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Le sérieux de l’hiver

Par Montaigne0860

     Tiens j’avais oublié d’en parler et il est temps car les jours rallongent, le soir va autoriser des sorties sans écharpe et on aura tôt fait d’oublier l’évidence des corps emmitouflés contre les morsures qui taraudent l’échine.

     Le sérieux n’est pas tant notre mine austère qui scrute entre les arbres nus, se faufile toujours plus avant entre les brindilles rouges du bouleau (encore que ce soit de l’hiver la vraie dimension : mise à nu de l’infini, côtoiement ferme du regard géomètre s’ingéniant à se voir mesurer les espaces ouverts) non, le sérieux est surtout au brouillard, au froid, à ces évidences qui semblent avoir toujours été là alors qu’elles surgissent à l’instant où les gouttelettes s’agglutinent en un rideau souplement protecteur (mais ce n’est pas toujours). Il oblige en sa rigueur à songer au corps : « Mets ta capuche, prends bien soin de toi », toutes paroles caressantes qui, à l’égal du froid, humectent les paupières et rappellent à l’extrême bord des mots, (parfois) machinalement prononcés, que nous sommes mortels. Jamais dans l’année nous n’aurons pris pareil soin de nos mains, souples présences surexposées au vif et qui seules mesurent vraiment la profondeur du vent : c’est curieux, lorsque je pense à l’enfance, mes mains dénudées rouge de crevasses me surgissent lourdes au bout des bras. Le luxe que je leur donne depuis l’âge adulte est noire enveloppe souvenir, petit écrin précieux de soi en chagrin souple.

     Dès qu’il va faire tiède, l’esprit va extravaguer, je jure que nous ne serons plus nous-mêmes, plus lucides comme maintenant, au plein de ce sérieux présent où les soucis métaphysiques côtoient les soins physiques ; l’attention à soi ne sera jamais aussi savoureuse.

     Mes yeux par la croisée, au long des sentes, élaborent des calculs que les buissons croissant et les branches bardées de feuilles ne permettent jamais ; des plans se préparent ; la lumière parfois bien plus crue qu’en août dessine des arêtes si franches, tellement tranchées, qu’on a peur pour l’oiseau qui vient s’y poser : il hésite, bat des ailes sur place comme si le bord était brûlant… et il l’est d’une certaine manière.

     Reverdy décrit le sérieux de l’hiver lorsqu’il murmure : la vie est grave, il faut gravir. Au sommet de mon existence, je confirme que toute vie, si l’on veut, est un peu voyage d’hiver lorsque l’éclat des êtres et des choses nous est chanté chaque seconde en vérité.


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