans conditions et immédiatement. Peut-on vraiment parler de don quand on sait que cet argent servira en majeure partie soit au remboursement de la dette extérieure soit à l’application de « projets de développement nationaux » décidés selon les intérêts de ces mêmes créanciers et des élites locales ? Le Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde exige des gouvernements créanciers et des organisations internationales qu’ils substituent à l’occupation militaire une véritable mission de solidarité, et qu’ils agissent pour l’annulation immédiate de la dette qu’Haïti continue de leur rembourser.

Nous devons également exiger que les Etats-Unis cessent d’imposer leurs programmes néolibéraux. La priorité absolue devrait être de nourrir les haïtiens et de rendre le pays autosuffisant : il faut cesser d'étrangler la paysannerie en forçant l'ouverture du marché à des produits hautement subventionnés. Il faut permettre au pays de prendre en main sa propre production, notamment de textile. Haïti a besoin pour cela de capitaux qui lui appartiennent, et qu'elle puisse faire fructifier à l'abri de barrière douanières, le temps d'être assez fort pour affronter le concurrence. Ces capitaux pourraient venir, outre l'annulation de la dette, d'un prêt équitable ou d'une indemnisation en provenance de la France et des Etats-Unis pour réparer le pillage séculaire auquel ils ont soumis ce pays. Le salaire minimum pourrait alors augmenter progressivement. Cela implique que les Etats-Unis renoncent à la main d'œuvre bon marché qu'elle exploite actuellement, ce qui est inacceptable du point de vue des élites américaines. Une telle dynamique ne manquerait pas de favoriser la structuration de la société civile dans le pays, comme cela a été possible sous les Duvalier, le mouvement populaire ayant porté Aristide comme son représentant. Son parti, Lavalas, devrait être de nouveau autorisé à se présenter aux élections et ses membres ne devraient plus êtres intimidés ou assassinés. Aristide devrait être autorisé à rentrer, dans la mesure ou il incarne toujours la force la plus populaire du pays. Il est vrai qu'il a du sang sur les mains, et qu'il a détourné de l'argent, mais c'est aussi le cas d'un criminel et trafiquant de drogue notoire, Guy Philippe, et sont parti le Front National pour la Reconstruction (FNR), qui sont autorisés à participer aux élections. Une telle histoire ne se déroulerait probablement pas sans heurts, sans nouveaux détournements et sans violence, mais le simple arrêt du soutien occidental aux forces paramilitaires et à l'exploitation économique donnerait assez l'oxygène au pays pour que l'on puisse espérer un vrai rétablissement. C'est certainement un scénario catastrophe pour les Etats-Unis, qui ont besoin d'une main d'œuvre soumise pour leur économie, ainsi que de bases militaires en Amérique Latine, depuis qu'ils en sont été expulsés, la dernière en date étant celle d'Equateur.

Un tel programme permettrait portant aux Haïtiens de commencer à déterminer leur propre avenir politique et économique – tel qu’il avait été rêvé par la grande révolution des esclaves, il y a 200 ans.

Lire aussi : Haïti, l’embargo et la typhoïde


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