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Dur, dur d’être banquier

Publié le 23 janvier 2010 par Martinez

Remi Guillet

Cet article a été écrit par Rémi GUILLET aujourd’hui retraité. Ingénieur de l’Ecole Centrale Nantes (ex ENSM promotion 1966), il est aussi Docteur en Mécanique et Energétique (Université H. Poincaré-Nancy 1-2002) et diplômé en Economie/Gestion (DEA Université Paris 13-2001).

Son activité professionnelle l’a amené à travailler essentiellement en recherche appliquée dans le domaine de la combustion. Il s’est fait notamment connaître pour ses travaux sur la « combustion humide », recevant un Prix « Montgolfier » des Arts chimiques en 2002 (Prix décerné par la Société d’Encouragement de l’Industrie Nationale).

Il a été en charge du secteur Energie/BTP au siège de OSEO entre 1995 et 1998

Les débats sur l’actualité des banques et leur « redressement spectaculaire » tant il est rapide, sont remarquables de… confusion : tohu-bohu souvent digne de ce qu’on entend au café du commerce, interpellant plus qu’il n’explique même à ceux qui sont relativement instruits de la « chose économique »… Dans ce contexte, peut-être n’est-il pas inutile de rappeler trois temps forts qui ont marqué l’histoire récente des banques… au service de l’économie !

D’abord le krach boursier de 1929 venu du dysfonctionnement ou de dérives dans l’allocation des crédits et dont les conséquences désastreuses auront été déterminantes pour la suite de l’histoire du XX ème siècle : 10 ans de récession et de chômage massif… qui ont mené à la deuxième guerre mondiale et tout ce qui a suivi.

Ensuite, à partir des années 60, la mise en place et le développement intensif du crédit à la consommation avec comme conséquence la naissance de la société du même nom… qui aura ruiné en moins de 50 ans le patrimoine naturel de la planète…

Enfin, en 2006 / 2007, avec l’attribution abusive de crédits à des consommateurs précaires ou en situation de ressources insuffisantes avérées, la crise dite des subprimes qui allait ébranler à nouveau le monde de la finance et provoquer une nouvelle crise économique majeure…

Plutôt triste bilan ! Et pourtant les banques (et autres organismes financiers) sont des « utilités » de première importance. Faut-il rappeler qu’aux XV ème et XVI ème siècles ce sont elles qui ont permis au commerce de se développer en évitant des transports de fonds mal sécurisés, ce sont elles qui ont permis le développement du transport maritime, le développement de la manufacture et de l’industrie puis, avec la mise en place de sociétés anonymes d’actionnaires, les grands chantiers des XIX ème et XX ème siècles ? Alors, il ne faut certainement pas jeter le bébé - pardon !-… le banquier avec l’eau du bain !

Le métier traditionnel de la banque : faire le lien entre l’épargne et le crédit

A vrai dire l’échange direct de valeurs entre un emprunteur et un créancier est possible et a toujours été pratiqué … Cependant il suppose un lien de confiance absolue entre les deux protagonistes et en pratique concerne rarement de fortes sommes. Apparues au XV ème siècle, d’abord en Italie, en Allemagne, les banques constituent un terrain neutre où créanciers et emprunteurs n’ont pas à se rencontrer ni à se connaître, où des créances d’origine multiple peuvent être allouées à un seul emprunteur, où la confiance passe par la caution morale du banquier. Il y a là la première « utilité » de la banque : faire la liaison entre l’épargne et le crédit.

Aujourd’hui, le crédit concerne aussi bien l’investissement, indispensable aux entreprises, que la consommation. A ce titre, il est devenu indispensable aux ménages les moins nantis alors maintenus en permanence dans la situation de consommer plus que ne leur permet leur « avoir » disponible. Et le crédit est devenu un outil « doublement » nécessaire au fonctionnement de l’économie moderne ! Ainsi la responsabilité du banquier est-elle particulièrement importante entre le « trop » et le « pas assez » de crédit !

Mais si, comme dans toute activité économique, le profit des banques est fonction des quantités traitées, il est aussi fonction du « différentiel » pratiqué entre les taux moyens de rémunération de l’argent épargné, et celui de l’argent prêté. Plus ce différentiel est élevé et plus la banque gagne sur chaque opération.

Certes les banques sont soumises au régime de la concurrence mais dans un contexte où elles sont un passage obligé pour des acteurs économiques de plus en plus demandeurs de crédits (sauf ralentissements conjoncturels), notre propos est d’attirer l’attention sur les marges pratiquées en moyenne et sur le fait que la pratique d’abus ne peut que léser l’ensemble du reste des circuits économiques. Les banques ont donc, avec les quantités de crédits alloués et leurs « marges », une responsabilité de première importance.

Par ailleurs, et pour appuyer notre propos, les banques doivent également se soucier de l’inflation que le crédit peut engendrer via les intérêts que l’emprunteur doit verser. En effet, du point de vue macro économique, le « commerce du crédit » doit être source de croissance, à la hauteur des intérêts qu’il suscite. Plus la quantité de crédit allouée est grande et/ou le taux du prêt élevé, plus la croissance doit l’être ! En cas de croissance insuffisante, il y a inflation (1). Aux banques et autres organismes de prêt de tenir compte du risque d’inflation implicite à l’allocation de crédit.

Une nouvelle activité florissante : le trading

Au centre de leurs activités nouvelles et très « productif » se trouve, depuis les années 80 et particulièrement florissant depuis la fin des années 90 avec le développement d’internet, l’activité boursière des banques : le trading et ses surenchères ; une véritable « machine à bulles »… à profits virtuels !

L’actualité a récemment mis en lumière les dérives de comportement de certains agents de trading et plus récemment encore celui de banques qui continuent à provisionner des « bonus » pour « leurs traders ».

Alors la collectivité, au travers des pouvoirs publics, revendique l’encadrement de cette activité hautement spéculative, qui engage à nouveau et au plus haut niveau la responsabilité des banques vis-à-vis de l’ensemble de la société.

Mais que veulent les banques au nom de l’intérêt général ?

Nous avons dit tohu-bohu…

Notre point de vue

Pour tenter d’expliquer ce redressement spectaculaire, revenons sur les raisons données au risque de « faillites bancaires ».

- Des subprimes titrisés : Mais alors, ce sont les épargnants (qui se sont vus octroyer ces titres, le plus souvent dans un package plus ou moins opaque, qui ont fait les frais des subprimes ! Et mon voisin, mon cousin possesseurs de tels titres devraient être, par priorité, devenus les propriétaires - au moins partiellement - d’habitations construites au Colorado, en Floride, etc. que leurs occupants, dans l’incapacité de payer leur « mensualités » ont dû quitter ! Et les banques n’ont pas été affectées par la crise des subprimes autant que cela a pu être laissé entendre !

- Trop de games pour les traders : Ou bien les traders mettent en jeu des actions détenues par les investisseurs privés, ou bien ils mettent en jeu les fonds propres de la banque pour laquelle ils « travaillent ». Dans le premier cas, s’il y a enregistrement de plus-value, le « gain » en revient à la banque, au trader et à l’investisseur actionnaire. Donc tout va bien pour tous. S’il y a « perte », la banque peut le déplorer mais la perte affecte surtout l’investisseur actionnaire qui voit son capital fondre. En revanche, s’il y a prise de risque du trader jouant avec les fonds propres de « sa » banque, c’est la banque qui perd en cas d’échec. Mais alors, il n’y a pas de raisons « statistiques » pour penser que des pertes colossales puissent affecter un grand nombre de banques simultanément, sauf s’il y a des imbrications entre elles, mais lesquelles ?

Donc au final, reste une crise « psychologique », une crise de confiance – comme cela a été souvent dit après l’effondrement d’une banque « phare » américaine et l’affaire des subprimes - ou plus justement encore la crainte des pouvoirs publics (plus qu’un risque rigoureusement évalué) de voir s’effondrer le système bancaire international !

Cold case or not ? That’s the question…

Mais nous n’irons pas plus loin dans la tentative d’analyse des causes ou des raisons à un redressement aussi rapide des banques. Nous nous contenterons d’enregistrer ce dernier comme de bon augure ! Malheureusement, en attendant et de son côté, l’activité économique réelle est bien en panne, avec des perspectives qui restent moroses et un grand besoin - même s’il n’est pas toujours manifesté (le contexte de précarité de l’emploi induit une grande fébrilité des demandes de crédits à la consommation) - d’une intervention très volontariste de la finance pour favoriser la relance ! Les banques doivent donc par priorité en revenir à leur premier métier en soutien à l’économie réelle, en accepter les risques en cette période de récession (se rappeler des années qui ont suivi le krach boursier de 1929).

Mais la réussite d’une telle relance passe par des marges très imprégnées du contexte, des taux du prêt de l’argent très bas, en harmonie avec les (mauvaises) perspectives de croissance réelle. Le défi que doivent relever les banques relève désormais de l’intérêt (sociétal) général.

Par ailleurs et par induction, le comportement des banques peut influencer celui des épargnants et investisseurs (marché du capital oblige), pouvant amener les actionnaires à revoir leur exigences de rentabilité de leurs placements, pour, au final, permettre des gouvernances d’entreprises plus enclines au maintien de l’emploi avant tout et ainsi éviter, autant que faire se peut, le développement d’un chômage déjà dramatiquement élevé.

De même, le risque du trading doit (sérieusement) être encadré, activité à revoir à la baisse (d’autant plus qu’elle repose sur l’évaluation de valeurs, à venir, avec le risque de produire des richesses virtuelles, éphémères, inflationnistes, etc.).

Nous avons eu l’occasion de montrer ce que pouvait apporter la répercussion du coût du trading sur la rémunération des traders pour aller dans le sens souhaité (2).

Installées souvent dans des immeubles de verre - symbole de fragilité - mais dans une mise en œuvre qui n’autorise pas la transparence attendue de ce matériau, de leur « hauteur » dans les plus grands quartiers d’affaires du monde, les banques doivent assumer la grande responsabilité qui leur incombe dans la gestion de la crise en cours. Mais en plus et en dépassement à cela, elles doivent également prendre part à la réflexion de fond et plus que jamais nécessaire à propos des défis sociétaux de plus long terme...

Décidément, dur, dur d’être banquier !

(1) Petite dissertation sur l’inflation

(2) La fidélisation des actionnaires passe aussi par la rémunération des traders


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