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A Gonneville-sur-Mer, Pétain a droit de portrait

Publié le 02 février 2010 par Hmoreigne

Maréchal te revoilà. Pétain-au-mur à Gonneville-sur-Mer (Calvados). Affligeant particularismelocal ou inquiétante faille mémorielle, le portrait du Chef du régime de Vichy figure en bonne place depuis des années dans la salle des mariages de la mairie, noyé au milieu des portraits des anciens présidents de la république. Choqués par sa découverte, un avocat Caennais de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) en a informé les autorités. Le préfet de Basse-Normandie a demandé le retrait de l’objet du litige mais, le maire refuse d’obtempérer. Cas isolé dans une petite commune de 600 habitants ou résurgence inquiétante d’un pétainisme rampant ?

Le plus surprenant c’est la polémique elle-même, ici en Normandie où tant de boys sont venus mourir sur les plages pour libérer la France des armées d’occupation nazies. Une France schizophrène qui avait pour l’essentiel abandonné sa destinée aux mains du vainqueur de Verdun reconverti en collaborateur zélé de l’occupant et en guide de la sinistre Révolution nationale.

La ligne de défense adoptée par le maire actuel, Bernard Hoyé, avocat de profession est indigente : “Ce tableau est là depuis des décennies. Pétain apparaît dans une galerie de portraits des chefs de l’État français, qu’il soit controversé ou pas, je n’ai pas à prendre parti, contrairement à la Licra qui n’est pas objective“. L’édile peut s’appuyer sur la décision de son conseil municipal qui s’est prononcé pour le statu quo même si son premier adjoint avoue avoirdemandé à trois maires successifs de retirer le portrait. “Quand je reçois les Canadiens qui ont libéré la commune, je ne les emmène pas dans la salle des mariages“, explique-t-il, sans être allé toutefois jusqu’à démissionner…

Quid de l’autorité de l’Etat dans cette affaire ? Le maire s’est tout simplement assis sur le courrier du préfet de région en date du 21 janvier pourtant très explicite. “Je vous demande fermement de procéder au retrait immédiat du portrait de Philippe Pétain de la galerie de portraits présente dans votre mairie”, “Ce portrait ne saurait (…) figurer aux côtés des portraits officiels affichés dans une mairie, lieu hautement symbolique de la République.”

Le Préfet de Basse-Normandie rappelle des faits essentiels. “Philippe Pétain, fondateur et chef du régime de Vichy, n’a jamais été président de la République”. “Par ailleurs, l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine a expressément constaté la nullité non seulement de tous les actes de l’autorité de fait se disant ‘gouvernement de l’État français’, dont fait partie l’acte d’autoproclamation du 11 juillet 1940, mais également de tous les actes postérieurs au 16 juin 1940 jusqu’au rétablissement du gouvernement provisoire de la République française“. Christian Leyrit rappelle également que le régime de Vichy a “permis ou facilité la déportation à partir de la France de personnes victimes de persécutions antisémites” et, appelle au principe de neutralité des services publics.

Pauvre Préfet bien isolé, privé du soutien du gouvernement et de la présidence de la république, contraint de solliciter des juristes pour savoir que faire. Invité dimanche de la tribune BFM, Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, n’a pas paru troublé par les faits. Celui que l’on présente souvent comme le premier ministre bis et/ou l’éminence grise de l’Elysée s’est contenté d’en sourire en évacuant le dossier par une pirouette en indiquant que certes Philippe Pétain avait été condamné pour indignité nationale mais que la présidence de la république ne pouvait s’occuper de tout.

Peu surprenant au fond pour un exécutif qui joue sur les peurs des Français et tire sur des ficelles précédemment utilisées par le maréchal : stigmatisation de l’étranger, identité nationale, rappel des valeurs de la terre, rafle d’enfants de sans papier à la sortie des écoles, organisation d’un sommet européen sur l’immigration à Vichy… Il flotte bien dans notre pays un air pestilentiel.

La Licra , bien isolée, tente de sauver l’honneur et dénonce une réhabilitation masquée : ”Cela porte atteinte au respect de la mémoire des victimes et de leurs familles qui ont eu à souffrir de décisions politiques prises par Philippe Pétain”. 

Ce fait, pas si divers, témoigne d’une érosion des mémoires et peut être au-delà d’une volonté diffuse de réécrire l’histoire. C’est en filigrane ce que propose le conseil municipal de Gonneville-sur-Mer lorsqu’il demande que la justice tranche le “débat dans le cadre d’un procès contradictoire et national au lieu et place d’une décision autoritaire du préfet. Tout en comprenant le désarroi des victimes de la politique menée par Pétain, le tapage médiatique n’a jamais permis de résoudre un problème“.

Laissons pourtant l’histoire aux historiens. Stéphane Simonet, directeur scientifique du Mémorial de Caen , est explicite : “Ça m’a surpris et choqué, parce que je ne pensais pas que dans un lieu républicain on puisse avoir la photo d’un homme qui n’a pas été chef de la République, mais chef d’Etat, de l’Etat français en l’occurrence. Cela signifie que l’histoire du régime de Vichy est en train de se perdre. Vichy ce n’est pas seulement le marché noir et la vie quotidienne, c’est aussi une collaboration très active. N’oublions pas que le maréchal Pétain a aussi couvert la livraison de juifs de France que les Allemands ne réclamaient pas. Ce qui me fait peur, c’est l’oubli de ce versant très très noir du régime de Vichy”.

De grâce ne laissons pas confondre, dans un amalgame sournois, l’Etat Français de Vichy avec la République dont il ne fût qu’une tragique parenthèse. Ce serait ouvrir la porte à la grande confusion des genres. Celle notamment des collaborateurs avec les résistants, des attentistes ou des prudents avec les “justes”.


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