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Le sondeur, le bookmaker et le législateur

Publié le 03 février 2010 par Delits

liberalisation jeuxNous sommes au printemps 2007. Les Français sont appelés à élire leur prochain(e) Président(e) de la République. A quelques semaines du scrutin, le journal Le Figaro s’intéresse aux paris sur le résultat du second tour et aux cotes des candidats. Illégaux en France (l’Etat conservant par ailleurs le monopole des jeux d’argent), ces paris prospèrent au Royaume-Uni depuis de nombreuses années. L’apparition des paris online, via des sites web spécialisés, stimule ce phénomène.

Le Figaro regarde donc, de l’autre côté de la Manche, les cotes établies et publiées sur le web par les bookmakers (terme d’ailleurs sans réel équivalent en français, et qui désigne la personne ou l’institution chargée de prendre les paris). Oubliant un peu vite (comme souvent chez les politiques et les journalistes) que la finalité des sondages n’est pas d’établir un pronostic de victoire, le Figaro se fait l’écho de l’idée que les pronostics établis par les bookmakers pourraient bien être plus justes que les sondages d’opinion…

Imaginons à présent que nous sommes au printemps 2012 : les journalistes n’auront peut-être plus à lorgner de l’autre côté du Channel pour analyser les cotes des candidats… D’ici là, un premier projet d’ouverture du secteur des paris et des jeux en ligne devrait être entériné par le législateur français (en juin 2010, juste avant la Coupe du Monde de football).

Il y a encore un an, on disposait d’assez peu de données sur le rapport des Français au jeu en ligne, faute d’enquêtes publiées. Ce retard a été largement comblé depuis : la presse s’est largement emparée de ce sujet, qui intéresse dorénavant plus de la moitié des Français (54%), selon une étude TNS Sofres publiée en décembre dernier.

On commence ainsi à avancer quelques chiffres avec certitude. Selon le sondage TNS Sofres, environ 4% des Français joueraient à des jeux d’argent sur le web, un chiffre en ligne avec les estimations déjà publiées par Bercy (5%).

Le montant du fameux « gâteau » que les opérateurs privés et les opérateurs historiques (PMU, Française des Jeux) seraient appelés à se partager, en revanche, donne lieu à débat. On parle d’une fourchette de 500 millions à 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel. Un montant pas si élevé que ça, quand on y regarde de plus près. Ainsi, le seul marché des produits alimentaires bio représentait déjà 2,6 milliards d’euros en 2008, pour seulement 1,7% de parts du marché alimentaire global, soit plus de 150 milliards d’euros ! (chiffres AND-I/L’Agence Bio).

Mais qui sont, en définitive,  ces fameux joueurs en ligne ? Si on commence maintenant à bien connaître la position des Français sur le sujet, grâce aux nombreux sondages publiés, on sait encore relativement peu de choses sur les joueurs eux-mêmes.

Les études qualitatives (pour la plupart non publiées et confidentielles) confirment quelques intuitions. Les joueurs, majoritairement masculins, sont motivés par l’appât du gain, mais pas seulement. Ils recherchent également la mise en valeur de leur expertise : connaissances sportives, expertise de jeux tels que le poker, etc. En matière de paris sportifs par exemple, même si l’on reste humble face à la « grande incertitude du sport », la perspective de « déjouer les cotes » et de battre le bookmaker est un fort levier de motivation. Ensuite, les paris sportifs permettent de « vibrer plus fort », de donner du piment à des rencontres qui autrement n’en auraient guère (comme un match de foot de bas de tableau de National, l’ex-D3). Enfin, la dimension plaisir, le « fun », le « jeu pour le jeu » sont également présents.

 A l’inverse, de l’aveu même des joueurs, il existe de nombreux freins au jeu et aux paris. Des freins budgétaires tout d’abord. D’ailleurs, le secteur des jeux d’argent, même si moins touché que d’autres, connaît une baisse de chiffre d’affaires avec la crise. La peur de l’addiction peut être également un autre frein puissant, même s’il est difficile de se l’avouer à soi-même, et encore plus difficile d’en sortir une fois qu’on y est tombé. Enfin, et ceci est particulièrement vrai sur le web, la peur de l’arnaque (réelle ou fantasmée) : cotes truquées, gains non versés, sites peu dignes de confiance… Autant de points que le législateur se propose précisément de réguler dans la future loi.

Il semblerait en tout cas que les joueurs eux-mêmes ne soient pas opposés à l’ouverture du secteur. Cela leur apporterait tout d’abord une certaine réassurance face aux possibles arnaques. Mais surtout, cela permettrait peut-être à certains de mieux vivre leur hobby, en brisant l’image peu flatteuse qui y est parfois attachée. Comme le disait un parieur, avec ses mots à lui, « il y a un tabou socialement : c’est accepté de boire trois bouteilles de vin dans la semaine, mais pas de parier, c’est pas toujours très bien vu ! ».

On mesure alors l’écart qui sépare la France de la Grande-Bretagne en matière de maturité des joueurs. Les paris sur pronostics n’ont été introduits en France qu’en 1985, et le système de cotes ne remonte, quant à lui, qu’à 2003, alors que les parieurs britanniques sont familiers de ces notions depuis plusieurs décennies, voire davantage. Pour le meilleur ou pour le pire, la France est encore loin de la « culture du pari » qui ferait presque partie de l’image d’Epinal de nos voisins britanniques, au même titre que la Royauté ou le fish’n’chips

Retournons maintenant en 2012… Faudra-t-il traverser la Manche pour recueillir et analyser les cotes des candidats à l’élection présidentielle ? Ou bien le législateur aura-t-il institué, en la personne du bookmaker, un improbable concurrent au sondeur ? Les paris sont ouverts – dès à présent…


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