Le fils de deux mères françaises est-il français?

Publié le 09 novembre 2007 par Willy
Lucien, 18 mois, a officiellement deux mères, des Françaises vivant au Québec. Le consulat refuse de lui accorder la nationalité.

(De Montréal) Mathilde et Séverine vivent en union civile (l'équivalent du Pacs) depuis 2005. Elles sont les mères de Lucien, 18 mois, né d'une procréation "amicalement assistée". Ce terme, issu du code civil québécois, signifie que l'un des deux parents est la mère biologique. Au mois de septembre, elles décident de dresser leur testament, au cas où, et tentent dans la foulée de faire naturaliser leur fils auprès du consulat général de France à Montréal.

Si la demande de naturalisation est déposée plus de trente jours après la naissance de l'enfant, la procédure prévue est la suivante: le consulat ne peut pas émettre de certificat de naissance français, mais il doit transcrire l'acte de naissance québécois:

"Avant ou après trente jours, il n'y avait pour nous aucune différence. On pensait qu'il s'agirait d'une simple formalité dans la mesure où nous étions prêtes à accepter d'inscrire Lucien uniquement sous le nom de Mathilde [la mère biologique, ndlr]", précise Séverine.

Quelques jours après avoir envoyé leur dossier au consulat, le couperet tombe: "Le consulat général de France à Montréal ne peut transcrire l'acte de naissance de votre enfant, car les énonciations figurant dans son acte québécois sont contraires à l'ordre public français", écrit le consul dans une lettre adressée aux deux parents. En clair, leur demande de naturalisation pose problème à l'état civil.

La raison? L'acte de naissance de Lucien stipule qu'elles sont les deux mères de l'enfant. Or, selon le code civil français, "est réputée mère la personne qui a accouché", déclarent les services consulaires pour justifier leur refus.

"Tout ce qu'on demande, c'est qu'il soit inscrit à l'état civil"

Une décision que refuse Séverine: "Dans tous les cas, il est français. Tout ce qu'on demande, c'est qu'il soit inscrit à l'état civil." Les deux mères ont dressé un testament: "Au cas où on décéderait toutes les deux, on souhaite que Lucien soit rapatrié en France auprès de nos familles respectives."

Elles sont prêtes à accepter que seule la mère biologique ne soit mentionnée sur l'acte, le père étant noté "inconnu". Selon l'article 18 du code civil: "Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français." Mais même dans ce cas, il est impossible de rayer le nom de l'une des deux mères, l'acte devant être transcrit en bonne et due forme.

Le consulat a donc transmis le dossier pour instructions au procureur de la République du tribunal de Nantes, qui exerce la tutelle en matière d'état civil pour les expatriés. "On se trouve devant un vide juridique", estime Séverine. Et sa compagne d'ajouter : "Une telle injustice, ça ne devrait pas exister. C'est une aberration."

Le code civil québécois accorde quant à lui le droit aux couples homosexuels de s'engager en union civile et d'avoir ainsi les mêmes droits et devoirs que les couples mariés depuis 2002 -le Québec a ensuite reconnu le droit au mariage gay en 2004.

Ils peuvent aussi avoir un enfant, que ce soit par adoption, procréation médicalement assistée ou avec "les forces génétiques d'un tiers" (un contrat de mère porteuse n'est toutefois pas reconnu). Dans tous les cas, le code civil québécois est formel: la filiation est légalement identique à la filiation par le sang.

A l'époque, certains estimaient que ces changements apportés au code civil étaient précipités, notamment Alain Roy, professeur de droit à l'Université de Montréal. Aujourd'hui encore, il se montre critique de cette disposition légale:

"Ce n'est pas une question de droit de l'enfant, mais plutôt de droit à l'enfant. Il s'agit d'une perversion des concepts alors que l'acte de naissance est le document fondateur d'un enfant."

Malgré ces réserves, la société québécoise semble avoir accepté cette nouvelle définition de la famille.

Sarkozy: "Les enfants ont besoin d'un père et d'une mère"

De l'autre côté de l'Atlantique, la classe politique est divisée. En 2006, 174 députés UMP et UDF ont signé une entente parlementaire contre l'adoption homosexuelle , que ce soit un enfant extérieur au couple ou l'enfant d'un deux conjoints. Une position reprise par Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle, dans une interview au Figaro Magazine:

"Aujourd'hui, il est nécessaire d'aller plus loin que le simple Pacs. Mais le modèle qui est le nôtre doit rester celui d'une famille hétérosexuelle: les enfants ont besoin d'un père et d'une mère."

A l'opposé, Ségolène Royal s'est prononcée en faveur de l'homoparentalité par l'adoption, "sur la base de la qualité du projet familial". Mais les avis sont partagés au PS, comme en témoigne la position de Lionel Jospin:

"La construction de la personnalité d'un enfant. Elle se fait dans l'altérité, dans le rapport aux deux genres, masculin et féminin, donc à un père et à une mère."

Le couple a demandé l'aide des deux sénateurs des Français établis hors de France représentant le Parti socialiste, Richard Yung et Monique Cerisier-ben-Guiga. Cette dernière a d'ailleurs adressé une lettre à la Garde des Sceaux, afin d'appuyer leur cause.

Son collègue précise toutefois que leur démarche ne vise pas la reconnaissance des deux mères, mais seulement de la mère biologique. "En droit français, les parents c'est un père ou une mère", précise-t-il. Les sénateurs sont habilités à saisir la Halde, un recours qu'ils n'excluent pas.

L'intérêt supérieur de l'enfant doit primer

Côté justice, une récente décision pourrait faire pencher la balance du côté des parents de Lucien. Un couple hétérosexuel s'est battu sept ans pour faire naturaliser leurs enfants, deux jumelles nées aux Etats-Unis d'une "gestation par autrui" (mère porteuse). Comme le révélait Libération, la cour d'appel de Paris a tranché en leur faveur à la fin du mois d'octobre. "La non-transcription des actes de naissance aurait des conséquences contraires à l'intérêt supérieur des enfants", a jugé le tribunal.

Cette décision fera-t-elle jurisprudence? "Trop tôt pour le dire", affirme une source bien au fait de ces causes. Chose certaine, ce jugement reste sous le joug d'un éventuel pourvoi en cassation.

Quant aux droits des familles homoparentales, ils restent à définir. La Cour de Cassation a émis un arrêt en 2006 autorisant la délégation de l'autorité parentale au sein d'un couple homosexuel. Un an plus tard, elle a toutefois rejeté une demande d'adoption déposée par la compagne d'une mère biologique.

Mathilde et Séverine se déclarent prêtes à affronter les démarches judiciaires, mais elles craignent les frais d'avocat. "On n'a pas des milliers de dollars à dépenser en recours", précise Séverine:


Par Florent Daudens (Journaliste)  - http://rue89.com/   08/11/2007