Et c’est donc dans le calme et la décontraction feutrée que s’ouvre le mois de Février 2010. Oh, bien sûr, il y a bien eu une quarantaine d’interpellations suite à une rixe géante d’une centaine de personnes dans une gare, mais vite, oublions cela et parlons plutôt de ce qui est vraiment important pour le pays : les propos de Frêche sur Fabius.
En tout cas, c’est clairement l’option choisie par cette Presse Nationale qui nous nourrit de croustillantes informations le matin au lever. Avant, il y avait Ricoré, l’ami du petit-déjeuner, qui avait le bon goût de s’adapter à toute la famille et de ne pas être trop agressif avec les croissants. Maintenant, il y a les nouvelles hiérarchisées par Google, Yahoo, ou Le Mâonde, Labération, Le Bigaro ou l’Agence Fausse Presse, et là encore, on a veillé à ne pas heurter les gens au saut du lit : on leur parle paillette, strass, pipolitude et petites phrases.
Ainsi, comme le montre la capture d’écran ci-dessus, ce qui intéresse les médias, ce matin, c’est :
- L’escarmouche entre Frêche & Fafa ; ce n’est pas une marque de bain moussant, mais deux politiciens du même bord (?) qui s’envoient des méchancetés par presse interposée. Palpitant. Fondamental pour la démocratie et l’avenir du pays.
- L’escarmouche entre MAM et Hortefeux ; il s’agit de deux ministres qui ne sont pas d’accord sur les lois cosmétiques à faire passer lorsqu’une actualité brûlante déboule brutalement et que l’agitation devient nécessaire. Là encore, on sent que si ces deux protagonistes ne s’aspergeaient pas de leur réciproque mépris, la France s’enfoncerait dans la déroute et la déchéance.
- Une nouvelle taxe, pour les logements vacants, parce qu’en France, quand ça ne se termine pas par des chansons, ça se termine par une taxe. La taxe, c’est le moyen ultime – avec la loi – de résoudre un problème. D’ailleurs, avec le nombre de taxes dont nous profitons tous les jours, les problèmes ont presque totalement disparu. La France, c’est le paradis.
- En hiver, comme il neige, c’est la surprise. Ca occupe les niouzes. C’est important, et puis il en va de l’avenir des Français.
- Oh, tiens, une escarmouche entre les socialoïdes de droite et les socialoïdes de gauche sur la vanne chétive d’un maire sans intérêt. Voilà encore une information de première main qui mobilisera l’attention de ce peuple dont le sens de l’analyse sera mis à rude épreuve devant l’épineuse question : s’agissait-il d’une blague racisssse ?
Et pour les articles qui illustreraient malencontreusement une certaine réalité de la France où des centaines de personnes se cognent sur la gueule un dimanche soir sur le quai d’une gare, il faudra fouiller. Ça n’existe pas, ou quasiment pas. Ça n’intéresse pas les rédactions. C’est du banal, du vécu, du viandard. Y’a pas de fond, là, coco. Laisse tomber, tout le monde s’en fiche, de la fête du village qui tourne mal. Ok, c’est pas un village. Ok, c’était pas une fête. Ok, ils étaient une centaine. Ok, il y a eu une quarantaine d’interpellation. Ok ok.
Mais qu’est-ce que c’est de nos jours, finalement, que cent personnes qui, armées et excitées, détruisent du mobilier urbain et terminent, à 39, la nuit au poste ?
C’est minuscule, ça. Trois fois rien, avec pour échelle Un Rien = 33 personnes armées qui se tapent dessus.
On n’en parle quasiment pas, d’ailleurs : 5 petits articles dans google news. Alors que MAM et Hortefeux qui se chamaillent pour savoir si une loi est une bonne idée ou pas, c’est 195 articles. Un rapide calcul permet de constater que les bisbilles entre ministre sont 39 fois plus importantes que des émeutes sur le territoire.
D’ailleurs, les agences de propagande d’endormissement d’information sont formelles : « Ce n’était pas un affrontement de bandes constituées mais plutôt des jeunes désoeuvrés qui erraient près de la gare« .
Vous voyez : pas de quoi en faire un plat.
Il suffit simplement de remettre ça en perspectives : vous et vos 50 copains – vous êtes très aimé, et savez vous entourer, c’est tout - vous vous balladez, nuitamment, un dimanche soir fin janvier, où il fait -2°C – le froid conserve et revigore – quand, à l’approche d’une gare, vous rencontrez ce petit comique de Bidule, avec ses 50 copains, qui, bêtes qu’ils sont, vous balance deux trois vannes.
Vous n’êtes pas une tapette, vous répondez. Logique.
Et là, évidemment, quelques explications fermes s’imposent. C’est dans cette hypothèse improbable que vous (et vos 50 copains) etiez venu avec des couteaux, des bombes lacrymo, un marteau, une matraque téléscopique, un taser. Un échange de point de vue se déroule ensuite : dialogue de cultures, échange de différences, conversations multilatérales passionnées, têtes-à-têtes philosophiques, tout est bon pour se cultiver. Joie d’offrir, plaisir de recevoir.
Remarquons au passage que la presse, dans ses deux ou trois articles consacrés au sujet, relate l’affaire comme étant le fait d’une bande de jeunes, dont certains ont pourtant 35 ans. Là encore, un petit décryptage s’impose :
- de 0 à 15 ans : bambin, gamin, enfant, bébé, garçonnet
- de 15 à 22 ans : adolescent, cadet, garçon, blanc-bec
- de 22 à 35 ans : jeune homme, éphèbe, jouvenceau
Et donc, de 0 à 35 ans, jeune convient « parfaitement ». On comprend au passage comment un fier adulte de 70 ans et 55 kilos peut se faire laminer la tronche par un garçonnet de 15 ans et 80 kilos.
Je me souviens d’une époque où une telle affaire aurait fait la une des journaux.
Heureusement, grâce à la hiérarchisation pratique et novatrice des problèmes en France, le peuple n’est plus enquiquiné par ce genre de broutilles et peut enfin se concentrer sur l’essentiel : le changement de noms des piques-assiettes aux Conseils Régionaux.
Il semble en effet impératif de savoir, avant toute chose, qui bouffera du saumon à nos frais après mars.
Ce pays est foutu.