Régis Debray est un ronchon. Il devrait être co-opté dans le club du même nom. L’obscénité démocratique son nouvel opuscule (au titre génial à faire pâlir les meilleurs concepteurs-rédacteurs de la place de Paris) est l’essai « bombe » de cette rentrée littéraire. Debray, pour 12 euros, nous démontre en quoi nous sommes passés dans une nouvelle ère où la communication n’est plus considérée comme un moyen, mais comme une vérité, une finalité.
Pour lui, tout devient immédiateté. Tout est immédiateté. Le théâtre a baissé le rideau, acteurs et spectateurs ne font qu’un, la scène et la salle se confondent. L’obscénité pour l’auteur, c’est une société qui confond le nous et le je, « (…) qui fait passer la personne de l’écrivain, avant son écriture, l’homme d’action avant son action, le musicien avant sa musique ».
La Société du spectacle de Guy Debord, qui fête ses quarante ans cette année, arrive en quelque sorte à son avènement ! Obscène cette société qui, au nom de la transparence, veut tout savoir, tout voir, tout connaître, violer l’intime mais pour la bonne cause, bien sûr ! La posture et la démission du pouvoir politique (de Droite et de Gauche) est au cœur de la réflexion de l’auteur qui désespère de sauver sa République ! C'est assez drôle !
Régis Debray devrait continuer à se lâcher et troquer, au fil des livres, ses habits de philosophe contre ceux de communicant ! Ca serait bien qu’il change de peau et qu’il soit confronté aux problèmes ontologiques des collaborateurs d’une entreprise !
Justement, est-ce que les constats de l’auteur restent valables pour nous qui oeuvrons dans la communication interne et qui essayons, je dis bien essayons, quelle que soit notre fonction de dévoiler les invisibles des organisations et même de nos collaborateurs ? A vrai dire, je n’en sais rien… ce que je sais juste, c’est que mon souhait quand j’interviens dans une structure, c’est de justement vivre les fameux moments d’immédiatetés qu’évoquent Régis Debray ; moments d’immédiatetés pour donner du sens, partager une vraie émotion. Tout n’est pas illusion.
Autre point la transparence : mais pourquoi cette aspiration récurrente à la fameuse transparence ? Les salariés seraient-ils à ce point paranoïaques ? A force d’avoir joué au « on nous cache tout on nous dit rien », le management d’une boîte à un moment ou un autre le paye cash ! Ca semble si évident… Vous voyez, on a encore besoin de C.O.M.M.U.N.I.Q.U.E.R !!!
De surcroît, les mots « proximité » ou « convivialité » ne sont pas dans une entreprise des gros mots ! Pourquoi un dirigeant ne serait-il pas sincère quand il est au plus près de ses troupes, sur le terrain ? Pourquoi faire un procès d’intention à priori ? Arrêtons de penser que les salariés sont naïfs ! Et puis, cher Régis Debray, vous devriez savoir, en cherchant dans vos souvenirs, qu’un opérateur ou un collaborateur dans une entreprise a autant besoin qu’on s’intéresse à lui qu’à son travail.
Dernier point, ce livre me donne aussi des raisons d’espérer pour notre métier. Lisez plutôt : « Plus nous allons vers une société de bulles étanches et se communiquant par un clavier, plus nous aurons besoin de vibrer côte à côte : bonheur d’une salle, bonheur d’un peuple ». Il est là le grand paradoxe, plus les entreprises sont éclatées, plus elles ont besoin de rassembler leurs équipes, plus les gens ont besoin de se voir, de se toucher même… pour se rendre compte qu’ils existent encore !
Retour sur des rituels antiques mais si modernes : la cérémonie.
Si notre démocratie est obscène ; l’entreprise elle, ne l’est pas encore assez, non ?
Nota Bene : « Traduisons en bon latin : obscène. Ob-scenus : ce qui reste d’un homme quand il ne se met plus en scène (ob : à la place, en échange de). Quand s’exhibe ce que l’on doit cacher ou éviter » (page 31).
L’obscénité démocratique, Flammarion, 86 pages, 12 euros.