Après nos échanges sous mon article consacré à la dette grecque, Georges Sidéris m'informe qu'il a publié
un article dans le Monde du 1er février. Avec son aimable autorisation et pour poursuivre le débat, nous le
reproduisons ici:
Pas un jour ne passe sans que les médias n'évoquent la gravité de la "crise grecque". Les informations se suivent, pas
toujours cohérentes. Un jour on nous dit que le pays est au bord de la faillite, un autre que le gouvernement grec vient de réussir à lever sans difficulté un grand emprunt, signe de la confiance
dans les capacités financières de la Grèce. Et puis un troisième jour, contre-ordre : les milieux financiers douteraient de la fiabilité de la Grèce à mener des réformes. On se demande alors
comment le gouvernement grec a pu si bien réussir son emprunt.
J' étais encore en Grèce en octobre-novembre. Il n'y avait aucune panique dans le pays. J'ai pu voir que le nouveau
gouvernement de gauche dirigé par Georges Papandréou gère de façon intelligente le déficit des finances publiques que le gouvernement de droite précédent a légué au pays. Idéologiquement très
attaché aux thèses libérales, admirateur de la politique de Nicolas Sarkozy, l'ancien pouvoir de droite pour faire des économies s'était attaqué au Centre national de la recherche scientifique
grec, générant une pétition et une protestation internationales contre sa politique menaçant l'avenir de la recherche grecque. Ce pouvoir avait laissé se dégrader la situation dans tout le
système scolaire public du primaire à l'université, il a voulu instaurer une politique sécuritaire, de précarisation, ce qui devrait évoquer des parallèles avec ce qui se passe en France. On
connaît les résultats de cette politique profondément inégalitaire dont un des effets a été la révolte des jeunes. Pourtant ce n'est qu'aujourd'hui que la Grèce est victime d'une campagne de
certains milieux financiers et de médias liés à ces milieux comme le Financial Times. On argue que la cause de la violence des attaques serait que la Grèce avait dissimulé la réalité de ses
comptes publics. Il aurait donc fallu une année entière pour que les milieux financiers, si bien informés au jour le jour, se rendent compte de la gravité de la situation socio-économique, de la
dégradation des finances publiques, de l'incapacité du gouvernement de droite à s'attaquer aux causes structurelles, alors que c'était le sujet de conversation de tout le pays l' année dernière.
Et, comme par hasard, à peine le nouveau gouvernement de gauche installé ces mêmes milieux financiers se seraient réveillés.
Il y a clairement une autre logique à l'œuvre, visant à déstabiliser le pouvoir de gauche et à briser le mouvement
syndical en Grèce, car c'est ce mouvement syndical qui est visé lorsqu'est invoquée la peur des milieux financiers que le gouvernement ne cède aux pressions sociales. Au-delà de la Grèce, c'est
l'Espagne avec son gouvernement socialiste, le fameux "socialisme méditerranéen" accusé par les libéraux d'être trop sensible aux revendications des syndicats, et toutes les politiques sociales
en Europe qui sont visées. Ces mêmes libéraux peuvent compter sur la bienveillance de certains gouvernements européens acquis à leurs idées et pas mécontents de voir le gouvernement socialiste
grec en difficulté. Ceci leur permet de maintenir les revendications sociales dans leur propre pays sous pression. Ne serait la question d'une déstabilisation de l'euro, on voit bien que la Grèce
serait complètement abandonnée à ces attaques spéculatives.
Le résultat ne s'est hélas pas fait attendre car comme le titre Le Monde (daté du 31/1/2010) : "L'Espagne songe à
repousser l'âge de la retraite à 67 ans. Le gouvernement espagnol veut rassurer ses partenaires européens sur l'état des finances du pays" On peut dire que cette campagne de déstabilisation a
déjà marqué ses premiers points. Mais la "crise" ne s'arrêtera pas à la Grèce aujourd'hui et à l'Espagne ou le Portugal demain si on laisse les milieux financiers poursuivre librement leurs
attaques. En regardant vers la Grèce et l'Espagne on voit bien que les "réformes" que l'on veut imposer en France sont un volet d'une politique globale d'attaque des droits de tous les salariés.
La Grèce est la victime d'une véritable machine de guerre des milieux financiers contre les politiques sociales en Europe. Il est temps que les partis de gauche et les syndicats en France et en
Europe saisissent le véritable sens de ce qui se passe en ce moment.
Il faut soutenir la Grèce car elle est le banc d'essai de ceux qui veulent briser les politiques sociales en
Europe.
Georges Sidéris est maître de conférences, à l'université Paris Sorbonne.