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Crise du capitalisme et révolution

Publié le 24 janvier 2010 par Jplegrand
 

Jean-Paul Legrand répond à quelques questions sur la situation politique

Comment caractérisez-vous la situation actuelle ?

Nous sommes dans une phase spécifique du capitalisme. On a l’habitude de parler de crise financière. C’est vrai mais c’est incomplet. Nous vivons sans doute la crise la plus grave qu’ait connue la société capitaliste depuis qu’elle existe. Toutes les références, les repères sur le plan culturel, moral, idéologique, économique, social, politique sont bouleversés. Cette crise interroge le sens de la vie humaine, c'est-à-dire le sens de la vie collective car sans elle il ne peut y avoir d’humanité. On peut voir déjà les effets barbares de cette crise sur l’existence de millions d’individus, sur leur présent mais aussi sur la représentation qu’ils se font de l’avenir : que vais-je devenir ? Comment vont vivre mes enfants ? Faut-il que je devienne aussi un loup pour les autres afin de survivre ? Pour quelles raisons détruit-on mon emploi, mon entreprise alors qu’ils étaient utiles à la société ? Comment se fait-il que le monde produise tant de richesses et qu’il y ait tant de misère ? Comment peut-on expliquer que l’on n’ait pas réduit sensiblement le temps de travail alors que la productivité du travail n’a jamais été aussi élevée dans toute l’histoire de l’humanité ? Et tant d’autres questions qui sont d’ordre anthropologique, des interrogations non seulement sur le sens de la propre vie de chacun mais sur le sens même du proche avenir de l’Humanité.

Ce n’est donc pas seulement en réfléchissant sur les causes économiques de la crise que des solutions pourront être trouvées mais aussi sur les raisons idéologiques, les représentations que se font les gens de la société. Or c’est là que rentre en ligne de compte le problème de la politique. Les organisations politiques semblent dépassées par les événements car pratiquement toutes n’existent que par et pour le maintien du système capitaliste ; même si certaines proclament leur volonté de transformation, elles reproduisent dans leur programme et dans leur fonctionnement les mêmes rapports que ceux que nous vivons : domination, hérarchie autoritaire, mise en spectacle de la politique pour la confisquer aux gens, simulacre de dialogue, quasi inexistence de formation critique,  emploi d'arguments d'autorité, embrigadement ans des formes d'action non définies par les gens eux-mêmes, etc... La très grande majorité de ces organisations travaillent à la sauvegarde  de l’ordre social existant parcequ'il risque de se transformer en un désordre extrêmement violent à tout moment (insurrection, guerre, révoltes de masse).  Ces organisations politiques, fruit d’une longue histoire, font partie consciemment ou non de l’appareil idéologique d’Etat qui tente de réguler les conséquences de l’exploitation en apportant des réponses dites « sociales » mais qui en même temps exerce une domination implacable et est prêt à réprimer toute tentative sérieuse de transformation.

Justement vous parlez de préparer la révolution, qu’entendez vous par là, ne craignez vous pas d’effrayer les gens avec un terme qui rappelle davantage la guillotine que le progrès social ?

Il est évident qu’il ne s’agit pas de penser la révolution avec les images qu’on a voulu nous imposer en ne retenant que les événements sanglants de notre propre révolution française. La violence dans l’histoire n’est que le résultat de sociétés de classe et il s’agit justement de mettre en cause ces rapports de classe pour en finir avec la violence. Mais nous savons très bien que le meilleur moyen de contenir la violence et d’essayer de la transformer en énergie efficace et  intelligente c’est de pratiquer la démocratie. Autrement dit il faut pousser la démocratie beaucoup plus loin qu’elle ne l’a été jusqu’ici car elle n'en est qu'à sa préhistoire. Il faut lui donner tous les atouts et ne pas la limiter aux seules élections. D’ailleurs on voit bien que les élections à elles seules n’apportent aucune solution à la crise si elles sont déconnectées des luttes et si les citoyens n'ont pas les informations et la formation pour appréhender les enjeux politiques. Les élections dans notre société sont très souvent des moyens de légitimation de politiques qui sont menées contre la majorité des électeurs. Pour la classe exploiteuse et son personnel politique, il s'agit avec les élections d'obtenir de la part des exploités une validation du système et de sa continuité. Il faut avouer qu'ils y parviennent du fait de la mise en scène opérée entre droite et gauche qui se partagent les rôles. Encore que l'abstention signifie très souvent un refus de participer à ce jeu pervers où les exploités sont non seulement perdants mais où ils participent à leur propre exploitation. Il faut avoir le courage de le dire la démocratie passe par une élévation des connaissances politiques de la grande masse des gens. Connaissances prises dans leur ensemble : c'est à dire dans la théorie et dans la pratique. Sans ce couple théorie-pratique, mener les luttes et les penser, sans l'effort conceptuel  de généralisation et d'analyse sur les phénomènes sociaux vécus par les exploités eux-mêmes on restera dans la crise de la politique pour la plus grande satisfaction des exploiteurs. Autrement dit faire de la politique est la solution à la crise, mais en faire collectivement, démocratiquement pour arracher à ceux qui nous exploitent et nous dominent les moyens de se former, de s'informer et de participer aux choix économiques et politiques. Cela n’a rien à voir avec les batailles de clans au sein de la plupart des partis, avec la politique-spectacle affligeante que nous impose l’appareil médiatico-idéologique.

Alors vous préconisez de ne pas voter, de ne pas participer aux élections ?

Non tout au contraire, il faut utiliser ces moments comme des temps ouvrant la possibilité pour les révolutionnaires de semer leurs idées. Cela suppose qu'ils doivent consacrer beaucoup de temps au contact des gens,  qu'ils doivent davantage s'inscrire dans des pratiques permettant aux gens de se déconnecter le plus possible de l'appareil médiatico-idéologique, pour se rencontrer, échanger leurs idées et leur pratique sociale, pour se réapproprier leur existence et leur autonomie. Dans ce mouvement,  ils peuvent élire des personnes qui portent leurs aspirations et leurs exigences politiques,  tout en gardant à l'esprit que le combat si il se mène dans les assemblées élues, se déroule  avant tout dans les entreprises, dans les quartiers, dans la "vraie vie" en quelque sorte. Il ne faut jamais entretenir d'illusions sur un élu quelqu'il soit car chaque être humain peut sous toutes formes de pression devenir corruptible, la garantie pour que les mandataires du peuple suivent au mieux une ligne correspondant aux intérêts des gens c'est que les citoyens investissent tous les espaces d'élaboration des décisions et contrôlent leur formulation et leur application. C'est d'ailleurs dans cet esprit que j'ai décidé de m'engager sur la liste "colère et espoir en Picardie" aux élections régionales de 2010.

Qu’entendez vous par faire de la politique collectivement, démocratiquement ?

Ce qui est à l’ordre du jour c’est d’abord que chaque personne puisse se considérer comme capable d’apporter sa pierre à l’œuvre commune de l’édification d’une société  nouvelle. Contrairement aux paroles de l'Internationale, il ne s'agit pas de faire table rase du passé, il s'agit de faire émerger de ce passé et du présent toutes les possibilités de rendre beaucoup plus humaine la vie en société, de viser à l'épanouissement de chaque individu   par l'émancipation collective qui en retour est impossible sans l'engagement de chaque individu dans le processus.  Faire de la politique efficacement c’est donc casser le tabou que les rapports de domination sont inéluctables, que le capitalisme est éternel et c’est libérer l’imagination des gens sur ce qu’ils aimeraient pour leur vie à la fois individuelle et sociale afin que retrouvant confiance en eux, ils puissent agir de façon libre, responsable, sans attendre un illusoire secours de la classe dominante, construisant par eux-mêmes les solidarités nécessaires.

 Ce qui est à l'ordre du jour, c'est la construction de luttes non plus défensives mais  totalement offensives qui posent la question d'une autre société, des luttes  qui inventent et conquièrent  des relations nouvelles entre les hommes au travail, qui préconisent la socialisation de  la propriété et de la gestion non capitaliste des moyens de production, qui s'organisent  au sein d'assemblées de travailleurs et d' habitants selon leurs propres décisions prises par des votes après débat et dans lesquelles chacun compte pour un, quels que soient ses responsabilités, ses titres, ses fonctions.

Autrement dit il ne s'agit plus pour les travailleurs  ou  les habitants de se considérer comme ceux qui posent les questions en attendant que ce soient les dirigeants qui répondent. Non cette fois-ci ce sont eux-mêmes,   qui s’interrogent et répondent de façon autonome du système aux questions qu’ils se posent y compris et surtout dans les domaines qui sont les chasses-gardées des dirigeants capitalistes et de leurs idéologues  : l’économie et  la politique. Au point qu’ils peuvent vérifier qu’à force de déléguer la politique aux élus et aux dirigeants des partis, et on sait ce que ces derniers en ont fait, les exploités salariés et non-salariés dans leur grande masse pourraient en venir  à l’idée révolutionnaire d'investir la politique de façon critique à l’égard de tous ces politiciens qui les ont trahis ou tout simplement délaissés. . Pour cela ils ont besoin  de construire des réseaux, des espaces, des organisations souples, ouvertes, transparentes  et non sectaires s’adaptant au combat de classe qui ne puissent être récupérées et perverties ni par la classe capitaliste, ni par les organisations qui tout en se prétendant anti-capitalistes en viennent en définitive  soit à sauvegarder le système, soit par défaut d'efficacité en raison de leur faiblesse théorique et pratique à laisser le système perdurer.   C'est sans doute aujourd'hui et dans les prochains mois et années,  le moment historique  d'entreprendre cette oeuvre qui révolutionne la politique.  C’est en cela que la démocratie pourra commencer  véritablement à entrer dans l'Histoire.


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