Marc-Arthur Fils Aimé « Avant le séisme, il y avait déjà cette absence du pouvoir public »
Marc-Arthur Fils Aimé dirige l’Institut culturel Karl- Lévêque, un centre de réflexion, d’analyse sociale et d’éducation populaire. Il explique les réalités du pouvoir politique.Une première réunion internationale a eu lieu à Montréal concernant l’aide à la reconstruction d’Haïti. Qu’en pensez-vous ?
Marc-Arthur Fils Aimé. D’un point de vue compassionnel et fraternel, la conférence aurait dû se tenir ici, en Haïti, où a eu lieu le séisme. C’est une question de symbole si ces pays veulent réellement aider Haïti. Je crois que cette conférence va dans le sens des besoins des grandes puissances, et notamment des États-Unis. Elle ressemble aux précédentes réunions où des promesses d’aides avaient été formulées mais, en réalité, elles ne sont jamais arrivées en totalité. Une bonne partie des fonds reste entre les mains des pays donateurs, et de spécialistes chargés de réaliser de prétendues études. Et le peu d’aides parvenu au pays passe toujours par les canaux internationaux comme l’Usaid. Cette conférence se tient en ces termes parce que le gouvernement est inexistant. Nous sommes face à une absence totale du pouvoir qui devrait être auprès de la population haïtienne et trouver les moyens adéquats d’améliorer la situation des plus démunis. Néanmoins, il ne faut pas confondre la destruction des bâtiments publics et la tendance à la disparition des institutions.
Que voulez-vous dire ?
Marc-Arthur Fils Aimé. Ce n’est pas l’effondrement des édifices officiels qui a conduit à l’effacement du pouvoir public. Avant le séisme, il y avait déjà cette absence du pouvoir public. D’autres pays ont connu des catastrophes similaires mais les conséquences n’ont pas été aussi importantes. Cela témoigne du fait que nous avons un État qui ne fonctionne pas comme tel. Et cela depuis plus de deux siècles. C’est un État sans programme et sans consigne. Il ne respecte pas les règles, se comporte davantage comme un prédateur qu’un constructeur. Avec le néolibéralisme, les privatisations, le marché libre, il s’est livré les poings et les mains liés aux puissances internationales. Nous n’aurions pas connu autant de morts et de dégâts si nous avions un État digne de ce nom.
Il est question de la reconstruction d’Haïti. Comment la voyez-vous ?
Marc-Arthur Fils Aimé.Elle est nécessaire. Mais je suis sûr que cet État-là ne peut pas y contribuer. Il est obsolète. Le gouvernement actuel est le relais de cette réalité structurelle vieille de plus de deux cents ans. À l’opposé de ce gouvernement et de cet État, impuissants et incapables, il faut construire un autre État, avec une autre vision qui tienne compte de la réalité de la population. Il doit respecter les droits et les règles, distribuer de façon correcte les ressources du pays. Je pense que les propositions de la conférence de Montréal, et des autres à venir, ne constitueront même pas un palliatif de la situation catastrophique. Malheureusement, aujourd’hui, nous n’avons pas une force alternative et parallèle. Elle existe au niveau de la pensée, des idées et de la réflexion. Mais elle n’est pas assez puissante pour travailler de concert avec la majorité de la population. Le séisme peut être l’occasion de reconstruire l’idée des forces progressistes pour une alternative qui s’oppose de manière vivante à la tradition.
Entretien réalisé par Cathy Ceibe