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Double casquette pour journalistes en territoire dévasté

Publié le 29 janvier 2010 par 509
Double casquette pour journalistes en territoire dévastéDouble casquette pour journalistes en territoire dévasté
Arrivés à Port-au-Prince, la capitale haïtienne, dévastée par le violent séisme de magnitude 7,3 sur l'échelle de Richer, les journalistes étrangers sont contraints de jouer un double rôle : rapporter et secourir. Entre les cris désespérés sortis des décombres, des femmes qui pleurent la disparition d'un être, un vieillard qui gisait dans le sang, des enfants squelettiques abandonnés près d'un pan de mur où se dégagent des odeurs de cadavres... impossible de s'accrocher au seul microphone, calepin ou camera.
« Avant Haïti, je n'avais jamais pleuré pendant une interview », confie Jean-Cosme Delaloye, après une semaine de reportage et de secours en Haïti, pays ravagé par l'un des pires catastrophes de l'humanité. Au-delà des chiffres - quelque 200 000 morts, 250 000 blessés et plus d'un million de sans abri, selon un bilan encore provisoire -, l'envoyé spécial de Tribune Genève se souviendra longtemps de Peditan Benoît, une vieille femme avec sa jambe cassée en quête de soins médicaux depuis plusieurs jours à Léogâne. Ces scènes déchirantes se répètent dans des centaines d'hôpitaux, certains de fortunes, tenus à bout de bras par des médecins et infirmières avant l'arrivée des secouristes et spécialistes étrangers. C'est le cas à l'hôpital Sainte-Catherine de Cité Soleil, où Dr Eddy Jonas, un jeune gynécologue de Zanmi Lasante, se réfère aux notions de base en chirurgie apprises à la faculté de Médecine de l'Université d'Etat d'Haïti pour tenter de sauver un jeune homme retrouvé avec le visage presqu'inexistant. La salive coulait sans interruption de sa bouche. Sur la civière, il tente de griffonner quelques mots avec ses droits. « Demande au Dr de m'injecter une anesthésie », m'écrit-il, quand je filais à la hâte un crayon et un morceau de papier au milieu de ses droits. Le patient ne pouvait pas pleurer, car ses yeux n'existent plus. Dans la plaie béante, le Dr Jonas vient d'extraire des vers qui dévoraient le crâne du patient. Certains filaient tout droit dans le cerveau du rescapé quasiment à l'agonie.
A l'entrée de la salle d'urgence, les murmures d'une jeune femme nue comme un ver ne laissent ni médecins, ni secouristes, ni journalistes indifférents. « Ses membres supérieurs sont gangrenés », me souffle Nazaire, l'auxiliaire pour laquelle je soutenais le soluté injecté difficilement dans les veines de la patiente déshydratée et squelettique. « En Haïti, il n'était pas possible de regarder sans rien faire. Des journalistes ont participé à des sauvetages de victimes, étreint des rescapés, aidé des infirmiers », soupire Delaloye. Sous les décombres d'un important appartement détruit aux alentours de l'Institution Saint Louis de Gonzague à Delmas 33, les gémissements de Johnson m'interpellaient. Epuisé après deux heures de marche, je soulevais dans l'obscurité la plus totale des pierres pour tenter en vain de lui libérer des pièges des décombres. « N'ayez pas peur, sauvez- moi », répète-t-il comme une litanie, dans un élan de course contre la mort. Difficile pour les journalistes internationaux ou locaux de ne pas avoir les entrailles tressaillies. C'est cet instinct de secouristes qui a poussé des confrères à arracher vivant un bébé de seize mois des gravats trois jours après le sinistre.
Reporter de ses malheurs
Lorsque les immeubles commençaient à s'effondrer, les friands de scoops déposaient magnétophones, cameras, ordinateurs et calepins pour s'abriter. Entre deux répliques, chacun tente de rejoindre un être cher au téléphone. Impossible. Une seule compagnie téléphonique tient la tête au tremblement de terre. Jamais appel téléphonique n'a été aussi précieux. Les frissons, énervements, agacements s'entrecroisent avec l'arrivée des mauvaises nouvelles. C'est dans ce climat pour le moins kafkaïen que l'animateur d'une station de radio locale a fait comme la plupart des Haïtiens: il s'est précipité chez lui en courant. « Il a creusé dans les décombres pendant plus d'une demie heure avant de trouver sa femme, respirant à peine mais toujours vivante. Elle est cependant morte dans ses bras, en route vers l'hôpital, rapporte un site canadien. Il a alors demandé à ceux qui s'étaient rassemblés autour d'eux de prendre soin d'elle, car il devait retourner en ondes. » L'histoire peut ressembler à une légende urbaine, mais c'est ainsi qu'elle a été relatée d'un journaliste haïtien à un autre, reconnait l'agence en ligne. Un rappel que malgré la dévastation, il y avait du travail important à accomplir. « C'est la femme qui me donne du courage pour la présentation de cette émission », lâche Marcus Garcia. Le séisme qu'il décrit comme un « monstre » a emporté sa dulcinée. D'une voix pour l'une des rares fois sombre, le directeur général de Mélodie FM cite les noms de quelques connaissances succombées sous les décombres.
A chaque fois qu'ils communiquent à l'antenne les bilans officiels ou lancer des annonces de recherches, les journalistes comptent, la mort dans l'âme, ses collaborateurs arrachés par le « monstre du 12 janvier ». Jusque là, on compte une douzaine de journalistes et travailleurs de la presse parmi les 200 000 cadavres. Les médias haïtiens paient un lourd tribut à la catastrophe. Depuis deux semaines, chaque Haïtien, chaque journaliste a une histoire à raconter. Les unes plus accablantes que les autres. Et en fin de compte, elles finissent par se rencontrer au bout d'un soupir.
Claude Gilles
[email protected]

Un reportage de CNN sur la question.

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