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Point-barre 7.

Par Ananda
Avec son numéro 7, Point-barre a choisi d'aborder un thème qui ne risque pas, hélas, de se démoder : la Mort, et, ce faisant, un titre à faire froid dans le dos, Six pieds sous terre. Pour ses illustrations de couverture, la revue a opté (choix dont on ne peut  que se féliciter) pour le merveilleux peintre Klimt. A l'intérieur, nous retrouvons également de l'art pictural : celui de Alex Jacquin-Ng, un des responsables, sous l'espèce de trois "illustrations originales".
La petite (par la taille) revue aux pages jaunes s'ouvre sur l'éditorial de V.Cassiau-Haurie, lequel fait le point sur l' "aventure humaine" que représente son existence même : après trois ans,
"Point-barre continue son bonhomme de chemin" et confirme de plus en plus sa "dimension internationale" (tout à fait en accord avec le tempérament multiculturel et accueillant des gens de l'Ile Maurice).
Autres réjouissantes constatations : "Point-barre commence à se faire un nom" sur la scène mondiale de la poésie et "Sur la toile fait partie des premières revues de poésie référencées sur Google".
Le but de ses fondateurs, "sortir de l'isolement géographique mauricien ainsi que du petit cercle d'initiés dans lequel, à leur corps défendant, évoluent souvent les poètes", se trouve donc largement atteint, nouvelle qui a de quoi mettre en joie.
Au menu, cette fois-ci, vingt huit auteurs, originaires de douze pays; des textes en Français mais aussi, bien que dans une bien moins large mesure, en créoles mauricien et réunionnais.
L'Algérien Kenzy DIB nous souffle : "nous écrivons pour ne pas écrire [...] quand s'agite la tempête de l'astre intérieur".
Le Tunisien Tahar BEKRI rend un hommage au combien mérité au grand Mahmoud Darwich, évoque "Les écoles comme des cimetières " de la Palestine et crie, à l'unisson de ce peuple maryr "je vous défie hyènes et vous casques".

Saint-John KAUSS, l'un des deux représentants de la maintenant tragiquement  célèbre Haïti, nous fait vibrer de concert avec la résonnance un peu césairienne de son texte en prose poétique où "la nuit à deux yeux" et "l'altitude des morts" tisonnent  le mystère qui oppose et lie mort et vie.
Les Françaises Catherine ANDRIEU ("soudain, nous sommes devenus / Nous sommes") et Muriel CARRUPT ("14 juillet / Une corde foetale / Enroulée lourdement / Lentement s'étire / Se noue / Se tend / Se bloque / Se balance / S'abandonne / Au rythme du temps / Il n'y aura pas d'autre fois") nous régalent de leur talent.
La Québecoise Dominique GAUCHER, qui sait "que la mort est à son office / de nous arracher l'un à l'autre", ne peut qu'émouvoir et toucher, José LE MOIGNE (Martinique) nous donne une création en prose poétique d'une rare puissance et d'une très grande beauté ("tragique rémanence de mon passé d'esclave [...] Nul lys, nul bleuet, aucune humble fougère - et je ne parle pas des anthuriums - ne poussera jamais sur le terreau noirci où vos restes pourris ont fini par tomber. Nulle main charitable ne roulera sur vous la pierre du tombeau. On ne meurt pas à Montfaucon. On se fond dans l'oubli. Et peu importe ce que vous fûtes...")
.
Le belge Arnaud DELCORTE déploie, une fois de plus, son audace et compare la mort à une simple "transparence", tandis que la Néo-calédonienne Catherine LAURENT, dans "Un soir de corps brûlé", nous gratifie de la clarté de ses vers purs : "Un soir de corps brûlé / Loin /  Et seule / Une image / De cendres / Portées par le vent / Dans la rivière / La vie dans l'absolu / De son inconstance".
Le poète réunionnais Teddy IAFARE-GANGAMA s'interroge dans sa langue natale, le créole de son île, sur "Avan".
Patricia LARANCO, d'origine mixte (mauricienne et française) assimile la camarde à "un silence de neige" qui "se dépose / sur les pensées".
Venons-en maintenant aux poètes mauriciens, et à leur diversité étonnante : Michel DUCASSE, qui écrit "dans la pénombre d'un temps conditionnel", Alex JACQUIN-NG, déjà cité pour ses illustrations, qui martèle sa violence parfois carrément crue ("la vie, cette pute qui a tant promis mais n'a jamais rien / offert / Silence !"), Yusuf KADEL, qui convoque l' "asymétrie des ombres" et qui, bellement, insiste sur le fait qu' "On n'a jamais pied / dans le silence", Umar TIMOL qui , fidèle à lui-même, nous assène son vaste souffle cyclonique, avec un texte déchiré, empreint d'une véhémence fiévreuse, dont il faut saluer la somptueuse force  ("est-ce que la mort viendra juchée sur un peuple d'ombres [...] la mort est bourrasque et elle vous éparpillera" dans sa "déferlante"), Dev VIRAHSAWMY avec sa "vie après la mort" écrite en créole de Maurice ("lavi apre lamor / li pa zis laba / li isi / dan regar zanfan / dan sourir inosan / dan petal enn fler / dan bourzon nouvo boutir / dan enn li bonzour ki pa rod faver") qui est un plaidoyer en faveur de la sagesse, le jeune auteur également créolophone Tahir PIRBHAY ("Zarden zanfan"), les oeuvres de Sylvestre LE BON (" Ni rassurante ni terrifiante [...] Voici les noces du vent et du soleil / De l'iode et du nizeré / Sur la pointe du jour / Seule comptera l'Absence"), de Catherine BOUDET, toujours aussi talentueuse (" Et je sais que les oiseaux / Font peu de cas du cadavre des jours")
, puis, pour finir, du journaliste Robert D'ARGENT qui, dans son poème, a presque des accents dignes de la Baghavad-Gitâ ("chaque heure est un gouffre où les hommes basculent / Ne suis-je pas un mort [...] ?")
A chacun de ces auteurs, sa vision du trépas. Comme à chaque être humain, sa façon d'y faire face, et de le fantasmer, lui, le mystère ultime.
De toutes ces lectures, et d'autres aussi auxquelles, vus la richesse de la revue, le nombre des poètes publiés, je n'ai pas pu faire allusion, on ne peut ressortir que fortement méditatif.
Le mot de la fin, au dos de la couverture, n'est pas laissé à n'importe qui : un poème de Louis Aragon, superbe et tendre, nous rappelle que "D'autre viennent", qu' "Il y aura toujours un couple frémissant / Pour qui ce matin-là sera l'aube première", que "Rien ne passe après tout si ce n'est le passant".
La lutte pour la vie continue, elle donne la réplique à la mort. Comme dans le tableau de Klimt, les deux forces antagonistes se font face, aussi obstinées l'une que l'autre. L'équilibre, au final, triomphe.
C'est notre seule consolation.


PL

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