Magazine Journal intime

Le chat mort

Par Pierre-Léon Lalonde
Je sors de chez moi pour entamer ma nuit quand je vois sur le pavé juste de travers sur une ligne pointillée, un chat qui vient de venir à bout de sa neuvième vie. J'connais pas mal tous les minous qui errent dans mon quartier. Je les vois au petit matin que je rentre avec le premier métro ou encore en plein milieu de la nuit quand je viens refaire provision de café. J'leur parle pis j'les regarde dans les yeux. Y'a en a une couple qui me reconnaissent pis qui viennent se frotter un brin sur mes bas de pantalons. Tranquillement, j'leur gratte le derrière des oreilles en leur disant bon matin. Eux autres au moins, ils ne te regardent pas avec un air bête quand tu leur souris!
Mais ce chat-là, bien « effouaré» sur l'asphalte, je ne l’avais jamais vu. Un chat de type espagnol avec un beau collier pis un beau pelage qu'on devait bosser avec soin. Je voyais bien que c'était un chat qui devait pas être trop trop sorteux. Un chat qui ne devait pas être au courant qu'un char, ça va vite pis ça cogne fort. Y'n’a pas eu de chance. Peut-être a-t-il profité d'une inattention de ses maîtres pour prendre la poudre d'escampette pis aller voir dehors c'était quoi la vraie liberté! Peut-être pour un moment, profitait-il enfin de la vraie vie?
Pour l'heure, sa vie de chat était belle est bien finie. Dans mes allées et venues nocturnes, je suis passé une couple de fois à côté de la carcasse. Un moment donné j'ai tourné le coin en la contournant et j'ai saisi dans la manoeuvre, le regard d'un enfant sur le trottoir qui venait de passer de la bête à moi. J'ai haussé les sourcils comme pour dire : « C'est la vie...» Il m'a fait un demi-sourire qui disait : « Why life is so fucked up mister cab driver?» Quoique j'interprète peut-être. Ça pouvait tout aussi dire : « Maudits chauffards de merde! Pourriez pas faire attention où vous mettez vos roues ? Salauds!! » Va savoir...
Ma nuit terminée, j'étais assez soulagé de ne plus revoir la carcasse du félin dans la rue devant chez moi. Ce maudit chat m'avait miaulé dans l'âme toute la nuit. J'y avais vu un mauvais présage. La nuit s'est quand même bien passée. Je suis allé de Laval à Longueuil à Lachine et l'Impala ne m'a pas lâchée. J'ai parqué le taxi et j'en suis sorti en repensant quand même à cette bête comme d'autres pensent aux hommes morts sur des champs de bataille. Pis tout à coup, juste avant de monter les marches de mon appart' j'ai aperçu la carcasse raidie du chat mort que quelqu'un avait placé dans mes plates bandes.
J'ai songé qu'il y avait peut-être des gens quelque part qui cherchait leur chat. Une petite boule de poil qui bouffe pis qui chie. Une petite affaire vivante qui nous réchauffe pis nous rend un peu plus humains... J'me suis souvenu des chats que j'ai eus, pis d'une vieille chatte qui m'a fait brailler quand y'a fallu que je la fasse « piquer». Je suis monté chez moi et j'ai pris un grand sac vert. J'ai pris une grande respiration et j'ai saisi le chat mort par la queue pour le mettre dans le sac. J'ai eu une pensée pour ceux qui ont aimé cette bête. J'ai regardé le ciel qui commençait à changer lentement de couleur. Pis je suis monté écrire ce texte pour m'en souvenir.

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