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Le respect et l’autorité expliqués à mon prof

Publié le 31 janvier 2010 par Perceval

Article tiré de “Le Monde” du 30/01/2010…

Pas toujours facile de tenir sa classe, particulièrement dans un établissement scolaire difficile. “On m’a insulté, craché dessus”, se rappelle Sébastien Clerc, professeur de français et d’histoire-géographie dans un lycée professionnel de la Seine-Saint-Denis.

“Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux. Je prends vraiment du plaisir dans mon métier”, confiait le jeune homme de 33 ans, mi-janvier, devant des enseignants du lycée Jean-Lurçat, dans le 13e arrondissement de Paris. Sa prochaine intervention – la sixième depuis la rentrée – sur le respect et l’autorité dans les classes devait avoir lieu samedi 30 janvier devant des enseignants d’un établissement du Vésinet (Yvelines). Un séminaire introduit à chaque reprise par un exposé théorique du philosophe Yves Michaud sur les notions de discipline et de dialogue.

Le binôme est bien rodé. Tout au long de l’année scolaire 2009-2010, l’Université de tous les savoirs (UTLS), avec le soutien du ministère de l’éducation nationale, organise à titre expérimental une dizaine de séminaires à destination des enseignants d’Ile-de-France autour des questions de respect et d’autorité. Cette demande avait été exprimée par plusieurs proviseurs à l’occasion des conférences qu’organise, depuis deux ans, l’UTLS en direction des lycéens.

Pour l’occasion, Yves Michaud, animateur de l’UTLS, a fait appel à Sébastien Clerc. Le recteur de Créteil avait déjà demandé, l’an dernier, à M. Clerc d’organiser des formations de tenue de classe pour les professeurs débutants. Face à ses auditeurs, Sébastien Clerc – neuf ans d’expérience – expose un arsenal de conseils et de recettes : une sorte de boîte à outils dans laquelle les enseignants peuvent sélectionner ce qui leur semble pertinent. “Il est important de débuter un cours de la manière la plus dynamique possible”, explique-t-il. Plutôt que d’écrire son plan au tableau, le dos à la classe, il recommande de distribuer ou de projeter un document, qui va capter l’attention. “Pour inciter les élèves à lever la main, ne donnez la parole qu’à ceux qui en font la demande et ignorez les autres”, poursuit-il.

Pour appliquer les règles, encore faut-il les connaître. M. Clerc explique qu’il a créé un cours de politesse après s’être rendu compte que ses élèves n’en maîtrisaient pas les codes. En cas de chahut, de conflit, il conseille de maîtriser ses émotions et de ne jamais paraître en colère. “Quand un élève est insolent, affirmez calmement que c’est grave et que cela donnera lieu à un rapport.” Pour réagir promptement, le professeur a toujours un dossier disciplinaire sur son bureau avec des fiches d’exclusion déjà signées.

Mais pour tenir sa classe, “il est important d’instaurer un climat chaleureux”, insiste le jeune professeur. Il salue chaque jour ses élèves, leur demande comment ils vont, anime, en dehors des cours, un atelier d’échecs. En début d’année, sur la fiche individuelle de présentation, il ne demande jamais la profession des parents, ce qui pourrait plonger certains jeunes dans l’embarras. En revanche, il les interroge sur leur musique, leurs hobbies, leurs matières préférées.

A l’issue de l’exposé, le débat s’instaure. “A l’IUFM (institut universitaire de formation des maîtres), on nous disait que l’élève est “un apprenant qui a le désir d’apprendre”. Résultat, quand j’ai fait mon premier cours, ç’a été une véritable catastrophe. Si j’avais suivi ce séminaire avant, cela se serait peut-être mieux passé”, commente une enseignante. Un autre professeur ne cache pas sa déception : “Apprendre, c’est violent, explique-t-il. Il est important de redonner du sens à l’apprentissage. Avec ces recettes, on achète juste la paix sociale.”

L’autorité et la gestion des classes restent encore très absentes des formations des professeurs. L’académie de Créteil, dont le public est réputé difficile, est en pointe sur cette question. L’IUFM propose depuis 1992 des modules de formation. Par ailleurs, depuis cette année, les enseignants débutants, parachutés en grand nombre dans cette académie, se voient proposer un séminaire pratique sur la tenue de classe et un accompagnement par un professeur expérimenté. “En matière d’autorité, l’enjeu n’est pas seulement dans la posture du professeur mais dans la construction de sa légitimité disciplinaire”, explique Jean-Louis Auduc, directeur adjoint de l’IUFM de l’académie de Créteil. Il considère que le professeur doit montrer aux élèves l’intérêt de sa discipline et s’appuyer davantage sur le manuel scolaire, “symbole du programme voulu par la nation”.

Jean-Claude Richoz, professeur formateur à la Haute Ecole pédagogique de Vaud, en Suisse, propose, dans un ouvrage récent, des démarches d’intervention pour rétablir un climat de travail dans des classes perturbées. “La présence en classe du professeur n’est pas très éloignée de la présence sur scène de l’acteur, considère-t-il. Elle passe par tout un jeu non verbal, pour lequel on peut être plus ou moins doué mais qui peut s’acquérir.”

Le regard, la gestuelle, l’occupation de l’espace, la conscience de la classe et, bien sûr, l’art de la parole sont passés en revue par le spécialiste. “Les enseignants ont énormément de mal à se faire confiance et peinent à s’imposer devant les élèves, précise-t-il. Du coup, la gestion de la classe devient très affective, là où il faudrait au préalable poser un cadre normatif.” Enseigner en classe suppose, avant tout, de se sentir légitime dans sa fonction.

“Le piège pour les enseignants est de se sentir impuissants en attribuant principalement à des causes extérieures, familiales ou autres, l’origine des problèmes”, analyse Jean-Claude Richoz. Pour éviter cette ornière, ils doivent au contraire “retrouver l’espoir qu’ils peuvent infléchir, eux-mêmes, les situations auxquelles ils sont confrontés”.


“Gestion de classes et d’élèves difficiles”,

de Jean-Claude Richoz (Favre, 447 p., 24,50 €). “Au secours ! Sauvons notre école”, de Sébastien Clerc. (Oh Editions, 234 p., 18,90 €).

Martine Laronche


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