Magazine Journal intime

Mon vrai moi et moi - 3

Par Diekatze

J’ai souvent été qualifiée de « râleuse » par mes compatriotes, et forcément, à l’usure, j’ai fini par considérer ce trait comme un des miens. Si l’on me demandait de citer un « défaut » (quel mot étrange, on croirait parler d’une erreur de fabrication, comme pour un vulgaire objet de consommation), je répondais presque à coup sûr « râleuse ». Pire, il m’est arrivé parfois d’en être bêtement fière, tant cette caractéristique semblait me définir pleinement. Mes proches, probablement excédés parfois par ce trait rageur, n’en ont souvent pourtant parlé qu’avec une certaine tendresse paradoxale, sous-entendant : « On ne sait pas, après tout, si l’on t’aimerait autant sans ça ». Le cercle vicieux était établi : plus je râlais, plus l’on me donnait de cet air compréhensif, et me croyant "appréciée" dans ce trait, plus je râlais.

Ici, en Nouvelle-Zélande, je suis une page blanche, personne ne sait rien de moi. Personne ne s’attend à quoi que ce soit de ma part, ni que je râle, ni que j’ai un avis sur quoi que ce soit. Conséquence, je n’ai pas besoin de « ronchonner » pour être identifiée, reconnue, intégrée. Au contraire, même, peut-être. De toute façon, même si je le voulais vraiment (pourquoi faire ?), je ne peux pas râler « aussi bien » qu’en France, à cause de la langue, et à cause de mon ignorance en toutes choses.

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Dans le pays où je vis aujourd’hui, je ne connais rien de rien. J’ai découvert à mes dépens le mode de facturation d’Internet, je ne sais pas comment donner mon préavis lorsque je voudrais quitter ma maison ni quelle est la durée de ce préavis, je ne connais pas la réglementation en matière d’alimentation et de santé, ni ne sais quel parti dirige le pays. Je n’ai pas la plus petite information sur le fonctionnement des taxes et des impôts, ni la moindre idée des prix pratiqués par les garages automobiles, je ne comprends pas les blagues qui impliquent des jeux de mots et des références culturelles (basiques ou non...). Et toute cette inconnaissance fait de moi une personne sans opinion. Je ne pense rien sur rien puisque je ne connais rien.

Ces conditions m’ont permis d’être plus attentive à ce comportement que j’avais de pester toujours, à prendre conscience des moments ou j’ai envie de le faire. Lors des premières semaines de mon séjour, des occasions se sont présentées, forcément, où j’ai eu envie d’exprimer un mécontentement, prisonnière encore d’un conditionnement quasi-pavlovien : contrariété = remarque désagréable. Cependant, le changement de décor, la limitation de la langue, mon inculture, l’amabilité des Néo-Zélandais, tout ça réuni me démontrait chaque fois d’une part l’absurdité de cette attitude, d’autre part que je n’avais pas du tout envie, finalement, d’être cette personne qui grogne plus vite que son ombre. Me prenait une fringale, peut-être pour la première fois, de découvrir d’autres façons d’exprimer ma contrariété.

À suivre…


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