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Positive thinking, oui, mais pas trop !

Par Marc Traverson
Think Ah, s'il suffisait de penser comme il faut pour remettre sa vie à l'endroit ! Si, contre la déprime, quelques jolies "images mentales" permettaient de dissiper les pensées moroses et de faire s'épanouir le sentiment du bonheur !
L'excès en toute chose nuit, dit-on. Peut-être touchons-nous effectivement à l'abus, concernant la mode actuelle du positive thinking - ou pensée positive. Il suffit de jeter un œil sur les tables des librairies, inondées d'ouvrages aux titres en forme d'injonctions paradoxales (soyez heureux, soyez vrai, soyez spontané, soyez zen, soyez vous-mêmes, etc.). Le principe général de la pensée positive est simple, même si les modalités d'applications en sont multiples : en évoquant des images, des événements et des perspectives heureuses, nous stimulons en nous le muscle de la réussite et du plaisir. Ce qui est incontestable, au moins à un certain degré. C'est ce que l'on appelle le principe de la prophétie auto-réalisatrice. En gros : si, devant une situation, je m'imagine que je ne suis pas en mesure de la surmonter, je travaille contre ma propre réussite, je "m'empêche". Que je m'efforce au contraire de me projeter dans le succès et l'atteinte de mes objectifs, et je me conditionnerai dans le bon sens, me donnant ainsi les meilleures chances d'exploiter mes talents et mes ressources personnelles pour atteindre l'issue favorable.
Dans son avatar actuel, la pensée positive nous vient d'outre-Atlantique, portée par le courant des happiness studies (études et recherche sur le bonheur). Eloge du volontarisme et de l'optimisme, croyance dans l'idéal du self made man et du tout-est-possible… traits distinctifs et souvent sympathiques de l'Amérique (quand ils ne se retournent pas en leur envers déplaisant : intolérance à la critique, paranoïa, messianisme). Cela, pour les valeurs. Pour ce qui a trait aux techniques de mise en œuvre, elles empruntent au riche arsenal des pratiques de suggestion et d'auto-suggestion, aussi vieilles que l'homme. Ne dites pas aux adeptes de la pensée positive qu'ils appliquent parfois, sans le savoir, la célèbre méthode du docteur Coué. (Un homme qui, soit dit en passant, mérite mieux que sa réputation, alors qu'il est l'auteur d'une méthode d'auto-suggestion tout à fait valable.) Lorsque l'on se répète encore et encore des choses valorisantes, que l'on se persuade d'être capable et valable, on se fait plutôt du bien. C'est mécanique. Mais ça a ses limites. La première sans doute, c'est l'ennui que pourra provoquer ce bain lénifiant. La seconde, plus insidieuse, ce serait de disqualifier a priori toute "pensée mécontente", de recadrer comme inutile et nuisible toute expression d'insatisfaction, de colère ou de révolte – au risque d'installer rien moins qu'un refoulement. Les sentiments déplaisants, les pensées "incorrectes", font partie de notre écologie. Ils portent – eux aussi ! – une énergie de transformation et de changement.
En particulier lorsqu'il est question de psychologie, l'unanimité n'est guère bénéfique. C'est comme la monoculture du tournesol. Cela fait des étendues couleur jaune d'or, très agréables à l'œil, qui n'en sont pas moins des déserts biologiques. Moins de diversité, c'est moins de vie. Faire de la "pensée heureuse" l'alpha et l'oméga de toute psychologie, ce serait à coup sûr appauvrir notre manière de penser le sujet et ses humeurs. Prenons garde, sous prétexte de positiver à tout crin, de ne pas jeter avec l'eau du bain psychique le bébé de la pensée critique.
Que l'on me comprenne. Il est important, indispensable même, d'être en mesure de se projeter positivement dans l'avenir, avec pragmatisme, dans une recherche d'efficacité de nos actions. La recherche d'un point de vue optimiste (quoique je préférerais, dans l'absolu, un point de vue qui ouvre) est un moyen de valoriser la volonté et l'imagination comme moteurs de la construction de son destin. C'est l'excès auquel il importe de prendre garde : l'application des recettes, la répétition de schémas artificiels, le bêlement de banalités en vigueur sur le bonheur obligé. On risquerait le naufrage dans la niaiserie, ou la pensée magique. Le monde mérite d'être vu sans oeillères, seraient-elles pailletées. L'esprit critique (cette vieille valeur voltairienne qui fit un jour partie de cette fameuse "identité nationale"), la lucidité, l'analyse - y compris, et peut-être surtout - appliqués à soi-même, ne sont pas des attitudes dépassées, ou facultatives. Le pessimiste actif porte un regard dont nous avons besoin.
Il n'est pas impossible que la mode de la pensée positive soit, à un gros siècle distance, une manière de réaction à la pensée freudienne, et à son modèle d'inconscient "tragique" – continent noir et inconnaissable – tel que le popularisa un savant viennois confronté, on l'oublie trop souvent, à la montée des périls dans la Mitteleuropa. Mais progresser, c'est hybrider. Inutile de prétendre noyer la complexité de l'être et de l'âme sous les flots d'une gentillette musique d'ascenseur. Penser positif, oui, mais pas trop.

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