Johannes Josephus Zauffaly, dit John ZOFFANY(Frankfurt am Main, 1733-Strand-on-the-Green, 1810),
Le révérend Randall Burroughes et son fils Ellis, 1769.
Huile sur toile, Paris, Musée du Louvre.
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2010 devrait être riche de commémorations musicales. En France, ainsi que je l’écrivais dans un récent billet, c’est Chopin qui va monopoliser le champ de la mémoire officielle, ne laissant sans doute à Robert Schumann (1810-1856) et Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736), pourtant aussi célèbres que lui, que des accessits. Est-il vraiment utile, une fois ceci posé, de préciser que tous les autres compositeurs malheureusement concernés, cette année, par un anniversaire de naissance ou de mort passeront plus ou moins complètement à la trappe ? Fidèle à sa ligne directrice, Passée des arts se devait de vous proposer quelques rendez-vous avec ces « oubliés de 2010 » ; voici le premier.



Si, durant les premières années, tout semble bien se passer, dès 1750, la situation se dégrade : le 28 juillet, Johann Sebastian Bach meurt et Wilhelm Friedemann, non sans avoir eu soin de se faire remplacer à son poste, se rend immédiatement à Leipzig pour régler la succession. Il ne sera de retour à Halle que le 30 décembre, encourant un blâme de la part des autorités de la ville, qui lui en avaient déjà infligé un en août. L’année suivante voit le mariage, le 25 février, de l’aîné des fils Bach avec Dorothea Elisabeth Georgi (1725-1791), fille de bourgeois aisés, dont il aura trois enfants, deux garçons morts en bas-âge et une fille, Friederike Sophie (1757-1797). Cet épisode heureux ne semble néanmoins avoir été qu’une embellie de courte durée, puisque dès la fin de 1753, Wilhelm Friedemann postule, sans succès, pour un poste d’organiste à Zittau, indice on ne peut plus clair d’un malaise. Le déclenchement de la guerre de Sept-Ans en 1756 gèle pour un temps toute possibilité d’amélioration de la situation du musicien, qui va, en outre, souffrir des restrictions financières imposées par le conflit et voir ses relations avec les autorités de Halle continuer à se dégrader. On le soumet à l’impôt de guerre dont il avait demandé à être exempté, on lui refuse, au motif de sa « conduite inconvenante », toute augmentation de salaire. Comble de malchance, il gâche, par ses atermoiements, une superbe opportunité qui lui est offerte en 1762, celle de succéder à Christoph Graupner (1683-1760) en qualité de maître de chapelle à Darmstadt. Le 12 mai 1764, il démissionne de ses fonctions, dans un contexte qui laisse transparaître, chez les deux parties, de l’exaspération. Il va néanmoins demeurer à Halle jusqu’en 1770, vivant grâce à l’héritage de sa femme et à quelques leçons, tout en tentant, sans succès, de trouver un emploi stable et de publier son Concerto pour clavier en mi mineur (Fk.43, dédicace de 1767), une œuvre dont la recherche de simplicité, qui n’empêche en rien une belle expressivité, semble conçue pour faire pièce aux accusations de bizarrerie et de difficulté d’exécution qui ont été auparavant reprochées à ses partitions, et regarde objectivement vers le style classique :
Au plus tard à l’automne 1770, Wilhelm Friedemann quitte Halle pour s’installer Brunswick. Dès 1771, il postule successivement pour deux postes d’organiste, l’un à Wolfenbüttel en avril, l’autre à Brunswick en mai, avec une audition en juin, où, une fois encore, son talent d’improvisateur s’impose. Mais le sort continue à lui être contraire et il n’obtient aucun des deux emplois. Sa situation financière continue être précaire, mais il subsiste en revendant, petit-à-petit, les manuscrits des œuvres de son père. Une nouvelle fois, il fait ses bagages.

Les Polonaises comptent sans doute parmi les compositions les plus intimes de l’aîné des fils Bach, oscillant entre une mélancolie quelquefois âpre (y compris dans celles écrites en mode majeur) et quelques rares trouées plus lumineuses ; il n’est d’ailleurs pas exclu que Chopin s’en soit nourri.
Les deux derniers concerts d’orgue de Wilhelm Friedemann à Berlin sont documentés les 10 octobre et 3 décembre 1776, avec, semble-t-il, moins de succès. Le compositeur travaille dès 1777, à un recueil de Huit fugues pour clavier (Fk.31) conçu pour Anna Amalia, qui le protège toujours ; l’unique exemplaire imprimé conservé lui sera dédié le 24 février 1778. L’année suivante, le compositeur échoue à obtenir le poste devenu vacant de la Marienkirche de Berlin, et tombe en disgrâce auprès de la princesse de Prusse, après avoir tenté de discréditer Johann Philipp Kirnberger (1721-1783), qui lui enseigne la théorie musicale et la composition. S’il est établi qu’il eut pour élève, après cette date, Sarah Itzig (1761-1854), grand-tante de Felix Mendelssohn, et qu’il continua à composer (la Sonate en sol majeur, Fk.7, avec le tragique Lamento en mi mineur qui constitue son deuxième mouvement, est une œuvre tardive), ce dernier coup du sort, dont il semble avoir été en grande partie l’artisan, le relègue définitivement hors de la vie sociale de la cité. L’aîné des fils Bach « ne se montre pour ainsi dire plus jamais en public et semble oublié de presque tous » lit-on en juillet 1783 dans le Musikalischer Almanach de Leipzig (cité dans Marc Vignal, Les fils Bach, Paris, Fayard, 1997, pp. 308-309). C’est donc obscur et dans la misère que Wilhelm Friedemann Bach meurt à Berlin, le 1er juillet 1784.


Discographie sélective
Fantaisies, Sonates, Fugues, Polonaises.
Maude Gratton, clavecin d’après Christian Zell, Hambourg, 1728, et clavicorde d’après un modèle allemand.

Extraits proposés :
1. Sonate pour clavecin en ré majeur, Fk.3 : 1er mouvement, Un poco allegro.
7. Sonate pour clavecin en sol majeur, Fk.7 : 2e mouvement, Lamento.
Concertos pour flûte traversière en ré majeur, pour clavier en mi mineur et mi bémol majeur. Sinfonia en ré mineur.
Karl Kaiser, flûte traversière, Michael Behringer, pianoforte et clavecin, Robert Hill,
clavecin.
Freiburger Barockorchester.
Gottfried von der Goltz, violon & direction.

Extraits proposés :
2. Sinfonia en ré mineur, Fk.65 : 2e mouvement, Allegro e forte (Fuga).
5. Concerto pour clavier, cordes et basse continue en mi mineur, Fk.43 : 3e mouvement, Allegro assai. (Michael Behringer, pianoforte Keith Hill, d’après
Cristofori).
Concertos pour clavecin en fa majeur, mi bémol majeur, la mineur. Symphonie en fa majeur.
Guy Penson, clavecin.
Il Fondamento.
Paul Dombrecht, direction.

Extrait proposé :
3. Concerto pour clavecin, cordes et basse continue en mi bémol majeur, Fk.42 : 1er mouvement, Moderato.
Cantates. Volume 1 : Lasset uns ablegen die Werken der Finsternis (« Déposons les œuvres des ténèbres », Fk.80), Es ist eine Stimme eines Predigers (« C’est la voix d’un prédicateur », Fk.89). Volume 2 : Dies ist der Tag (« C’est le jour où la souffrance de Jésus », Fk.85), Erzittert und fallet (« Tremblez et tombez », Fk.83).
Barbara Schlick, soprano. Claudia Schubert, alto. Wilfried Jochens, ténor. Stephan Schreckenberger,
basse.
Rheinische Kantorei. Das kleine Konzert.
Hermann Max, direction.


Extrait proposé :
4. Cantate pour la fête de Saint Jean-Baptiste, pour quatre solistes, chœur, deux trompettes, timbales, deux hautbois, cordes et basse continue, Es ist eine Stimme eines
Predigers, Fk.89 : Chœur « Es ist eine Stimme eines Predigers »
Douze polonaises, Sonate en ré majeur (Fk.3), Fantaisie en la mineur (Fk.23).
Robert Hill, pianoforte d’après Cristofori, c.1720.

Extrait proposé :
6. Polonaise n°6 en mi bémol mineur, Fk.12.
Illustrations complémentaires :
Friedrich ? WEITSCH (attribution incertaine), Wilhelm Friedemann Bach, c.1760. Huile sur toile, Halle, Händel-Haus.
Bernardo BELLOTTO (Venise, 1720-Varsovie, 1780), Les fossés du Zwinger à Dresde (détail), 1749-1753. Huile sur toile, Dresde, Gemäldegalerie alte Meister.
Johann David SCHLEUEN (actif entre 1740 et 1774), Halle, la Marktkirche – Marienkirche. Gravure sur cuivre pour l’ouvrage de Johann Christoph von Dreyhaupt (1699-1768), Beschreibung des Saalkreises, 1749.
Johann Georg ROSENBERG (Berlin, 1739-1808), Vue du Marché neuf et de la Marienkirche, 1785. Eau-forte, Berlin, Staatliche Museen.
