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« Une partie de la population va ressortir très marquée de cette crise»

Publié le 27 janvier 2010 par Délis

Le début 2010 est marqué par les prémices de sortie de crise et des plans d’accompagnement qui entreront en vigueur cette année. Délits d’Opinion a rencontré Eric Heyer afin de connaître son point de vue.

Délits d’opinion : Si la croissance est de retour, l’ajustement de l’emploi tarde à suivre et le chômage augmente encore. Parallèlement, plus de sept Européens sur dix ont le sentiment que la précarité est en hausse dans leurs pays (74%) et en Union Européenne (70%). Selon vous, et d’après vos dernières analyses, dans combien de temps les conséquences sociales de la sortie de crise se feront sentir ?

Eric Heyer : Le diagnostic en termes d’emploi est qu’il y a un décalage entre le cycle de l’activité et celui de l’emploi d’environ trois trimestres en France. A l’heure actuelle, même si nous avons connu une augmentation du chômage, l’ajustement du niveau de d’emploi ne s’est réalisé qu’à 60%. Il y aura encore des destructions d’emplois à attendre. Si au niveau de l’activité, nous sommes effectivement sortis de la crise, il reste encore 1,2 point de destruction d’emplois à attendre.

Deux scenarii peuvent se réaliser : la version optimiste, avec 2,5 points de croissance en 2010 nous assisterons à une très forte reprise de l’activité, mais celle-ci se fera sans emploi, c’est-à-dire sans destruction non plus, mais sans création d’emplois. Le plus probable c’est qu’on ait moins de 2,5 points de croissance et qu’il y ait donc encore des destructions d’emploi et donc une hausse du chômage, d’autant que la population active continue d’augmenter. Nous devrions donc assister à une augmentation graduelle du chômage en 2010.

2011 devrait marquer la fin de l’ajustement, nous pourrions revenir sur un diagnostic plus proche de l’avant crise avec une croissance nécessaire de la production autour de 1,5 point pour créer de l’emploi.

Aurons-nous un tel niveau de croissance ? Cela dépendra des choix de politique économique qui seront pris. Dès 2010 le Gouvernement sera confronté à deux gros chantiers auxquels il devra faire face : l’emploi et les finances publiques. L’évolution de la situation va dépendre en grande partie des priorités retenues par le Gouvernement : s’il considère que la priorité va à la réduction du déficit et au retour à un budget plus équilibré d’ici 2012-2013, comme il s’y est engagé auprès de la Commission européenne, cela impliquera une baisse du déficit de 5 points du PIB en 3 ans. Or, ceci n’est possible qu’avec une croissance très forte ou une politique de rigueur. Dans le second cas, on passerait d’une politique d’impulsion positive à une politique d’impulsion négative. Cela va donc renier la croissance, ce qui peut même tuer dans l’œuf le début de reprise auquel on assiste et qui pourrait permettre de sortir de la crise. Au final, si le Gouvernement respecte ses engagements auprès de la Commission européenne, la baisse du chômage serait reportée au moins en 2013. Pour le moment, il semble que la priorité soit donnée à la baisse du chômage, même si le Gouvernement tient en parallèle deux discours : le premier dans ce sens, sur la scène intérieure et un second auprès des institutions européennes.

Délits d’opinion : Au-delà de la situation de crise objective, pensez-vous qu’une partie de la population ressortira marquée par cette période et que leurs comportements économiques seront modifiés ?

Eric Heyer : Une partie de la population va ressortir très marquée de cette crise : elle aura perdu en pouvoir d’achat et en qualification.

On observe deux catégories de victimes. Une première catégorie, les chômeurs déjà au chômage et qui auront passé deux ans supplémentaires dans cette situation. Ils passent donc dans la catégorie des personnes au chômage de longue durée. L’autre catégorie, ce sont ceux qui sortaient de la scolarité au moment de la crise et qui un an, un an et demi plus tard vont être en concurrence avec des personnes plus qualifiées et expérimentées. Pour ces jeunes là, cette crise laissera des traces tout au long de leur carrière. Ils vont devoir travailler deux ans de plus pour être au même niveau de salaire et de retraite. Les conséquences de cette crise vont durer : leur salaire va notamment augmenter plus lentement.

Concernant les changements de comportement, je pense qu’on oublie vite ce type de période. Les Français sont déjà de grands épargnants (le taux d’épargne en France est de 17%) et il parait peu probable que les taux augmentent encore beaucoup plus. Toutefois, à court terme, ils devraient augmenter puisque les deux principaux déterminants sont le taux de chômage et les effets de richesse. Tant que le chômage continuera d’augmenter et que le niveau de patrimoine des ménages ne reviendra pas au niveau auquel il était avant la crise,l’épargne ne devrait pas diminuer. Or, le parc de l’immobilier risque de continuer à s’ajuster à la baisse, ou au mieux devrait se maintenir. Je ne crois pas à un changement de comportement avant et après la crise : le taux d’épargne baissera avec le niveau de chômage. Il n’y aura probablement pas de changement d’élasticité en France.

Délits d’opinion : La taxe carbone, qui a suscité des réactions très contrastées au sein de l’opinion comme au sein de la classe politique, a été censurée par le Conseil constitutionnel. Nicolas Sarkozy a annoncé que son entrée en vigueur interviendrait le 1er juillet. Sur le plan économique, quel avenir et quelle efficacité voyez-vous à ce dispositif ?

Eric Heyer : On veut lutter contre le réchauffement climatique sans toucher à la compétitivité des entreprises françaises. De ce fait, la taxe carbone est molle et n’aura pas d’incidences réelles. Pour avoir un vrai impact, il faudrait que tout le monde la paye, à commencer par les gros pollueurs, ce qui nuirait à leur compétitivité.

En outre, mettre en place une taxe carbone uniquement en France, ne ferait rien gagner d’un point de vue climatique, et cela peut jouer contre la compétitivité. Le plus efficace serait que tous les pays mettent en place cette mesure ou l’installent aux frontières.

Enfin, pour jouer contre le réchauffement climatique, soit vous jouez sur les quantités, soit vous jouez sur les prix (les taxes), ce qui aura des effets sur les quantités. Le plus efficace serait, me semble-t-il, de jouer directement sur les quantités par le biais de quotas et non sur les prix.

Délits d’opinion : Une majorité des Français s’est déclarée opposée au Grand Emprunt et plus de 80% d’entre eux ne comptent pas y souscrire. Comprenez-vous cette défiance et quel est votre sentiment sur les effets bénéfiques escomptés de cet investissement ?

Eric Heyer : Le dispositif porte le nom de Grand Emprunt mais c’est un peu ce que fait déjà l’Etat sur les marchés financiers. Or les Français adorent les bons du trésor, c’est le bon placement du bon père de famille avec un risque nul et un taux d’intérêt assuré.

Les bons du trésor émis s’arrachent déjà. Il y a dans cette appellation de « Grand Emprunt»  un effet psychologique qui donne l’impression de cautionner la politique économique, et donc ça devient autre chose. Il y a un effet de caution avec les orientations décidées par le Gouvernement avec un effet de souscription.

Du coup cela colle moins puisqu’on est dans l’idéologie. C’était assez intelligent de réaliser un grand emprunt, même s’il n’est pas grand, (il est même tout petit) et que les ménages français n’y auront pas accès directement. Il est intelligent de donner un autre nom à un dispositif, différent du plan de relance, avec des objectifs également différents.

Le plan de relance s’inscrit dans une vision à court terme, c’est du one shot. Le Grand Emprunt est une vision à plus long terme.

Je n’ai aucune crainte quant à la capacité du Gouvernement à lever les 26 milliards avec en plus un taux d’intérêt bas. En revanche concernant l’efficacité, 26 milliards, ça fait 1,4 point de PIB. Au mieux ce sera donc 1,4 point de croissance supplémentaire, globalement d’ici 5-6 ans.

A titre de comparaison, le plan de relance américain c’est 5 à 6 points de PIB. Le plan français parait donc trop faible pour lancer une dynamique de long terme : les montants sont un peu dérisoires, surtout quand on affirme vouloir préparer l’avenir.

Si on croit aux effets multiplicateurs très importants, il aurait fallu mettre plus, puisque les recettes attendues seront supérieurs aux dépenses. Si ces effets sont moins importants, on ne peut pas attendre grand chose.

Propos recueillis par Olivier


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