Lundi 25 janvier, le président français voulait sa libre antenne sur la première chaîne de télévision française. La rédaction de TF1 avait proposé aux communicants de l'Elysée une nouvelle forme d'intervention télévisuelle, un dispositif préparé à l'avance, sans surprise et tout en maîtrise, centrée sur des questions de proximité, à quelques semaines des élections régionales. L'animatrice du journal télévisée, Laurence Ferrari, avait expliqué la démarche à quelques lecteurs du Républicain Lorrain. L'émission qui suivit le journal télévisé avait un titre prémonitoire: «Paroles de Français».
Samedi matin, les conseillers du président avaient écrit, sur la page Facebook de leur patron, un appel à questions : «Je m’exprimerai à la télévision lundi, pour répondre aux questions des Français et parler des grands enjeux de l’année 2010. N’hésitez pas à me faire part de vos interrogations, et des sujets qu’il vous paraît important que j’aborde. Merci pour votre soutien en cette année où nous allons travailler dur pour servir l’intérêt de la France.»
Lundi soir, on attendait avec impatience que quelqu'un porte la contradiction à Nicolas Sarkozy.
Le 14 janvier dernier, le Figaro n’hésitait pas à titrer son annonce : « Sur TF1 le 25 janvier, Sarkozy débattra avec les Français. » « Les » Français ? Non, « Des » Français, « triés sur le volet » comme l’expliquait le même Figaro deux semaines plus tard. Et en fait de débat, nous eûmes une scénographie soignée. La directrice de la rédaction, Ctahrine Neyl, avait justifié à l’avance la spontanéité de l’émission : « on ne vas pas leur demander leurs questions à l’avance pour organiser un conducteur détaillé. » Le président était soucieux, non pas d’éventuelles questions imprévues, mais de l’audience de l’émission, face à la concurrence d’un épisode inédit de la série FBI Portés Disparus sur France 2 et d’une rédiffusion de Star Wars sur M6. Les questions des panélistes français choisis par la chaîne n’étaient une surprise pour personne. TF1 les a choisis en fonction de reportages tournés et déjà diffusés par la chaîne ces derniers mois.
Les deux principaux reproches faits à l’émission furent l'importance du créneau télévisuel, à une heure de forte écoute, livré au chef de l’Etat, et l’absence d’experts ou de journalistes pour porter la contradiction au Monarque élyséen. La recherche de « proximité » est aussi une manière d’éviter de prendre du recul. Ainsi, qui a pu débattre du déséquilibre des prélèvements fiscaux et sociaux (comme le faible poids des prélèvements sur les revenus financiers pour financer les retraites), ou l’effet désastreux de la défiscalisation des heures supplémentaires sur l’emploi depuis 2008 ? Ce dernier exemple est révélateur. A titre individuel, un salarié à temps complet pourrait se satisfaire de pouvoir « travailler plus pour gagner plus ». A titre collectif, la perte fiscale, qui grève un peu plus les déficits publics, et la destruction d’emplois intérimaires et à temps partiel sont de vrais sujets de préoccupation que le gouvernement Sarkozy souhaite occulter.
Mais le vrai sujet est ailleurs : cette intervention avait un objectif, immédiat et … électoral. Il ne s’agissait pas de défendre le bilan du président, ni de reprendre la main sur l’agenda politique du pays, ni même de recouvrer un semblant de proximité avec les Français. Nicolas Sarkozy tenait un meeting de campagne électorale, en vue du scrutin régional de mars prochain, par TF1 interposé et avec l’appui du journaliste-phare de la France des régions, Jean-Pierre Pernault. La manœuvre électorale est flagrante. Pernault incarne la proximité. La messe était dite avant d’être prononcée. Les questions portèrent sur des questions « de la vie quotidienne » : la santé, les délocalisations, le pouvoir d’achat, les retraites.
Lundi soir, le journal télévisé de TF1 démarre, et Nicolas Sarkozy est là.
Avec Laurence Ferrari
Costume bleu nuit, cravate assortie, Nicolas Sarkozy s'affiche calme, emprnt de sérieux. 123 Kurdes sans-papiers en Corse, la polémique Henri Proglio, un débat identitaire, des retraites, Laurence Ferrari veut assurer son image de journaliste pugnace. Sur l'identité nationale, la journaliste insiste quand même : "ce débat n'intéresse pas les Français". "Mais bien sûr que cela intéresse les Français" répond Sarkozy. Sur les retraites, Sarkozy botte en touche : "Bon, je ne vais pas ouvrir le débat et, avant de l'ouvrir, le conclure". Il promet que les décisions seront prises d'ici la fin de l'année. Promesse: "Je garantis la pérennité du système par répartition. Je n'accepterai pas qu'on revienne sur le régime de répartition." "Les décisions qu'il faudra prendre, ce sont des décisions qui concerneront tout le monde" promet-il. On n'en doute pas. Sarkozy promet aussi l'allongement de la durée de cotisayo, mais aussi la prise en compte de la pénibilité du travail.
Laurence Ferrari fait mentir les sceptiques en évoquant les 600 000 chômeurs en fins de droit qui seront sans aucune aide sociale à la fin de l'année. "La France n'a pas besoin d'assistanat" répond Sarkozy. "Les gens, ce qu'ils demandent, c'est de trouver un travail." A 5 millions de chômeurs, qui sera contre le constat ?
Ferrari: "Vous les aiderez ? "Sur l'Afghanistan, le président menace : "si les talibans l'emportent, les Français doivent le savoir, le Pakistan tombera. Or le Pakistan a l'arme atomique." Sarkozy promet qu'il n'enverra aucun contigent purement militaire en Afghanistan.
Sarkozy : "Encore une fois, la solution n'est pas dans la multiplication des aides de toutes sortes."
Sur les journalistes de France 3 otages des talibans, "On ne polémique pas sur des gens qui sont retenus en otage" dit il, se contredisant lui-même, qui a taclé l'inconséquence supposée des journalistes.
Ferrari : "Allez-vous vous impliquez dans cette campagne ?"La journaliste demande alors si Sarkozy envisagerait un changement de premier ministre, à l'issue du scrutin régional. Sarkozy lève les yeux au ciel. "ça ne se passe pas à la télévision, même à TF1." Pensez-vous... "une si grande entente, une si grande confiance". Sarkozy joue les effrontés. Il est quand même, rappelle-t-il, le "chef de l'Etat de la 5ème puissance au monde".
Sarkozy : "Ce n'est pas le role du président de la République."
Pour Clearstream, "que la justice fasse son travail."
Sur ces mots, Laurence Ferrari passe la main, sans coupure publicitaire, à son collègue Jean-Pierre Pernault. "Une émission inédite" annonce-t-il, "où les Français qui sont autour de moi ont envie de dire les choses en face". Pouvoir d'achat, chomage, plan sociaux, éducation, violence, grippe A et les économies dans les hopitaux, les banlieues, Jean-Pierre Pernault déroule le menu des sujets. On est surpris. L'animateur du "journal des Régions" aurait-il viré de bord ?
11 Français témoins sont donc serrés, par deux par table, dans un micro plateau, 6 femmes, 5 hommes. "C'est le moment ou jamais de se dire les choses en face, Paroles de Français, c'est maintenant."
Sarko arrive, et s'installe. Pernaut lance sa première question: "est ce que, quand on est président, on peut encore etre près des réalités des Français ?" Sarkozy sourit. Il invoque ses moyens de rester proche des réalités, la presse, ses "deux déplacements par semaine en province". Derrière lui, on voit défiler des images de la voie express George Pompidou.
On entame les témoignages, questions des "témoins", et ... longues réponses du président. La grogne fut tenace, Sarkozy répétitif, Pernault en retrait. Ce furent les trois seules vraies surprises de ce "débat"... électoral.
Nathalie P., 26 ans, Bac+5, au chomage, Ville-Juif, témoin dans un reportage d'octobre dernier.
Les études, ça sert à rien ? Nathalie, 26 ns, dénonce l'inédaquation entre le système universitaire et le marché de l'emploi. Sarkozy rate sa réponse, il n'avait pas entendu la spécialisation de la demoiselle. Il avance une explication : les jeunes et les seniors souffrent en premier, à chaque crise. Et la France, gérée depuis 8 ans par la droite, part de plus bas que ses voisins. Sarkozy promet des lendemains qui chantent: la reprise arrive. "on a fait un choix, celui du partage du travail et pas celui de la croissance." Nathalie l'interrompt. Mais Sarkozy reprend: "il faut retrouver de la croissance". Sarkozy réattaque les 35 heures. Pernault joue sa première carte : "Monsieur le Président... il y a le discours, ça ira mieux l'année prochaine"... Sarkozy le coupe. Manque de chance, l'étudiante vient d'une école de commerce. sarkozy déroule un argumentaire préparé pour défendre la cause des apprentis. La jeune femme est étudiante Bac+5 en marketing. "J'suis sûr qu'elle va s'en sortir." Dernier coup du Monarque : "Nous avons doublé les perspectives de croissance de l'année". Drôle, Sarkozy avance comme une performance sa propre réévaluation de ses propres prévisions de croissance. Drôle.
Samir A., 35 ans, enseignant à Gagny
Samir est contractuel de l'Education Nationale. Cela fait 6 ans que son contrat de saison est renouvelé chaque année en juillet. Il ne comprend pas pourquoi on ne le titularise pas. Samir est un cas d'école, sur-mesure, il n'a pas fait de concours d'enseignant. Groooooosssse annonce : Nicolas Sarkozy reconnaît qu'il est prêt à titulariser "progressivement" tous les titulaires. Eric Woerth a dû avaler sa cravate. Comment tenir les 15 000 suppressions de postes chaque année si on titularise les contractuels ? Ce sujet expédié, voici Sarkozy qui plonge dans son sujet favori : sus aux concours ! La réduction des effectifs ? "Oui, je l'assume" "Si j'exonère l'Education Nationale, où est-ce que je les trouve, les économies ?" supplie Sarkozy. Et hop ! Une attaque contre les collectivités territoriales, de gauche...
Jimmy B, chef d'entreprise, 43 ans, 3 enfants, Douai
"En 2009, vous avez fait énormément pour les banques." "En ce qui concerne les PME, je reste sur ma faim." Sarkozy joue la compassion. "On a sauvé les banques" répond-il. Puis, il ment. "L'argent que nous avons prêté aux banques nous a rapporté 2 milliards d'euros". C'est faux. Sarkozy oublie les agios qu'il a dû payé sur l'argent qu'il a prêté. "C'est reparti, là". Il rappelle le Grand Emprunt, qui consacrera une partie de ses sommes à renforcer les fonds propres des PME françaises. Jimmy l'entrepreneur a une autre question: la taxe carbone est "un impôt de plus pour les entreprises de transports" qui sont déjà concurrencées par des entreprises d'Europe de l'Est... Derrière Jean-Pierre Pernault, un écran affiche des statistiques affolantes, comme l'écart de salaires entre la France et la Bulgarie. "Nous allons nous battre pour qu'il y ait une taxe carbone aux frontières de l'Europe" explique Sarkozy. Belle promesse... depuis 2007.
Sophie P., productrice de lait, 39 ans, 2 enfants, Tarn.
"La plupart de mes collègues producteurs de lait n'ont pas pu se verser un salaire". Cette année, elle a emprunté son salaire. Sarkozy refait l'histoire: le système des quotas laitiers, installé en 1984, a explosé avec l'élargissement de l'Union Europe. Sarkozy annonce la solution : il faut revoir le partage de la valeur ajoutée. "Comprenez-moi !" semble crier le Monarque. Nicolas Sarkozy n'a pas d'autre idée que d'expliquer qu'il doit convaincre l'Europe de revoir ses critères de valorisation du prix du litre. Et il tacle la grande distribution. Rien d'autre ? Sarkozy est en campagne.
Pierre L. ouvrier dans l'automobile, et syndicaliste CGT, 51 ans.
"Les salariés partagent surtout les licenciements" Sarkozy interroge: "Vous êtes salarié de Renault, ou dans un sous-traitant ?" Pierre répond;: "il y a une part de responsabilité du gouvernement." Sarkozy répond, tactique : "je vais surprendre Pierre L., mais je suis d'accord sur certains points."
Sarkozy : "convenez le plan que nous avons mené a sauvé l'industrie automobile français". Pierre l'ouvrier conteste : "non, jsuis pas d'accord, si ça avait servi l'emploi, ça se saurait."
"La stratégie de Renault ces 10 dernières années, je ne l'accepte pas." Et le président d'affirmer qu'il est inacceptable que Renault utilise 2/3 de sous-traitants à l'étranger. Le voici qui tacle le précédent président de Renault, ... Sarkozy botte en touche quand on lui demande si la Clio IV sera fabriquée à "80% au moins" à Flins. L'échange se poursuit... pour quelques minutes.
10 minutes par sujet, parfait. Sarkozy est sauf. Le syndicaliste Pierre n'est pas convaincu.
"On peut pas me reprocher de ne pas suivre les dossiers". Le président a trouvé ses boucs-émissaires, Jospin et le précédent patron de Renault. Jean-Pierre Pernault, naïf, pose une question incongrue : où en est l'idée du partage en trois tiers ? Sarkozy évacue. La question des salaires mirobolants ? Pernault coupe Pierre l'ouvrier. Sarkozy a libre antenne: "ça ne me choque pas que Bill Gates gagne un gros salaire." Bill Gates serait-il patron d'une entreprise française ? "Quand Monsieur Bouton a fait un erreur à la tête de la Société Générale, j'ai demandé sa tête." Sarkozy dérape. Il n'a pas demandé la tête des patron des autres banques, après les cracks de l'automne 2008, non ?
Martine M., 42 ans, infirmière aux urgences, Val d'Oise
Martine témoigne: on est débordé. Sarkozy ne sait pas comment répondre. "On manque d'infirmières." Le voici qui explique qu'il a accordé le statut de catégorie A à toutes les nouvelles infirmières recrutées en échange d'un départ à la retraite prolongé à 60 ans (au lieu de 55 ans). L'infirmière - 20 ans de métier - est interloquée : "et la pénibilité ?" Sarkozy répond: "J'ai 55 ans dans deux jours". Martine ne comprend pas. Sarkozy conteste ensuite la baisse des moyens. Et l'hôpital doit rester un lieu de soins d'exception. Il continue. Pierre l'ouvrier automobile l'interrompt: "Et taxer les revenus financiers ? Vous y pensez ?" Le président recule, invoque la mondialisation et le niveau des prélèvements obligatoires...
21 heures 39, Sarkozy défend ses réformes. l'émission tombe à plat. Il est ensablé dans la justification du bouclier fiscal. Il déborde déjà de 9 minutes.
Rex K, 31 ans, 5 enfants, infographiste en banlieue
Rex est satisfait des UTEQ. Ignorant, il ne sait pas que les UTEQ ne seront déployées qu'à un tiers, faute de moyens. "Où en est le plan banlieue de Mme Amara ?" Rex Kazadi s'est fait connaître, en 2007, en participant à un rapport sur les violences en banlieues. Rex est content de la sécurité dans les banlieues. Sans contradicteur, encouragé par ce banlieusard si clément, Sarkozy déroule son argumentaire sur ses réussites en matière de lutte contre l'insécurité, l'intégration scolaire et même le débat identitaire. Long monologue. Personne ne contredit. Rien sur la progression des violences aux personnes, continue depuis 2002.
Bernadette T, 43 ans, employée dans la grande distribution, 2 enfants
Bernadette incarne la petite classe moyenne, "oubliée des réformes". "La vérité, c'est qu'il y a eu un déclassement des classes moyennes". Sarkozy avoue. Il tente de trouver une réponse: "la seule façon de trouver des solutions pour des gens comme vous, c'est les heures supplémentaires"; Bernadette s'agace : "J'vous coupe, mon employeur il est contre les heures supplémentaires". Ah, mince... Sarkozy pédale... et répète: "il faut travailler plus pour gagner plus"... "Je ne vois pas pourquoi il ne le fait pas." Et paf ! En deux phrases, Bernadette plante Nicolas. Nicolas tente alors du côté du mari: "Et votre mari ?" Et non, le mari n'aura pas d'heures supplémentaires. Mince... Le slogan sarkozyen a pris un coup.
Elodie L., auto-entrepreneur, 33 ans.
"Le bilan n'est pas si mauvais que cela." Elle critique le manque d'encadrement et de soutien. "Avec des démarches plus simples tout de même ?" excuse Jean-Pierre Pernault. "On va améliorer le système, Elodie" rajoute Nicolas. Le président français exulte. Maintenant, grâce au statut, on ne prélève les cotisations qu'au premier revenu. Faudrait-il préciser que 4/5ème des auto-entrepreneurs n'ont déclaré aucun chiffre d'affaires en 2009.
Marguerite G, 58 ans au chômage
Comment vouloir faire travailler plus et plus longtemps alors qu'il n'y a plus d'emploi ? s'interroge Marguerite. "Pour la première fois depuis 20 ans, le taux d'acitivi des plus de 55 ans a progressé." fanfarone Nicolas Sarkozy. Ah bon ? Il a atteint 39,2% contre 38% auparavant. Incroyable ! L'émission s'enlise. "Et les jeunes ?" demande sa voisine de gauche. Le syndicaliste s'interroge: "et le chômage ?" Sarkozy radote... à tort. Il n'a pas lu le dernier rapport sur la baisse généralisée du temps de travail chez nos voisins occidentaux...
Jean-George B, artisan-mensuisier retraité, 65 ans
410 euros de retraite mensuelle, plus 1000 euros tous les trimestres. Placé à la retraite à 63 ans, travaille toujours, l'artisan a perdu son patrimoine lors d'une faillite. Sarkozy, royal, annonce la prochaine loi, juste avant les élections : les artisans et commerçants ne pourront plus être saisis en cas de faillite sur autre chose que leur patrimoine professionnel. " Il y a une autre question: la valeur" Sur quelle valeur seront-ils protégés ?
Pour conclure, Sarkozy rappelle qu'il veut résoudre le problème des retraites d'ici l'été ou "au plus tard" la fin de l'année, et, autre sujet, ... et la question de la dépendance. Un appel à l'électorat vieillissant de l'UMP ? Le Monarque bégaye une conclusion incompréhensible, où il répond qu'il ne pense pas à "cette question du second mandat"... Sans blague ?
Bravo, Monsieur le Président. Rien sur les affaires d'éthique, la hausse de l'insécurité, les sondages occultes, la dette ou les déficits budgétaires, la dégradation de l'emploi - factuelle - depuis la mise en oeuvre de la défiscalisation des heures supplémentaires.
Merci TF1.
Il est 22H25, Sarkozy rend l'antenne avec 50 minutes de retard.
Les élections régionales sont le 14 mars prochain.