Victoria Kipps ou la jeune fille en fleur qui a trop regardé la...

Le livre

Le livre, en poche

L'auteure

Victoria Kipps ou la jeune fille en fleur qui a trop regardé la télé.

J’ai adoré ce livre de Zadie Smith, De la Beauté, publié en 2007. Je trouve que cette auteure anglaise a un talent incroyable. Son livre est bourré de qualités : il est drôle, prenant, intelligent et il constitue une remarquable étude du langage, de ses codes et de leurs conséquences ; c’est une réflexion habile aussi sur l’identité, les relations inter-raciales. Ce n’est pas un ènième roman sur un universitaire vieillissant qui réfléchit à la vanité de son existence.

D’ailleurs, le personnage d’Howard Besley, pour être central, n’en est pas moins fortement concurrencé par son épouse Kiki, leurs enfants Jerome et Zora, et la famille Kipps, avec notamment leur fille éblouissante de beauté : Victoria Kipps. Lorsque celle-ci déboule dans la vie de l’universitaire, certes vieillissant, on assiste à un réveil instantané de sa libido. Il met un certain temps à se l’avouer, car il a tout de même des principes, et il essaie péniblement de sauver son mariage qui bat de l’aile. Mais contre toute attente, et c’est là un des tours de force de ce roman, voilà que c’est Victoria elle-même qui part à l’assaut de son professeur ; il s’ensuit une véritable scène de sexe, complètement hilarante.

Victoria fait plus que l’aguicher, elle le prend quasiment de force en se jetant sur lui. Stupéfait de ce qui lui arrive, un peu forcé par les circonstances d’être spectateur, Howard réfléchit et observe : “Sans aucun doute elle avait lu Lolita. Elle passa alors son bras autour de son cou et Lolita se transforma en tentatrice (peut-être s’était-elle aussi renseignée du côté de chez Mrs Robinson), suçant lascivement son oreille, puis la tentatrice se mua en une copine de lycée affectueuse, qui lui embrassait tendrement le coin de la bouche. Mais de quel genre de copine s’agissait-il ?” Il analyse rapidement les événements avec ses propres références, c’est ce qui est drôle, en partie. Mais ce qui est encore plus tordant, c’est la suite.

Elle prend les choses en main, et dirige le rapport sexuel avec une fermeté militaire, accompagnée de gémissements et de cris éloquents, à peine Howard la touche. Il en est décontenancé, il “n’était pas habitué à tant de félicitations aussi tôt dans la procédure”. Il est mal à l’aise dans la position, incertain de ce qu’il doit faire. Il a envie de l’embrasser, de la caresser, mais ce n’est pas ce qu’elle réclame. À un moment, il parvient tout juste à embrasser “la seule partie du corps de la jeune fille qui lui fût véritablement accessible, le creux de ses reins. D’une main forte, elle le remit à genoux.”

À la fin du rapport, décevant pour Howard, “délicieux” selon Victoria, ils se rhabillent ensemble. “Howard à la hâte, Victoria avec langueur, et Howard s’émerveilla du fait que ce dont il avait rêvé depuis tant de semaines -voir cette fille nue- venait dramatiquement de s’inverser. Il aurait fait absolument n’importe quoi pour la voir habillée.”

À propos de cette scène, Zadie Smith explique au Nouvel Observateur : “La féminité actuelle est très agressive. Victoria par exemple. Elle n’est que l’image  d’elle-même qu’elle cherche à donner. Dans la scène, qui a été très pénible à écrire, où elle couche avec Howard, elle ne fait que jouer à l’érotisme, comme dans un film pornographique. Je suis heureuse de ne pas avoir dix-huit ans aujourd’hui.”

Bref, Victoria n’avait pas fait que lire Nabokov ou visionner Le Lauréat… Elle avait surtout consommé trop de clips vidéos et de télévision… ce que Howard n’avait pas deviné, appartenant à une autre génération. Et ce qui est génial, c’est que c’est une femme qui l’écrive, et une femme de trente ans.