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Les chants de la Walkyrie, Tome 1

Publié le 23 janvier 2010 par Sébastien Michel
Edouard Brasey,
Belfond, octobre 2008, 396 pages
A partir de 19 € sur Amazon.fr
Première partie de « La Malédiction de l’anneau », saga en quatre volumes (1), Les chants de la Walkyrie, sans doute, feront date dans l’univers de la fantasy française. L’auteur, spécialiste reconnu des légendes celtiques et nordiques, a déjà publié une trentaine d’ouvrages dont La Petite Encyclopédie du merveilleux (Le Pré aux Clercs) qui a reçu en 2006 le prix spécial du jury du festival Imaginales d'Épinal et le prix Claude-Seignolle de l'imagerie.
Les chants de la Walkyrie, Tome 1
Edouard Brasey, un scalde moderne (1)
Est-il encore utile de rappeler que nos écrivains français n’ont plus rien à envier aux auteurs anglo-saxons dans le domaine de la fantasy ? En effet, on connaissait le talent de Jean-Louis Fetjaine, merveilleux conteur des Chroniques des elfes ou celui de Pierre Grimbert, créateur de l’étonnant Cycle de Ji. Il faut assurément ajouter, dans la cour de ces maîtres enchanteurs, le « poète » Edouard Brasey. Dans des pages au style parfois enlevé, épiques et sombres à la fois, comme écrites sous l’envoûtante dictée d’un ancien scalde viking, le romancier parvient à redonner vie aux anciennes sagas nordiques suivant les pas du compositeur allemand Richard Wagner (L’Anneau du Nibelung, célèbre tétralogie présentée pour la première fois au festival de Bayreuth en 1876) et l’écrivain britannique John R.R. Tolkien (Le Seigneur des anneaux achevé en 1955).
« Mon nom est Brunehilde. Je suis une Walkyrie, née comme mes sœurs de la semence sacrée du dieu Odin et du ventre ombreux d’Erda, la déesse Terre. Sur la roue éternelle du temps, j’ai été tour à tour fière déesse, guerrière farouche ou femme soumise aux bonheurs et aux tourments humains. J’ai connu les félicités et les béatitudes réservées aux divinités, j’ai connu l’enthousiasme et l’ivresse des combats, j’ai connu les vertiges de l’amour, les poisons de la trahison et la saveur amère de la vengeance, mais je n’ai pas connu la sérénité de la mort. Je suis une Walkyrie et je suis immortelle. »
Les « chants de la Walkyrie » ou le récit d’une lignée maudite
Les chants de la Walkyrie racontent les origines de la « malédiction de l’anneau » à travers le récit des aventures de Brunehilde, fille d’Odin et d’Erda, dans les domaines des dieux et celui des hommes. Elle est l’une des neuf Walkyries, vierges guerrières qui choisissent sur les champs de bataille les héros dignes d’être admis dans le Walhalla, le paradis des braves. Pour perpétuer l’étincelle divine chez les hommes quand adviendra la chute des dieux, elle reçoit mission par son père de sauver la lignée des rois mortels du Frankenland qu’il a engendrée, menacée de disparaître du fait du courroux de son épouse jalouse, Frigg, la déesse des serments et des liens du mariage. En possession d’une pomme d’éternelle jeunesse dérobée dans le verger de Freya à l’instigation d’Odin, décidément bien trop « humain », contraint de contrevenir aux lois qu’il a pourtant fondées en s’évertuant en vain à rattraper les conséquences fâcheuses de ses fautes passées, sa fille, Brunehilde, doit abandonner son statut divin et accepter une existence simple parmi les habitants des régions du Rhin, sur les terres du Midgard (« terres du Milieu »), en se mettant au service de l’inféconde reine Vara et de son époux, Rérir. Ce dernier tente de rallier les tribus germaniques à ses projets de paix et d’unité. Tantôt guidée par Odin, par moments accablé par les drames qu’il a le don de provoquer, tantôt rejetée par lui au milieu des fracas de la guerre, des ambitions des chefs de clans, des ruses et intrigues initiées par le génie du Feu Loki, terrible « brandon de discorde » parmi les antiques Ases, Brunehilde doit apprendre à tracer sa voie parmi des humains frustes et violents mais aussi attirants par leur liberté et insouciance. Placée, par l’impétueux flot de la destinée, au cœur d’une famille saignée et malmenée par les errements de son père et la malédiction de « l’anneau du Nibelung », la Walkyrie nous narre la fin du monde et le combat désespéré d’Odin contre la prédiction des Nornes (les Parques du Nord), celle du « crépuscule des dieux », le jour du Ragnarök (3).
Des dieux et légendes longtemps suspects aux yeux du public
Comme nous l’écrivions plus haut, Edouard Brasey reprend et transforme une littérature scandinave qui a servi d’inspiration au compositeur Richard Wagner (sa Walkyrie est une des musiques fortes du film Apocalypse Now de Francis Ford Coppola) et à l’écrivain John R. R. Tolkien pour son immense fresque du Seigneur des anneaux (l’anneau maudit du Nibelung est devenu celui de Sauron et la région du Midgard sert de modèle à sa « Terre du milieu » par exemple). Cependant, force est de reconnaître que dans la littérature fantastique, les divinités nordiques ont moins influencé les écrivains que la geste arthurienne ou les mythologies grecque ou orientales (4). Pour Brasey, dans son avant-propos, il faut trouver l’origine de cette suspicion aux « yeux du public » dans « la manipulation tendancieuse, orientée par certains chantres de l’hégémonie germanique et de l’inégalité des races voici un peu plus d’un demi-siècle. » L’influence de la « Société de Thulé » sur les dignitaires nazis entre les deux guerres mondiales et la « fabrication » d’un imaginaire propre à galvaniser les foules allemandes sont bien connues des historiens (5). Plus loin, l’écrivain ajoute que « de nombreux récits de fantasy se sont inspirés des mythologies nordiques, mais dans le but de créer d’autres univers originaux, un peu comme l’avait déjà fait Tolkien. » Si le but de la présente saga était de réintégrer comme il se doit les légendes nordiques au sein de la littérature contemporaine, le pari d’Edouard Brasey est à l’évidence réussi.
(1) Un « scalde » est un poète scandinave du Moyen Âge. Le plus connu d’entre eux est l’Islandais Snorri Sturluson (1179-1241) auteur de l’Edda (connue encore sous les noms d’Edda en prose ou de Jeune Edda), œuvre majeure pour la connaissance de la mythologie nordique (une traduction en a été faite par François-Xavier Dillman chez Gallimard dans la collection « L’Aube des peuples », en 1991).
(2) Pour plus de détails, voir ici le très bon site internet de la maison d’édition Belfond qui consacre plusieurs pages à l’auteur et sa tétralogie.
(3) Dans la même veine, on conseille la lecture d’un bel ouvrage, chez l’Atalante, celui de l’espagnol Javier Negrete, Seigneurs de l’Olympe (prix Minotauro), paru en octobre 2007 et qui narre avec délice, grâce aux emprunts tirés des mythologies grecque et nordique, décidément à la mode, les aventures de Zeus pour sauver son trône de l’ambitieux Typhon, fils de Cronos, au milieu des intrigues et complots de l’Olympe.
(4) Parmi les rares ouvrages, nous pouvons citer celui de l’écrivain et historien Claude Mettra, La Chanson des Nibelungen paru en 1984 (Albin Michel).
(5) Sur ce sujet, voir l’étude de l’historien américain, d’origine allemande, George L. Mosse (décédé en 1999), Les racines intellectuelles du Troisième Reich paru en 2006 aux éditions Calmann-Lévy. Voir également Le national-socialisme et l'antiquité, de Johann Chapoutot (PUF, octobre 2008, 544 pages, 28 euros) qui s'interroge : « Quelle curieuse manie a pu pousser, en plein XXe siècle, les dignitaires du régime nazi à parler, et à parler autant, des Grecs et des Romains ? »

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