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Le Monde : « Georges Frêche, un mot trop loin»

Publié le 29 janvier 2010 par Ncadene

Article du Monde (édition du 30 janvier 2010)

Elle est l’une de ses cibles préférées. Georges Frêche prétend qu’Hélène Mandroux « n’a pas eu une seule idée depuis six ans»  qu’elle lui a succédé à la mairie de Montpellier. Le président de la région sait désormais que Mme Mandroux a un projet en tête ; le battre lors des élections de mars. A la demande de Martine Aubry, elle a annoncé jeudi 28 janvier son intention de mener une liste contre lui.

Jusqu’alors, M. Frêche était sorti indemne de ses « dérapages verbaux» . Le dernier, dont fut victime Laurent Fabius, risque de lui coûter cher. « Voter pour ce mec en Haute-Normandie (la région de l’ancien premier ministre) me poserait un problème : il a une tronche pas catholique.»  Ces propos ont été tenus fin décembre 2009, en pleine réunion de la communauté d’agglomération de Montpellier.

Ils seraient passés inaperçus si, un mois plus tard, L’Express ne les avait repris. A ceux qui s’en étonnent, les habitués du « folklore frêchiste»  apportent une réponse résignée. « Non seulement ce genre de déclaration est chez lui très banal mais, depuis qu’il a été investi pour mener la liste des régionales, Georges Frêche est persuadé qu’il peut tout se permettre» , estime Nicolas Cadène, jeune dirigeant de la fédération socialiste du Gard.

Avant de lancer sa campagne électorale pour les régionales, Georges Frêche avait pourtant promis d’être sage. De lui, il ne fallait pas attendre « d’écarts de langage» . Plus question « de se faire piéger» . Personne n’y a cru. « Chacun a pensé que le naturel allait revenir au galop, que c’était couru d’avance. Vous voyez, on ne s’est pas trompé» , soupire un de ses anciens collaborateurs.

Récemment, « Georges»  s’est livré à un feu d’artifice de provocations grossières et de gaffes plus ou moins volontaires. Lors d’une séance du conseil municipal de Montpellier, on l’a vu menacer de « couper les couilles»  d’un adjoint au maire et promettre à un autre de le « saigner comme un poulet» .

Plus tard, il a vivement encouragé le pack montpelliérain à « faire la peau de l’USAP» , le club de Perpignan, champion de France de rugby, froissant la fierté catalane des électeurs des Pyrénées-Orientales, à l’autre bout de la région.

Les derniers mois furent plutôt fastes pour Georges Frêche, 71 ans, président sortant « divers gauche»  de Languedoc-Roussillon. En dépit de la tentative de prendre la relève engagée par le socialiste audois Eric Andrieu – encouragé d’assez loin par la Rue de Solferino -, il a donné un aperçu de son savoir-faire et de son autorité sur la région.

Pour conduire la liste du PS aux élections de mars, il a soutenu un candidat prête-nom – l’ancien rugbyman Didier Cordoniou, maire de Gruissan (Aude) -, élu par 66 % des adhérents. Sondages à l’appui, la direction nationale du PS a fini par fermer les yeux sur « le cas Frêche»  et les débordements qui lui avaient valu d’être exclu du parti en 2007. « Je suis blanc comme neige ; on m’a fait sept procès et je les ai tous gagnés» , plastronnait-il en octobre 2009. Les harkis, dont il avait traité les représentants de « sous-hommes»  ? « J’en ai recruté 480 à la mairie de Montpellier. Surtout des femmes, pour qu’elles soient indépendantes.»  Et sa santé, que l’on dit précaire ? Il rigolait. « J’ai toujours 20 ans et je vois mon avenir devant moi. En 2014, je passerai le relais à un ami.» 

Il n’est pas du tout sûr que le torrent de condamnations qui s’est abattu jeudi à la suite de ses déclarations visant M. Fabius l’ait ébranlé. « Georges»  a joué sa partition habituelle. « A Paris, se servir de mes propos, les déformer à dessein, devient la principale occupation de certains dirigeants en panne d’idées» , s’indigne-t-il dans le communiqué qu’il a publié. Il mise toujours sur sa popularité en prenant à témoin « les habitants du Languedoc-Roussillon qui me connaissent» .

Par contre, si l’appareil socialiste de la région lui demeure, pour l’heure, fidèle, le président sait dorénavant que ses adversaires au sein du PS ne redoutent plus l’affrontement direct. La chose est assez nouvelle. D’ailleurs, même ceux qui, dans les cénacles parisiens, ménageaient l’homme-lige d’une région forte et de deux fédérations (l’Hérault et, dans une moindre mesure, l’Aude) parfois décisives lors des congrès, l’ont lâché. Vincent Peillon qui reconnaît l’avoir « beaucoup soutenu»  réclame à « cet homme extrêmement cultivé, beaucoup plus fin qu’on ne le pense»  des excuses après ses propos « inacceptables» .

Le baron socialiste du Languedoc-Roussillon, région qu’il avait vainement tenté de rebaptiser « Septimanie» , est descendu de son piédestal. Pour ses adversaires, cela vient peut-être trop tard. « Reconduire Georges Frêche, c’était risquer à coup sûr ce genre de déclaration tonitruante, s’agace Nicolas Cadène. Mais la direction du PS n’a pas eu le courage d’imposer une solution alternative lorsqu’il était encore temps.» 

Jean-Michel Normand

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