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Le journalisme dans de sales draps

Publié le 23 janvier 2010 par Vogelsong @Vogelsong

Selon une étude TNS le crédit de la presse en France est constant, tandis que 66% des personnes interrogées doute de l’indépendance des journalistes. Une étude sur la presse, commentée par la presse ne peut déboucher sur une quelconque remise en question. Plutôt un résultat mi-chèvre mi-chou. La presse se regarde, s’admire presque. Mais la défiance est là. De la tempête dans un microcosme du cas A. Chabot et N. Saint-Criq, à la l’humiliation des reporters de guerres par le pouvoir jusqu’aux USA qui innovent par la glorification des reporters par les reporters, le journalisme est dans de salles draps.

Le journalisme dans de sales draps
Bouffi de colère, raidi, les bras croisés, A. Duhamel tance V. Peillon qui a l’outrecuidance de les traiter, lui et les siens de menteurs. La scène se passe sur le plateau de Canal Plus, où le député socialiste, devant une cour pénale auto constituée est sommé de s’expliquer sur son incartade. La déviance reprochée : avoir laissé A. Chabot seule dans son marigot avec M. Le Pen et E. Besson. Le message est clair, dans le monde médiatique la bienséance est de mise et on ne pose pas de lapin aux journalistes. Sous peine de subir les foudres de la profession. Sur le plateau de « La ligne jaune » quelques jours plus tard, B. Roger-Petit ancien journaliste lâche ce que tout le monde sait déjà, dans le microcosme. N. Saint-Criq rédactrice en chef de l’émission d’A. Chabot est la belle-sœur d’A. Duhamel. Ça, c’est interdit ! La ligne jaune est franchie. Les petites turpitudes (intra) corporation ne doivent pas sortir du sérail. Sous peine de braquer le téléspectateur, l’auditeur ou le consommateur de sensations fortes médiatiques comme un débat d’extrême droite. À propos de la révélation de B. Roger-Petit, P. Galvi ivre de rage déclame « ne critiquez pas les gens pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font, vous jetez la suspicion… ». G. Birenbaum tient un scoop. Présents sur le plateau, des journalistes dont G. Roquette de Valeurs Actuelles qui ne trouvera rien à redire à cette affirmation pétrie de bon sens sauf… Sauf que son magazine se positionne sur un créneau ultra conservateur qui dresse inlassablement des portraits hagiographiques d’aristocrates, de nantis, de rentiers qui ne sont là que parce qu’ils sont. Plus largement, si les médias ne traitaient que des acteurs (des vrais), ceux qui « font », les pages quotidiennes seraient vides de célébrités*. Aucun ministre ne trouverait d’espace pour décrire ce qu’ils simulent. Parler des gens pour ce qu’il font et non pour ce qu’ils sont c’est exactement ce que la presse ne fait pas.

Dans la petite aristocratie médiatique, les vicissitudes personnelles, les copinages ne s’étalent pas. La crédibilité de la corporation en dépend. Cette règle s’efface dès lors que cela ne touche plus au microcosme. Les secrets intouchables qui bruissent dans les coursives des buildings de verre sont soigneusement calfeutrés. Par contre, il est permis de se lâcher, sur les gueux, les concubines, les taulards.

Plus loufoques encore, la piétaille, les tricards, les forçats se gardent bien de divulguer les petites historiettes salaces. Les fantassins de la corporation jappent à l’unisson pour défendre leur « intégrité » dès que l’on égratigne un des nababs. Dans une sorte de crispation pavlovienne. Pur réflexe grégaire. Une partie d’entre-deux même, pitoyable, rêvant peut-être du califat se forment en phalanges pour protéger leurs généraux A. Chabot, A. Duhamel, P. Val, C. Barbier…

La même semaine, C. Guéant, bouche sévère de N. Sarkozy, s’essuie les godillots sur la corporation. En visant plus particulièrement les reporters de guerre. La prise d’otages de deux journalistes de France 2 met le gouvernement face à la problématique de son engagement militaire. Mais plus largement, quand il reste encore quelques fondus de reportage pour fouiner en zone de conflit, et ramener un autre point de vue que celui distillé parle service de presse des armées, ou les dépêches de l’AFP recopiée du ministère de la Défense, la présidence se fâche. Le ménage est fait en France, le journalisme circulaire bat son plein, l’information fossilisée et verrouillée s’impose comme denrée commune. Le milieu s’est sclérosé. Peut-être que la presse put un jour faire démissionner un politicien crasseux ? Aujourd’hui, ces mêmes politiciens promeuvent, débauchent, manipulent. Affaire récente, le cas J. Dray où ce n’est pas la pugnacité journalistique qui met au jour un (faux) détournement d’argent, mais une trahison interne au PS manœuvrée par le ministère du Budget. Les reporters n’y sont pour rien, sauf en dernier recours pour appuyer et faire sortir le gras.

La liberté de la presse est un principe constitutif de la démocratie. Servi par cette continuelle auto promotion, la corporation ne se remet pas en cause malgré la défiance qu’elle suscite. Mieux, elle réussit même des opérations marketing inattendues. Dans l’enfer haïtien, les journalistes américains versent dans l’information émotionnelle par la glorification du métier. Les reporters sauveteurs tournent en boucle sur les networks US. Ces parangons, encore capables de partir en zone dévastée, de rendre compte et même certaines fois, de porter assistance à leurs semblables n’ont plus le courage de couper la caméra pour éviter de se raconter. Une saisissante parabole sur l’impuissance des démocraties narcissiques qui tergiversent depuis des décennies devant la situation inhumaine d’Haïti, et qui se mobilise bruyamment après un tremblement de terre dévastateur. Le journalisme est devenu un œil malsain, incapable de transformer le monde, seulement rompu à en contempler ces abjections et à essayer de les rendre acceptables.

*sens large, politicien, éditorialiste multicarte, acteur, chanteur et professionnels des médias

Vogelsong – 20 janvier 2010 – Paris


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