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Restavek et poubelles habitées

Publié le 28 janvier 2010 par Aragon

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L'AFP, par la plume de Charles Onians, relate la situation de ces "enfants-esclaves" à Haïti. Un ou une restavek, c'est un môme dont les parents ne peuvent subvenir aux plus élémentaires des besoins nécessaires à son existence. Tout petit, il est alors placé dans une famille d'accueil haïtienne qui lui fera miroiter l'accès à une scolarité future s'il est bien gentil et serviable. En réalité il a mis le pied chez "les Thénardier". Esclave il va devenir, esclave il sera. Il fera tout dans la maison, accomplira toutes les plus basses besognes, sept jours sur sept et 24h / 24h, les beignes en prime.

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La vie à Haïti avec ou sans tremblement de terre c'est ça. Les restavek à Haïti, comme les intouchables en Inde sont, vous vous en doutez bien, les parias de la société, "placés" tout en bas de l'échelle sociale. Connerie que de parler même "d'échelle sociale" à Haïti comme dans certains pays, comme dans certains "territoires français" (mais je vais y venir ensuite). Oui, pour ces petits haïtiens, même pas d'échelle, pas d'espoir de "monter" de "grimper", un seul barreau. Ils seront, au mieux, sur le plancher, au pire, au sous-sol, et cela à vie. Oui, souvent pour ces enfants sacrifiés la vie se résumera à un séjour à "la cave" ad vitam aeternam. La "sainte litanie" dans des pays, paradoxalement si religieux, se déclinera pour eux en "BVF" : battus, violés, fouettés... La photo ci-dessus montre la petite Magalee, restavek, qui a eu le courage de fuir ses "patrons" et de se réfugier dans un centre d'appui au développement (CAD) qui accueille, protège et réinsère ces petits esclaves modernes.

Le Président de la République française a fait une mico-brève incursion à Mayotte le 18 janvier dernier. Il y a passé une poignée d'heures. Le temps d'un discours avec l'accent mis en particulier sur l'immigration clandestine. Fléau s'il en est, j'en ai déjà parlé dans un post, car la moitié de la population là-bas est clandestine, soit 100.000 personnes ! Donc, après un décollage à Haïti, je voulais vous faire atterrir en France, à Mayotte, qui sera demain le 101ème département de notre république française. A Mayotte il y a, à l'heure actuelle, loin des caméras, loin des échos médiatiques prompts à agir sur des lieux de "catastrophes naturelles", des enfants esclaves, des restavek français. Des centaines d'enfants perdus errent dans les rues de Mamoudzou, dans ses favelas. Des centaines d'enfants qui n'ont pas d'avenir, n'ayant même pas d'aujourd'hui.

A Mayotte, une de mes dernières images avant que je ne parte, ça se passait l'année dernière, était celle d'un poing. Un poing allez-vous me dire ? Un poing dans la gueule ? Non, rassurez-vous, ni dans la mienne, ni dans celle d'un autre. Un beau poing dressé sur une barricade de l'espérance ? Non, hélas non. Quel poing alors ? Ne nous fait pas mijoter Max... C'était un matin, j'allais déposer ma poubelle au container du coin. Oui, Mayotte le pays aux cent mille décharges publiques urbaines, aux cent mille cloaques "organisés" a paradoxalement distribué quelques containers de poubelles qui sont ramassés par des boueux. Les meilleurs de France, j'insiste (foi d'ancien boueux qui peut vous parler en connaissance de cause) ! Je mets au défi un boueux français d'aller bosser à Mayotte par 40° à l'ombre et pestilences proportionnées. Donc, je jetais ma poubelle dans le container quand j'ai entendu "un bruit" en écho à mon geste, alors que c'est le bruit mat et sourd du sac tombant qui aurait dû parvenir à mes oreilles. Ce bruit, ce fut un petit "Aïe !".  J'ai très vite pigé en m'approchant de "la puanteur à roulette". A l'intérieur, il y avait un môme enfoui jusqu'aux cuisses dans la merde infâme. Il me regardait avec de grands yeux, ouverts comme des soucoupes. L'avait quatre, cinq ans le morback et c'est lui qui avait dit "Aïe !" en recevant mon sac sur sa tronche, et c'est lui qui dressait un poing vers moi. Un petit poing enfermé dans un pot vide de confiture "Bonne Maman". L'image était saisissante, ce petit môme, à moitié à poil, enfoui dans "sa" poubelle, poing levé, non pas pour me menacer mais pour tenter de sortir de la poubelle, poing levé "ganté" d'un pot de confiture vide. Je lui ai demandé ce qu'il foutait là dedans et il m'a bafouillé qu'il avait la faim et qu'il raclait ce pot de confiture vide, il m'a dit aussi qu'il y avait plein de "bonnes choses" à tortorer dans les poubelles "blanches". Les "mzoungous" (nous, les blancs) jetant souvent plein de trésors, plein de pain sec, etc. La glotte serrée par l'émotion, j'ai balbutié quelque chose de con, comme "Fais gaffe de pas te faire mal" et je suis reparti...

Notre Président aurait dû faire le tour des poubelles de Mamoudzou au lieu de rester, au sec, au propre, avec "Monsieur le Préfet et les autorités". Aucun Président ne sait les poubelles et les misères, les banlieues et les exclusions naturelles sociales. La politique officielle, vous savez comment je la définis ? Comme étant la face visible de l'iceberg. Toujours la face visible d'un iceberg. Toujours... Sous l'eau, la face invisible de la "bête", de cette grosse montagne de glace sociétale. Alors, "poussez, vivez, prospérez, pleurez, mourez" restavek et autres poubelles habitées. C'est pas demain la veille que tout cela finira, cette farce, ce cauchemar revêtu de guenilles, de masques démocratiques.



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LES COMMENTAIRES (2)

Par  Tichapo
posté le 29 janvier à 08:51
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Je ne peux que louer la capacité d'indignation que manifeste cet article, mais il me semble que si, dans le cas de Mayotte, il s'agit de retourner la carte postale pour voir ce qui se cache derrière, en revanche concernant Haïti il ne s'agit ici que d'enfoncer des portes ouvertes. Oui, les restaveks sont nombreux, et s'ils sont diversement traités, que certains vont tout de même à l'école, leur sort est dans la majorité peu enviable, et trop souvent assimilable à de l'esclavage. Oui, un bon petit reportage là-dessus m'arrachera une petite larme. Alors quoi! Est-ce parce que les Haïtiens subissent actuellement une des plus terribles épreuves qu'on puisse imaginer qu'il faudrait taire les injustices inscrites au plus profond de leur société? A cette question je répondrai deux choses: L'une, que ça pouvait attendre encore un peu, à moins de vouloir davantage enfoncer le pays (et dans ce cas ajoutons-y la terrible insécurité qu'on croit attachée à ce pays, les galettes d'argile, disons de terre, c'est mieux, qui deviendraient le pain quotidien d'un grand nombre d'Haïtiens, focalisons-nous sur Cité Soleil, comme si rien d'autre d'intéressant n'existait en Haïti, n'oublions pas la corruption, l'analphabétisme, que sais-je encore?). L'autre, que lorsqu'il sera à nouveau temps d'évoquer ce genre de choses, il ne faudra pas se contenter de dire : "Regardez, c'est terrible, ce sont de petits esclaves!", mais analyser le phénomène, comprendre dans leur globalité les rapports de pouvoir en HaÎti et la marque profonde que l'histoire (et donc un autre esclavage) y a laissée, chercher à savoir si la situation de ces enfants est aussi uniforme qu'on veut le dire pour les besoins de la cause (mais laquelle?), et surtout envisager les moyens d'action, les stratégies pour lutter contre cette pratique qui est non seulement une profonde injustice faite à des enfants, mais aussi un handicap pour l'épanouissement de toute une société. Condamner, oui, mais à condition de ne pas se contenter de cela, et de savoir de quoi on parle. Non, les restaveks ne sont pas les Intouchables, évitons les raccourcis. La société haïtienne est traversée par des préjugés de classe, voire de couleur, et elle est loin d'être originale en cela, mais elle ne comporte pas de castes. Il est évident que, comme en France, il est bien difficile de sortir de sa classe sociale, mais on ne considère pas, du moins en dehors des classes les plus aisées (et la plupart des familles qui ont un restavek n'en font pas partie) qu'à une personne correspond une place définitive, mais on croit toujours au contraire que les choses peuvent changer, sinon au niveau de la société, du moins pour les individus : "yon jou pou chasè, yon jou pou jibye" (Un temps pour le chasseur, un temps pour le gibier). Le fatalisme haïtien est plus contradictoire qu'il n'y paraît, et peut-être même bien mal nommé ainsi. Je peux me tromper. Si après quelques mois passés dans un pays on fait volontiers de grands discours pétris de certitude, au bout de quelques années on mesure l'étendue de ce qu'on ne peut être sûr de comprendre. Le ton que j'ai adopté est indigné également, même si en réalité je ne le souhaitais pas hostile. Je ne veux pas faire des restaveks un sujet tabou, mais je maintiens qu'en évoquer l'existence en quelques lignes sans pousser la curiosité plus loin ne contribue pas à les aider, bien au contraire.

Tichapo.

Par  Tichapo
posté le 29 janvier à 08:46
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Je ne peux que louer la capacité d'indignation que manifeste cet article, mais il me semble que si, dans le cas de Mayotte, il s'agit de retourner la carte postale pour voir ce qui se cache derrière, en revanche concernant Haïti il ne s'agit ici que d'enfoncer des portes ouvertes. Oui, les restaveks sont nombreux, et s'ils sont diversement traités, que certains vont tout de même à l'école, leur sort est dans la majorité peu enviable, et trop souvent assimilable à de l'esclavage. Oui, un bon petit reportage là-dessus m'arrachera une petite larme. Alors quoi! Est-ce parce que les Haïtiens subissent actuellement une des plus terribles épreuves qu'on puisse imaginer qu'il faudrait taire les injustices inscrites au plus profond de leur société? A cette question je répondrai deux choses: L'une, que ça pouvait attendre encore un peu, à moins de vouloir davantage enfoncer le pays (et dans ce cas ajoutons-y la terrible insécurité qu'on croit attachée à ce pays, les galettes d'argile, disons de terre, c'est mieux, qui deviendraient le pain quotidien d'un grand nombre d'Haïtiens, focalisons-nous sur Cité Soleil, comme si rien d'autre d'intéressant n'existait en Haïti, n'oublions pas la corruption, l'analphabétisme, que sais-je encore?). L'autre, que lorsqu'il sera à nouveau temps d'évoquer ce genre de choses, il ne faudra pas se contenter de dire : "Regardez, c'est terrible, ce sont de petits esclaves!", mais analyser le phénomène, comprendre dans leur globalité les rapports de pouvoir en HaÎti et la marque profonde que l'histoire (et donc un autre esclavage) y a laissée, chercher à savoir si la situation de ces enfants est aussi uniforme qu'on veut le dire pour les besoins de la cause (mais laquelle?), et surtout envisager les moyens d'action, les stratégies pour lutter contre cette pratique qui est non seulement une profonde injustice faite à des enfants, mais aussi un handicap pour l'épanouissement de toute une société. Condamner, oui, mais à condition de ne pas se contenter de cela, et de savoir de quoi on parle. Non, les restaveks ne sont pas les Intouchables, évitons les raccourcis. La société haïtienne est traversée par des préjugés de classe, voire de couleur, et elle est loin d'être originale en cela, mais elle ne comporte pas de castes. Il est évident que, comme en France, il est bien difficile de sortir de sa classe sociale, mais on ne considère pas, du moins en dehors des classes les plus aisées (et la plupart des familles qui ont un restavek n'en font pas partie) qu'à une personne correspond une place définitive, mais on croit toujours au contraire que les choses peuvent changer, sinon au niveau de la société, du moins pour les individus : "yon jou pou chasè, yon jou pou jibye" (Un temps pour le chasseur, un temps pour le gibier). Le fatalisme haïtien est plus contradictoire qu'il n'y paraît, et peut-être même bien mal nommé ainsi. Je peux me tromper. Si après quelques mois passés dans un pays on fait volontiers de grands discours pétris de certitude, au bout de quelques années on mesure l'étendue de ce qu'on ne peut être sûr de comprendre. Le ton que j'ai adopté est indigné également, même si en réalité je ne le souhaitais pas hostile. Je ne veux pas faire des restaveks un sujet tabou, mais je maintiens qu'en évoquer l'existence en quelques lignes sans pousser la curiosité plus loin ne contribue pas à les aider, bien au contraire.

Tichapo.

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